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Depuis que l’entends à Pessah « l’an prochain à Jérusalem », le souhait des juifs depuis plus de deux mille ans, depuis qu’ils ont dû quitter leur pays ancestral à la première, la deuxième ou même la troisième diaspora, l’envie d’aller en Israël me taraudait.
Ma famille qui porte le nom on ne peut plus biblique de Amiel, Ami El, peuple de Dieu, vient sûrement de là. Selon des recherches patronymiques, les israéliens auraient du s’appeler des amieliens si Jacob ne s’était pas battu avec l’ange (Isra El, celui qui s’est battu avec Dieu (au fait, pourquoi ce combat ?).
Bref, avec ma compagne, on a décidé après bien des années d’hésitations à cause des guerres, des intifadas, des troubles, etc., d’aller enfin visiter ce pays mythique. La période semblait calme. Des négociations de paix étaient vaguement en cours et toutes les infos et nos lectures nous laissaient penser que c’était enfin le bon moment. Et puis, j’en avais tellement envie. À soixante ans révolus, j’avais besoin de revisiter ma culture, de retrouver, comme on dit, ses racines, sauf que nous ne sommes pas des plantes…
Nos « racines » sont simplement de la culture qui nous a été transmise par nos parents, notre milieu social, le pays où on vit, etc. Je suis juif, comme beaucoup non croyant (ou si peu), mais ayant un infini respect pour l’histoire incroyable de mon peuple. J’avais envie d’un retour au pays de mes ancêtres pour être à l’écoute de mes sensations, de mes émotions, de mes réflexions. Il y a quelques années, j’avais fait un voyage sur les lieux de mon enfance, à Rabat, au Maroc et cela m’avait ému et provoqué l’écriture d’un petit reportage dont, en quelque sorte, ce voyage est la suite.
Sauf qu’au lieu d’un voyage qui s’annonçait paisible et enrichissant – un voyage de maturité – les choses s’étaient accélérées et j’allais un peu à reculons – et pour cause, dans un pays en guerre. Personne n’avait prévu qu’en cette année 2014, il y allait avoir une crise violente due à l’enlèvement et l’exécution de trois adolescents près de Jérusalem. Représailles – contre représailles, bombardements, terroristes et roquettes qui pleuvent de la bande de Gaza sur le sud d’Israël… quelques jours avant notre départ ! J’ai attendu, espérant que ça allait se calmer. Les billets étaient pris depuis de semaines, pas de remboursement possible à la veille du départ… On se concerte, j’interroge des amis, mon frère, certains me conseillent de ne pas y aller, d’autres me disent que ça ne va pas durer, le site des affaires étrangères français dit qu’il n’y a pas de raisons d’annuler son départ, mais précise les zones à éviter (comme si on avait envisagé de se balader à Gaza)… Chaque jour qui passe nous inquiète un peu plus. Roquettes sur Jérusalem, sur Tel Aviv – ce qui ne s’était jamais produit, tirs à partir du Nord, etc.
On attend jusqu’au dernier moment, espérant le calme, l’annonce d’un cessez le feu, mais ça ne s’arrange pas. La veille du départ, on se décide à y aller quand même. Il sera toujours temps, si ça craint, de prendre un avion pour la Grèce. On se prépare, on se lève tôt, l’avion est à 10 h. Bus pour l’aéroport.
Mince, le vol est retardé de trois heures. On se rend à l’enregistrement tout au bout de l’aéroport. Il y a des militaires en armes, mitraillette à la main, plein d’agents de sécurité qui nous posent des questions, un vrai interrogatoire : « depuis quand êtes-vous ensemble ? avez vous bien surveillé vos bagages, vous a-t-on donné quelque chose à emporter ? etc. Ça finit quand même par un « Bon voyage ».
On passe les contrôles – classiques ceux-là, de l’aéroport et on attend. En regardant les articles du Monde sur l’iPhone, On apprend que des roquettes ont été aussi lancées sur l’aéroport de Tel Aviv ! Le voyage s’apprête à être rock´n’roll !
Bon, nous voilà dans l’avion entouré surtout d’israéliens préoccupés et de quelques français qui ont comme nous, décidé d’y aller malgré les troubles (une bar-mitsva pour une jeune femme avec qui on a discuté).
L’avion est complet, mais paradoxalement, l’atmosphère est détendue, bon enfant. Du coup, mes tensions s’évaporent. Je reviens au voyage en feuilletant mon guide du routard.

Tel Aviv
Arrivée à l’aéroport, tout semble tranquille. Taxi pour Jaffa Court Appartments, notre lieu de résidence à Tel Aviv, un peu éloigné du centre, pas facile à trouver, mais bien. Arrivé à la réception, on entend des sirènes. Je ne fais pas attention, mais une jeune française semble effrayée. Une fille sympa nous accueille, elle nous donne une feuille avec les consignes de sécurité et nous indique l’abri, mais personne ne semble s’y rendre. On rejoint notre appartement quand la sirène tonne à nouveau. Par la fenêtre, on voit bien une lueur dans le ciel, mais bon… On sort pour un dîner sympathique dans un restaurant pas loin car il est tard et on est moyennement confiants. Le restaurant est roumain avec chanteuse et clavier électronique.
Le lendemain, visite de Tel Aviv. Je suis frappé par la présence des caractères hébraïques qui bien sûr, sont partout. Moi qui ne les ai fréquentés depuis ma jeunesse que dans les livres de prière, de les voir étaler sur des pubs, des affiches, des panneaux indiquant les directions, me trouble un peu. Cette langue millénaire qui s’était presque éteinte au fil des diasporas a été réveillée par l’action de linguistes qui l’ont réimposée. Un rare exemple de renaissance d’une langue alors que l’humanité en perd des dizaines chaque année.
Tel Aviv a une belle promenade à l’américaine au bord de la mer avec coureurs à pied et vélos, superbes plages de sable avec surfeurs face aux buildings. On longe la plage puis on bifurque vers le centre et la rue Dizengoff pour nous rendre au fameux quartier Bahaus.
Dans les années 30, cette école, en réaction à l’art nouveau et ses fioritures, est né ce mouvement qui prône les constructions en béton aux lignes épurées et l’intégration de tous les arts à l’architecture. Il se développe rapidement, convaincant les jeunes architectes, mais Hitler arrive au pouvoir et les interdit. Certains d’origine juive comme Neufeld et Rubin partent pour Israël où ils font école. Près de 4000 constructions dans le centre de Tel Aviv qui justement est en plein essor. De nouveaux quartiers naissent au nord de Jaffa, la ville dont l’origine se perd dans la nuit des temps (premier port d’Israël, lieu d’arrivée historique des alya (retour des juifs en terre sainte), des croisés, etc.
Autour du square Dizengoff et de la fontaine musicale d’Agam (un des grands artistes israéliens) on admire les jolis petits immeubles blancs de trois étages très simples aux lignes design, très beaux. L’un d’entre eux abrite l’hôtel du cinéma qui m’a beaucoup plu. Lors de ma prochaine visite, on s’installera là.
On continue sur la rue et alentours où on constate que pas mal d’autres immeubles bahaus sont en mauvais état et auraient besoin de réhabilitation. On visite le petit Musée du Bahaus, en fait une boutique avec au premier et deuxième étage des expositions de photos des plus beaux bâtiments.
Comme c’est samedi, presque tous les musées sont fermés, mais pas le musée d’art.
On s’y rend en traversant une bonne partie de la ville. Il fait très chaud, mais heureusement, le long des immeubles plus classiques (années 60 et 80), il y a des promenades ombragées.
L’architecture du Musée est superbe, un genre de vaisseau de pierre design situé au centre d’architectures contemporaines, un beau quartier émaillé de sculptures monumentales.
Le musée est immense, les circulations offrent des points de vue géométriques que n’aurait pas réfuté les membres du Bahaus et les grandes salles sont remplies de chefs d’œuvre. L’art moderne est représenté par tous les grands noms de l’Impressionnisme : Monet, Cézanne, deux van Gogh de la période de Saint Rémy, des superbes Archipenko, les plus beaux que j’ai vus, des Picasso, des Renoir, etc. De magnifiques collections dues pour la plupart aux riches collectionneurs juifs d’Europe ou des États Unis qui les ont léguées.
L’art contemporain est aussi d’une grande richesse avec une construction en vélos de Al Wei Wei, le maître chinois, un bel assemblage de photos pendues au bout de ficelles de Annette Messager, un beau Warhol, un grand et superbe Kiefer… Des beautés…
Certaines salles sont consacrées à des artistes israéliens actuels comme Agam et d’autres que je découvre : Reed.
Au sous sol une grande exposition d’œuvres faites de n’importe quoi de Vik Muniź (image from anything)
Avec des pigments, des perles, du sable, des jus, des détritus, et toutes sortes de matériaux plus ou moins reconnaissables, il reconstitue les chefs d’œuvres de l’art : immense Venus de Botticelli en déchets venant directement des décharges, la Grande Jatte en pièces de puzzle géants, Jackie Kennedy en faux diamants, un portrait de Freud en chocolat, etc. Une expo réjouissante par sa démesure et la démonstration qu’on peut faire de l’art avec n’importe quoi. Un film tourné dans la plus grande décharge du Brésil montre Muniz en train de créer une image de plusieurs milliers de mètres carrés en faisant travailler tous les éboueurs qui vivent autour et gagnent leur vie en recherchant tout ce qui serait encore vendable – le dernier degré de la récupération.
Le musée est trop grand, il nécessiterait plusieurs visites. On continue à se promener dans les salles d’un pas plus rapide.
Déjeuner tardif sur un très bon restaurant au bord de mer (le Menta Ray) découvert par hasard mais il était dans le Routard, considéré comme le meilleur pour le poisson (les mezzés sont aussi excellents).
Après un bon repos, premier bain sur la plage à la tombée de la nuit au pied de la vieille ville de Jaffa. Il y a encore plein de monde, les gens s’amusent, les chiens gambadent dans l’eau, la lumière est turnerienne.
Retour à l’appartement. On envisage de ressortir mais… les sirènes hurlent fort. On ne sait que faire. On se met à la fenêtre pour voir si les gens bougent, mais rien. Dans l’immeuble non plus. Re-sirène… Puis boum et reboum.. Bruit d’explosions. On aperçoit une lueur qui se déplace d’est en ouest dans le ciel puis deux autres (les missiles, je suppose) qui se dirigent vers la première. Ça doit passer ensuite derrière les nuages car on ne voit plus rien. Un instant plus tard, boum. On suppose que les missiles du dôme de protection ont abattu la roquette. Il a du y avoir trois ou quatre roquettes sur Tel Aviv – confirmé par le site Internet Isranews en français sur lequel on se précipite pour avoir des infos.
Du coup, inquiets, on décide de ne pas sortir. Je reste encore devant l’ordi pour suivre sur Internet ce qui se passe, mais plus rien, pas d’autres sirènes. On se met au lit.
Troisième jour à Tel Aviv. On visite le musée de la Diaspora qui est à l’autre bout de la ville, tout au Nord, dans l’enceinte de la très belle Université. Grand beau musée moderne dédié à tous les exodes juifs depuis plus de 2500 ans. Un thème qui m’intéresse particulièrement. Apprendre comment les juifs se sont disséminés dans le monde entier depuis Nabuchodonosor (-587) jusqu’à la création d’Israël en 1947 où le mouvement de retour s’opère. Un saga prodigieuse qui a vu l’acclimatation de ce peuple à toutes les cultures tout en gardant le noyau dur de la sienne. Une salle est particulièrement explicite : celle des maquettes de synagogues : en forme de pagode, de maison florentine ou vénitienne, de temple grec orthodoxe, d’architectures issues des pays de l’est jusqu’à plus récente en forme de vaisseau spatial de Franck Loyd Wright. L’art juif, jusque dans ses lieux de cultes, est métissé, pluri culturel.
Les très nombreuses cartes relatant les migrations, les points de ralliement, les concentrations, nécessiteraient chacune une étude approfondie. Je connais un peu l’histoire de juifs du Maroc qui est déjà complexe (plusieurs vagues successives à différentes périodes : juifs berbères de la premiers diaspora, juifs de Fez de la deuxième, juifs fuyant l’Espagne en 1492, etc.). Je suppose que les dizaines d’autres émigrations d’Europe de l’Est, d’Afrique ou d’Amérique sont aussi compliquées. J’essaie de me construire un savoir à ce sujet, mais c’est loin d’être facile.
Le Musée recèle aussi des documents touchants (un très beau rouleau de la Torah de Fès du XVe, une Bible de 1342…), des objets de culte, beaucoup de maquettes, de figurines, des vidéos montrant l’art juif des origines à nos jours.
La promenade est passionnante et instructive, elle rassemble des siècles de mémoire juive à travers tous les continents. Ce musée aussi mériterait d’y revenir.
On prend ensuite un taxi pour le centre où on a décidé de louer une voiture. Il vaut mieux peut-être s’éloigner des grandes villes. Les nouvelles ne sont toujours pas bonnes. La télé et les médias sont affolés, les mêmes images de roquettes tombés ou de bombardements à Gaza tournent en boucle. La spectacularisation des médias bat son plein. Une voiture qui a pris une roquette est montrée et remontrée sous toutes les coutures. La moindre fumée est filmée, exagérément agrandie. Les médias se nourrissent jusqu’à l’écœurement de la moindre image. On ne nous épargne non plus pas les tirs de missiles qui ressemblent à des jeux vidéos, sauf qu’en dessous, il y a de vrais humains.
Vers 21 h, on entend de nouveau les sirènes, mais que faire ? Je relis la feuille avec les instructions précises. Il est dit que quand la sirène tonne, on a une minute et demie (!) pour se rendre dans un abri souterrain. Mais les gens ne bronchent pas, ils continuent leurs activités en jetant de temps en temps un coup d’œil au ciel. On entend des détonations lointaines, sans doute les missiles qui abattent les roquettes, mais les voitures circulent et chacun continue de vaquer à ses occupations. Alors on fait comme tout le monde. On va déjeuner dans un restaurant au bord de la mer, puis dans la soirée, on visite la vieille ville de Jaffa.
Elle est superbement restaurée, les rues médiévales font penser à Saint Paul de Vence ou Coaraze, il y a des galeries d’art et une vue magnifique sur Tel Aviv. Jaffa est la cité historique par excellence, son origine est cananéenne et son port a vu partir et arriver toutes sortes de populations : des juifs chassés par les romains à différents types d’envahisseurs, des Croisés à Napoléon.
On boit un coup sur une terrasse qui domine le port de Jaffa et la baie de Tel Aviv.
On voulait descendre sur le port, mais ce soir, il y a la finale de la coupe du monde. Je ne veux pas la rater. Je ne dois pas être le seul car toutes les rues se vident, on n’entend pas de sirènes, peut-être que même les terroristes ont décidé de suivre le match.

Tibériade
La nuit est calme. Le matin, on prend la route pour la Galilée. On a changé nos plans car après Tel Aviv, on comptait aller à Jérusalem, mais la situation y étant très instable, on préfère aller voir le Lac de Tibériade.
Notre hôtel domine cette mer mythique où Jésus aurait marché sur les eaux. Nous, on a pu seulement y nager, mais c’était bien.

Le soir, on visite du centre de Tiberias et sa promenade en bord de lac. il y a plein de monde : restaus, bars branchés, musique, enfants qui courent, poneys, crêpes, micros appelant à des ballades dansantes sur les bateaux, l’atmosphère habituelle des villes balnéaires en plein été. On découvre la vie nocturne, les constructions en briques, petites mosquées, églises… On se décidé pour un restau indiqué par le routard : Rosa. Grande baie vitrée sur la promenade, écrans projetant des clips et bonnes pâtes sautées accompagnées d’un blanc très chargé de la région.
Le lendemain, pour commencer et faire un plan d’attaque des jours à venir, on se pose quelques heures à la belle piscine qui surplombe le lac. Le maître nageur qui s’occupe aussi du bar doit aimer Julio Inglesias car on a eu doit à son répertoire en boucle. Comme je lui ai demandé de l’eau, il a compris qu’on était français et quelques instants plus tard, il a mis un medley de chansons françaises qui m’ont renvoyé à mes quinze ans : « Elle était si jolie » d’Alain Barrière, « et j’ai crié, crié Aline pour qu’elle revienne », « Tombe la neige », « Laisse-moi t’aimer toute une nuit » de je ne sais plus qui et d’autres trucs des années 60, et des années 70 et 80 comme « J’ai oublié de vivre » de Johnny.
On a ensuite entamé notre première journée biblique : tour du lac de Tibériade que les hébreux appellent joliment kinneret (lyre) en raison de sa forme. Premier arrêt à Cafarnaüm. Il y a la synagogue où Jésus priait – il était encore juif à cette époque -, la maison de son ami Pierre devenu son apôtre, une deuxième synagogue en bien meilleur état, qui ressemble à un temple grec avec colonnades et beaux linteaux gravés, sol en pierres taillées et surtout une vue magnifique sur le lac.
Une délirante soucoupe volante de béton recouvre la maison de Pierre. La soucoupe est en fait une église circulaire. Au centre, le sol présenté une grille de fer et des vitres d’où on peut apercevoir les vestiges de la maison de Pierre, et donc le sol qu’aurait foulé Jésus.
L’endroit est propice à la méditation avec ses beaux eucalyptus, ses cactus, ses hibiscus et ses cyprès de toute beauté qui bordent le lac.
On a ensuite grimpé (en voiture) sur le Mont des Béatitudes (on en a bien besoin par les temps qui courent) où Jésus a dit : « Bienheureux les simples d’esprit, le royaume de Dieu leur appartient » et d’autres paroles restées célèbres (reportez vous aux écritures sacrées). Le Mont domine bien sûr le lac appelé aussi « Mer de Galilée ». Il est devenu un sanctuaire chrétien avec beaux jardins, lieux de prières, accueil de pèlerins et jolie petite église byzantine avec au plafond un dôme bleu klein et or.
Étape ensuite à khoragine où les ruines sont déjà fermées. Dommage, j’aurais aimé voir la chaise en pierre de Moïse dont parle le Talmud.
Les points de vue sur le lac sont de plus en plus beaux, plus verts que du côté de Tibériade. Ce lac est étonnant, il situé à 200 mètres sous le niveau de la mer. C’est la plus grande réserve d’eau douce d’Israël, raison pour laquelle il est disputé aux Syriens (le problème est loin d’être réglé, d’autant que les Syriens ont bien d’autres préoccupations pour l’instant).
Il y a plusieurs kibboutz qui bordent le lac dont certains cultivent de façon intensive des bananiers. On en a vu de toutes les tailles et beaucoup sont recouverts d’un genre de tissu synthétique gris qui leur donne l’allure d’installations d’art contemporain. J’ai lu que c’était pour les protéger des oiseaux dont les migrations passent par là.
On s’arrête au kibboutz d’Ein Guez, avec port sur le lac et infrastructures sympathiques : ponts en bois, jolies maisons et un restaurant géant où on mange un « mixed fish » de poissons péchés dans le lac, précédé de plein de tapas régionaux, le tout arrosé d’un excellent blanc israélien (Hermon) qui saoule pas mal.
Le tour du lac est bouclé. Je ne suis pas très clair. Je passe devant l’hôtel sans le voir, heureusement, Danielle, toujours vigilante me fait faire demi tour.
Le soir, on regarde la télé israélienne en hébreu. On ne pige rien, mais on comprend que ça ne s’arrange pas. Pourtant, j’avais lu sur internet vers midi les trois mots que j’attendais depuis longtemps : « cessez le feu ». L’Egypte a proposé un cessez le feu qu’Israël a accepté, mais pas le Hamas. J’ai pensé que c’était quand même le début du commencement de la désescalade, qu’ils finiront bien par se mettre d’accord pour arrêter les combats, mais ce que je lis ce soir n’est pas rassurant. Ça continue à péter de partout : des roquettes sur Tel Aviv, sur Haïfa, etc. Le feu est loin de cesser, on dirait. J’apprends aussi qu’il y a eu des manifs à Paris et dans d’autre villes en France, que des synagogues ont été agressées, comme si cela avait quelque chose à voir. En quoi les religieux juifs de Paris, ou les juifs tout court sont-ils reliés à cette guerre ? La simplification est toujours la pire des choses. Tous les racismes naissent d’un manque de réflexion, d’idées approximatives, de caricatures : le juif est ça, l’arabe est comme ci, le rom est forcément comme ça. Comment enseigner la complexité, la singularité ? Comment faire pénétrer dans les consciences que les différences n’ont cessé – et même continuent d’enrichir le monde ? Et que ce n’est pas en tapant sur un juif ou un arabe qu’on fera cesser la guerre au Moyen Orient. Le monde est désolant de bêtise. Combien de siècles encore les humains vont-ils gâcher ce bienfait, cette aventure unique que constitue la vie, ce court passage hors du néant, du rien ? Mais l’histoire nous apprend que l’homme est guerrier, qu’il a le goût du sang et de la domination plus fort que celui de la sagesse. Son agressivité domine sa volonté de bienveillance envers l’autre. Alors que faire ? Subir son sort et espérer qu’il ne soit pas trop contraire. Etre éthique, juste. « Un Juste sauve l’humanité ». Il y a actuellement sur terre assez de richesses produites pour que tous les humains mangent à leur faim et vivent leur vie sans se battre et sans détruire leur propre vaisseau spatial, notre Terre, qui est si belle… Ça y est, voilà que je prêche, l’effet Tibériade, sans doute.
En tous cas, à part à la télé, ici pas de sirènes, pas de « shelter » à tous les coins de rue, le seul truc un peu zarbi à l’hôtel, c’est le garde de nuit avec un revolver à la ceinture.
Le. Lendemain, on démarre notre deuxième journée biblique : Nazareth d’abord où Marie a reçu l’annonce de l’ange Gabriel qu’elle allait recevoir un enfant spécial. On visite la basilique de l’Annonciation, édifice pas génial des années 60, recouvrant la grotte où l’ange l’a visitée. Dans la même enceinte, la synagogue-église antique et des bâtiments pour recevoir les pèlerins. On a ensuite cherché la synagogue que Jésus a fréquenté, mais on ne l’a pas trouvée. Nazareth, à part la vieille ville et son marché, est une ville bruyante, encombrée. La circulation est difficile, il fait chaud… On retrouve la voiture et sa clim avec plaisir après avoir acheté une grande bouteille d’eau (on fonctionne ces jours-ci à trois bouteilles d’un litre et demi par jour).
Retour vers Tibérias pour nous rendre à Safed sur les hauteurs du lac. C’est la ville la plus haute d’Israël (près de 900 m), la troisième ville sainte du judaïsme après Jerusalem et Tibériade, le berceau de la Kabbale. Son origine est cananéenne, elle a toujours été peuplée de rabbins qui ont élaboré les grands écrits du Judaïsme. Les nombreux juifs savants chassés d’Espagne par l’inquisition qui y ont trouvé refuge ont fait ensuite de Safed la capitale des kabbalistes. En 1553, la première imprimerie voit le jour et la vie intellectuelle est intense.
On a d’ailleurs visité l’émouvante synagogue de Yosef Caro, originaire d’Espagne qui a apporté avec lui un rouleau de la Torah de plus de 500 ans. Sous la synagogue, une espèce de grotte, en fait la chambre où il a vécu et écrit un des plus grands textes de la mystique juive.
La vieille ville de Safed accrochée à un flanc de montagne est traversée de petites rues, de passages et de dizaines d’escaliers assez raides. Des placettes adorables, des ruelles offrant des vues plongeantes sur la campagne et très loin, tout en bas, le lac de Tibériade. Les rues couvertes abritent des galeries et artisans d’art et de très vieilles synagogues. Celle d’Abouhav est la plus kabbalistique de toutes. Peinte en bleue, la couleur du ciel, son architecture est élaborée à partir des douze chiffres sacrés : le Un, c’est Dieu, le deux symbolise les deux rouleaux de la Torah, le trois, trois armoires pour évoquer les patriarches Abraham, Isaac et Jacob, le quatre (il y a quatre colonnes de soutien) symbolise les quatre mères juives Sarah, Lea, Rébécca et Rachel, etc. Chaque élément, le moindre dessin, est porteur de sens. Cette synagogue est couverte de tableaux, de livres, de symboles. Il faudrait y passer pas mal de temps pour tout déchiffrer.
On sent la spiritualité, il y a des yeshivas, des écoles talmudiques partout et la plupart des hommes ont des kipas ou des grands chapeaux noirs. Les enfants se baladent avec leurs papillotes qui leur couvrent les oreilles et les fils des châles de prière qui débordent de leurs ceintures. Les femmes ont la tête couverte, elles ont généralement suivies d’enfants de tous âges. Du restau (très bien) où on a mangé, on voyait une école où des gens n’arrêtaient pas de rentrer ou de sortir. Dans les petites rues, les cars déversaient les touristes américains.
La visite de cette très ancienne cité est assez émouvante si on n’a pas peur de monter et descendre des centaines d’escaliers.
Le lendemain, on reste à Tibériade pour visiter la tombe (ou cénotaphe?) de Maimonide, le deuxième Moïse, né à Cordoue en 1137, passé par Fès où il s’instruit des sciences juives, mais aussi d’Aristote, d’Hippocrate et d’Averroes. Médecin célèbre, son traité pharmaceutique a servi jusqu’au siècle dernier, il est aussi un des grands philosophes juifs qui a associé science et religion, auteur du « Guide des Égarés », et grand commentateur de la Mishna, la loi juive. Bref, un des plus grands penseurs dont les écrits continuent à susciter la réflexion.
Sa tombe, très simple est surmontée d’une grande structure en fer (il en mériterait une bien plus belle).
On va ensuite visionner « Galilée Expérience », un film d’une demie-heure qui nous raconte l’histoire étonnante de ce petit bout de terre assez aride entre Méditerranée et lac de Tibériade qui a vu l’histoire s’enflammer et dont les natifs ont révolutionné les modes de pensée jusqu’à nos jours (il faudra bien un jour en faire le vrai bilan).
Pour continuer la visite de Tiberias, on se rend à la maison-musée-hôtel de Donia Gracia dont on avait lu l’aventure extraordinaire. Banquière, marranne, fuyant l’inquisition au XVe siècle, elle a traversé l’Europe d’Anvers à Venise, Amsterdam, Ferrare. Amie de Soliman le magnifique à qui elle a prêté de l’argent, elle finit en Palestine avec la volonté de créer une Cité-Etat juive… Une vie incroyable retracée ici par des vitrines de petits personnages mis en scène. Au sous-sol, un très beau restau vénitien où on a voulu déjeuner, mais c’était trop tard.
Retour à l’hôtel où je me fais une revue de presse sur Internet pour me tenir au courant. On envisage de partir demain au bord de la Mer Morte et donc passer pas très loin de Gaza, aussi on voudrait savoir où en sont les événements.
A priori, toujours pas de cessez le feu complet, mais on annonce des trêves. On va y aller…

Mer Morte
Départ de Tiberias direction la Mer Morte. En chemin, on s’arrête dans le très beau site de Meggiddo, l’Armageddon de la Bible où d’après l’Apocalypse de Saint Jean se tiendront les derniers combats contre le mal.
C’est un superbe parc naturel sur le site de la ville cananéenne habitée depuis plus de trois mille ans, un nœud routier hyper important entre la Mésopotamie et l’Egypte, raison pour laquelle, cette cité a subi de nombreuses batailles depuis le roi Salomon qui a fait bâtir d’importantes fortifications dont on voit les beaux restes : une porte monumentale, des quartiers et surtout un très élaboré système hydraulique qui en cas de siège permettait de continuer à alimenter la cité. La source étant à l’extérieur des murailles, un puits très profond suivi d’un canal souterrain horizontal continuait d’assurer le captage de l’eau. On a descendu des centaines de marches pour arriver tout en bas et suivre le souterrain pour déboucher à 600 mètres de là. Cette construction particulièrement ingénieuse a dû nécessiter un travail énorme.
Le site est superbe, dominant les campagnes alentours et parsemé de palmiers.
Étape suivante à Césarea, l’ancienne capitale administrative romaine, grand port bâti par Hérode reconnu roi de Judée par les Romains. Là encore, une belle zone archéologique avec promenades, restaurants, petit musée et jolis points de vue sur la mer toute proche. Elle a été une ville portuaire très active, capitale de la Palestine centrale, avec hippodrome et théâtre en bord de mer.
On reprend la route du Sud en direction de la Mer Morte. On est déjà fatigués et il y a encore beaucoup de kilomètres à faire.
Plus on va vers le Sud, plus le paysage se désertifie. Après Arad, c’est quasiment le désert, un désert minéral rocheux où plus rien ne pousse à part quelques rares petits arbustes de quelques centimètres. Un panneau annonce le risque de traversée de dromadaires, on en aperçoit effectivement quelques uns. À mesure qu’on descend, les tournants sont de plus en plus serrés, on a l’impression de s’enfoncer dans le lit d’un immense volcan. Le paysage est impressionnant, un peu effrayant. Des roches beiges éclatées, comme déchirées ou explosées sous un ciel d’un bleu délavé brumeux. La descente est longue et lente, et pour cause : on se dirige vers le point le plus bas de la planète : 400 mètres au-dessous du niveau de la mer. On a hâte d’apercevoir la Mer Morte, mais les tournants se succèdent et rien. On croise quelques rares voitures ou cars de touristes.
Enfin, elle est là, brillante comme un miroir éblouissant. On la longe longtemps avant d’arriver à Ein Boqeq. Sur l’autre rive, les montagnes sont aussi pelées.
Au milieu de ce rien minéral, apparaissent au loin des buildings incongrus plantés au bord de la Mer. Il y en a une vingtaine avec leur sigle écrit en énorme pour pas se tromper et bien repérer le sien.
Après cette route éprouvante, on est content de retrouver ces immenses machins issus de la civilisation touristique. La Mer Morte est vraiment morte, il n’y a ni poissons, ni flore, rien ne vit dans cette eau saturée de sel à part des homotouristicus pour qui s’y baigner est un jeu. C’est vrai, on y flotte de façon étonnante. Au début, ça fait bizarre, on a de la difficulté à se remettre sur pied après avoir flotté, mais on s’habitue vite. On a l’impression d’avoir autour du corps des flotteurs. C’est jouissif de se mettre sur le dos, le visage vers le ciel et de nager dos crawlé, on va à toute vitesse. Tout le monde s’y amuse énormément, particulièrement un groupe de japonais qui jubilent.
L’hôtel est immense. Le restaurant présente plusieurs énormes buffets proposant des dizaines de mets. Chacun se sert comme il veut. Grande bouffe, les Israéliens très nombreux semblent se régaler. Ça parle fort, ça s’interpelle. Il doit y avoir des groupes. Peu d’étrangers en revanche. La Mer morte doit être la ballade du shabbat (on est vendredi soir) des citadins de Tel Aviv, de Jerusalem ou d’autres villes. Contrairement à Tiberias et Safed, il y a relativement peu d’hommes porteurs de kipas. L’atmosphère est sympathique, tous semblent s’amuser sans entraves. Le cuisinier a le feeling cuisine juive marocaine car j’ai retrouvé les plats et les goûts de la cuisine de la mère et de ma grand-mère (poissons en sauce, langue, viande avec pois-chiches, etc.) On s’est régalé. Les Israéliens sont fous de salades, semble-t-il, il y en a de toutes sortes. Bien sur, toutes sortes de desserts et les immanquables pastèques que j’adore.
Le lendemain, direction Massada, à une quinzaine de kilomètres. On longe la Mer Morte, puis on bifurque pour se trouver au pied de la célèbre forteresse située sur le plateau d’une très haute falaise. Le paysage tout autour est encore plus impressionnant de désolation et de sécheresse. Il fait pas loin de 40°, on n’arrête pas de boire.
Le téléphérique nous amène au sommet. Il y a une route pour ceux qui veulent monter à pied, mais aujourd’hui, personne ne semble s’y risquer.
Je connaissais l’histoire poignante de Massada, de ces rebelles juifs qui, plutôt que de se rendre à la puissante armée romaine (près de dix mille hommes les encerclaient), ont préféré s’entretuer les uns les autres. On a retrouvé les tessons gravés aux noms des dix hommes tirés au sort chargés de tuer leurs frères. On les voit au Musée à la fin de la visite… Émouvant.
Mais avant ce tragique dénouement, Massada a été une forteresse immense due au très mégalo Hérode, sans doute le plus grand bâtisseur de l’Antiquité romaine. Sur le plateau, deux palais gigantesques avec piscines, salles de réception aux murs peints, bains publiques et privés, synagogues (une des plus anciennes), appartements pour la garnison et surtout des dizaines d’immenses silos (jamais vu d’aussi grands) pour entreposer la nourriture et des réservoirs d’eau pour tenir plusieurs sièges. Une architecture grandiose qu’on met plus de deux heures à visiter sous un cagnard implacable. C’est un des plus beaux sites romains, en tout cas, le plus extravagant pour sa situation et sa hauteur. Il a dû coûter des fortunes pour le bâtir en transports de matériaux, en besoins humains, etc. Hérode, nommé par Rome roi de Judée devait être particulièrement riche et puissant. Je me dis qu’il faudrait que je m’intéresse de plus près à ce tyran-là (on lui doit aussi Césaree).
Épuisés, nous revenons à l’hôtel pour nous écrouler au bord de la piscine où je m’endors après un plongeon et une rapide baignade.
De retour à la chambre, je me branché sur le Net pour savoir où en sont les événements. C’est très triste, la guerre continue de plus en plus. Les Israéliens, après le refus du Hamas de faire un cessez le feu, ont entamé une action à l’intérieur du territoire de Gaza.
Le but est de détruire le maximum de tunnels où sont cachés les roquettes. Cette incursion entraîne encore plus de morts. J’apprends aussi qu’un missile a descendu un avion de ligne de la Malaisienne air Line, tuant d’un coup plus de trois cent personnes. Ce serait les pro-russes d’Ukraine qui l’auraient envoyé par erreur. Cela fait autant de bruit dans la presse que la guerre à Gaza. Poutine est accusé d’avoir armé ces pro-russes et ça chauffe au niveau international. Le monde va mal.
La Mer morte a aussi un gros problème. L’évaporation la rétrécit de plus en plus et ne recevant plus d’affluents, dans quelques dizaines d’années, à ce rythme, elle sera asséchée. Des solutions sont recherchées, pas évidentes vu le contexte politico-géographique. On décide néanmoins d’un petit bain avant d’aller dîner.
Il ne nous reste que quelques jours à passer en Israël et on part pour Jérusalem.

Jérusalem
Aujourd’hui à Yeroushalaïm, pas l’an prochain. Nous y sommes. De l’hôtel qu’on a eu le chance de trouver rapidement, on aperçoit les murailles de la vieille ville, celles bâties par Soliman le Magnifique.
La première vue de la porte de Jafffa, de la tour de David, des murailles crénelées est saisissante. C’est l’image qu’on retrouve dans toutes les représentations religieuses. Les abords de la vieille ville sont dégagés, avec des parcs et des fontaines, des aménagements avec jets d’eau qui semblent beaucoup amuser les enfants et les adultes. On pénètre dans la vieille ville par un souk immense débordant de marchandises des deux côtés. On n’a pas choisi de trajet, on déambule pour découvrir et se plonger dans l’atmosphère de cette ville trois fois sainte, comme on dit. Des rues couvertes, ça descend, ça remonte, ça brasse. Tout est mélangé : objets religieux, vêtements, nourriture, petites échoppes de légumes, de fruits, des bijoutiers, etc. Un panneau indique le fameux mur des Lamentations, on le suit. Passé une porte coiffée de caméras de surveillance et un contrôle doté d’un scanner pour les sacs comme à l’aéroport, on débouche sur l’esplanade. Le mur est là, devant nous, un peu plus petit que je l’imaginais, mais quand même impressionnant : belles pierres bien taillées, plusieurs mètres de haut. Bâti au premier siècle avant notre ère, il est ce qui reste du second temple, détruit en 70 par les romains de Titus qui a aussi vidé la ville de ses Juifs. Ce mur est resté à travers les siècles le symbole du Judaïsme, il en est aujourd’hui le plus saint des lieux, jouxtant l’esplanade des mosquées (lieu saint de l’Islam où Abraham avait failli sacrifier son fils) et le Saint Sépulcre. Des centaines d’hommes prient devant le mur en se balançant, couverts ou non de leur talith, leur châle de prière, et quelquefois ils portent aussi leur tsisith (bandes de cuir avec les petits boitiers où sont notées les paroles sacrées). Il y a séparation des hommes et des femmes. Je m’y rends pour le toucher et le voir de plus près. Des milliers de petits mots enroulés (des vœux) sont mis dans les interstices entre les pierres. À gauche, passé un porche, de longues salles couvertes avec des bibliothèques de livres sacrés pour ceux qui veulent prier. Il y a aussi beaucoup d’hommes qui chantent des psaumes. L’atmosphère est mystique, mais moins que je l’imaginais. Très concentrés, ils prient sérieusement. Je prends des photos de l’ensemble ou de détails du mur, des gens alentours, de tous les bâtiments qui enserrent la place qui donnent envie d’y rester un moment. Après en avoir fait plusieurs fois le tour, on grimpe par quelques escaliers dans le quartier juif. Tout en pierre, il a été complètement rebâti après 67. Belle rues, porches, placettes. On essaie de visiter les quatre plus vieilles synagogues, mais elles sont fermées. On déjeune sur une jolie place au milieu de l’animation. On voit passer une foule bigarrée et cosmopolite de religieux et de laïcs, de touristes ou de pèlerins. Quant aux femmes, il y a deux types très marqués d’israéliennes : les religieuses tête couverte de châle ou d’une perruque (elles n’ont pas le droit de montrer leurs cheveux) entourées d’enfants, très discrètes et timides, et les sabras, celles qui ont fait l’armée, décontractées et à l’aise, cheveux au vent, bien dans leurs baskets, sympathiques, discutant à tout va. Le contraste est saisissant. Les religieux arrivent par grappes : des sœurs, des prêtres barbus orthodoxes en soutane noire, d’autres en robes blanches, etc. Tous ces gens se croisent, les enfants courent dans les rues, l’atmosphère est affairée et bonhomme.
En continuant de déambuler, on arrive au Holy Sépulcre, le saint des saints chrétien. Sur une cour carrée, une porte est ouverte sur le sanctuaire grandiose avec à l’entrée une grande pierre rectangulaire sur laquelle les gens se prosternent. C’est la pierre qui aurait fermé le tombeau de Jésus après sa crucifixion qui eu lieu juste à côté. Sur ce mont a été bâti une immense cathédrale qui le recouvre complètement. Ce lieu sacré est tenu par les prêtres orthodoxes, d’où l’abondance d’icônes, de dorures, de lustres, d’encens, mais aussi de très belles mosaïques dorées. Au cœur de l’édifice, le sépulcre, la tombe elle-même où on peut accéder en faisant la queue. C’est la fin d’après midi, on profite d’un moment où il y a peu de monde pour attendre d’y pénétrer. Un prêtre tout en noir fait la police, il accélère les visites afin que personne ne s’y attarde trop. L’entrée est étroite et basse, il faut se courber pour y entrer et à l’intérieur, on ne peut y être que trois ou quatre en même temps. Le minuscule lieu est sursaturé de lustres, d’icônes, de pendentifs, etc. Certaines familles orthodoxes amènent avec eux leurs livres de prière pour les frotter au tissu recouvrant la tombe d’où Jésus serait ressorti pour monter au ciel.
On visite ensuite les nombreuses salles qui entourent le sépulcre, on descend des escaliers jusqu’à l’endroit où était plantée la croix. Il y a des chapelles partout, les sols de pierre ou de mosaïque sont lissés par les pas de millions de pèlerins qui les foulent chaque année. Il y a du monde partout, surtout des groupes et quelques familles de toutes les couleurs. On entend toutes sortes de langues, mais pas de chants qui doivent avoir lieu lors des messes. Il y a beaucoup à voir aussi dans les étages couverts aussi de belles mosaïques byzantines. On repasse devant la pierre où un mystique eurasien est allongé dessus dans une pose exagérée. On le contourne pour sortir. On quitte cette atmosphère saturée d’encens pour respirer l’air du dehors. On retraverse le souk pour sortir de la vieille ville et retourner épuisés à notre hôtel. De la Mer Morte ce matin aux lieux les plus sacrés des trois religions, on en a plein la tête de toutes ces images et impressions reçues aujourd’hui. Seul le sommeil peut nous aider à digérer tout ça.
Le deuxième jour a été consacré à l’histoire de Jérusalem, et quelle histoire !
La tour de David, à la principale entrée de la ville est une forteresse transformée en musée. Elle recèle des ruines de toutes les époques, depuis les constructions du temps d’Hérode (encore lui) jusqu’aux murailles de Soliman. Une belle ballade avec écouteurs nous fait voyager dans l’histoire. On grimpe d’abord tout en haut de la Tour (qui n’a rien à voir avec le Roi David) pour admirer la ville et comprendre son urbanisme, les différents quartiers, les monts alentours, celui des Oliviers, bien sûr, mais aussi les autres, la ville étant entourée de petites collines. La ville est partagée en quatre quartiers : arménien, juif, arabe et chrétien. Elle a bien sûr subi toutes sortes de dominations. D’origine cananéenne, rien ne la prédestinait à sa fabuleuse histoire. Elle n’était ni sur des routes importantes, ni sur un fleuve, ni entourée de richesses agricoles ou autres. Sa destinée est liée aux religions qui en ont fait leur capitale. Celle des Juifs d’abord, avant d’en être chassés une première fois en -587 par Nabuchodonosor qui a fait détruire le premier temple, le plus sacré, celui contenant l’arche d’alliance, celle des Tables de la Loi reçues par Moïse au Mont Sinaï (disparues par la suite). Le second temple rebâti au premier siècle avant notre ère a été lui aussi détruit et rasé par les Romains dirigés par Titus qui en a banni les juifs (ils ne voulaient pas obéir aux lois de Rome). Jérusalem a été ensuite byzantine, mamelouk, arabe, occupée par les croisés vers l’an mille, puis par l’empire ottoman, puis par les anglais et de nouveau par les juifs dans la deuxième moitié du XXe siècle. Au fil des salles bien illustrées de toutes sortes de documents fabriqués grâce aux dernières connaissances archéologiques, on apprend les détails de l’histoire de cette ville. Une visite passionnante et très pédagogique. La conservatrice du Musée qu’on entend dans les écouteurs a l’air très sympa et a beaucoup d’humour. Elle adore son musée et nous fait partager sa passion.
La visite dure plusieurs heures où on n’arrête pas de monter et descendre des escaliers. Après une pose pour se réhydrater, on quitte la Tour. On y reviendra le soir pour voir le magnifique son et lumière retraçant l’histoire de la ville. À ne pas rater.
Le lendemain, on retourne dans la vieille ville en direction de la via Dolorosa qu’on n’avait pas trouvé la veille. Les stations du Christ sont indiquées. Elle part de l’entrée de la ville jusqu’au Saint Sépulcre. On repasse ensuite par le Mur des Lamentations (ce nom qui n’est pas reconnu par les Israéliens qui l’appellent « Mur Occidental », serait dû au fait que le matin, le mur se couvre de rosée faisant penser à des larmes, une belle image poétique quand même).
On visite le très intéressant musée consacré au mur : ruines de l’époque de Hérode, habitations de grand-prêtres, belles mosaïques de deux mille ans, etc. Très instructif.
En repartant, ayant raté la porte de Jaffa, on tombe sans le vouloir sur l’église de la Dormition de la Vierge puis sur les tombes des rois David et Salomon remplies elles aussi de pèlerins et de religieux. On les visite avec intérêt. Encore une journée incroyable de découvertes et de sensations. Une bonne douche et un long sommeil réparateur sont nécessaires.
Au réveil, la revue de presse n’apporte rien de bon. De plus en plus de morts, de bombardements, de roquettes, d’appels au cessez le feu internationaux qui n’aboutissent pas. Des débats sans fin à la télé israélienne, qui, même si on ne comprend pas, montrent que ça s’engueule entre partisans de la guerre et ceux qui voudraient que ça s’arrête. Des cinéastes Israéliens ont demandé l’arrêt unilatéral des combats, violemment critiqués par des politiques qui veulent le maximum de destruction des forces du Hamas. La télé montre beaucoup de tunnels et les destructions de maisons abritant des armes, des blessés, des morts… La guerre dans toute sa tristesse.
Notre nouvelle journée va commencer aussi par une visite qu’on redoutait, mais qu’on voulait absolument faire, celle de Yad Vachem, le « musée » consacré à la Shoah. Toute ma famille qui s’était rendu en Israël, ma mère aussi, l’avait vu et m’en avait parlé.
Il est éloigné du centre de Jérusalem. Il y avait beaucoup de circulation à son approche, la police gérait la circulation, on a compris pourquoi quand on a vu qu’on passait très près du grand cimetière où se pressaient des centaines de gens, des familles, des soldats… Il se tenait une grande cérémonie consacrée aux soldats juifs qui venaient de tomber dans l’offensive terrestre.
On arrive enfin. Yad Vachem est un grand bâtiment de béton lissé en forme de triangle avec une petite ouverture en haut qui laisse passer la lumière (la lueur d’espoir dans les ténèbres). Des salles successives nous apprennent l’histoire depuis les sources anciennes de l’antisémitisme jusqu’à la fin de la guerre. Je pensais savoir beaucoup de choses sur cet holocauste, mais les frontières de l’horreur sont toujours repoussées. Les milliers de documents photos, dessins, affiches, films et explications (nous avions les commentaires dans les écouteurs) sont plus qu’effrayants. Comment des êtres humains ont-ils pu subir cela ? Comment d’autres être humains « civilisés », d’une grande culture ayant vécu ensemble, fait de la musique, des recherches scientifiques, et même combattu côte à côte pendant la première guerre, ont-ils pu infliger ces atrocités à leurs frères humains, à ceux qu’ils côtoyaient journellement, habitant les mêmes immeubles des mêmes villes, leurs voisins, leurs amis ? Il restera toujours une dimension inexplicable, ce qui s’est passé ne ressemble à rien d’autre. Pourtant l’humanité en a connu et commis des massacres !
Ce mot Shoah qui signifie catastrophe en hébreu ne suffit pas à exprimer les événements impensables qui se sont produits. L’organisation systématique de l’extermination de millions d’êtres humains (avec la complicité passive ou active de millions de gens) depuis leur acheminement par des convois de train, leur regroupement dans des camps organisés pour les trier et leur massacre soit par balles le long de tranchées qu’ils avaient eux-même creusé, soit par gazage était complètement inédite et inconcevable. Avec les fours, les nazis ont voulu faire disparaître jusqu’à leurs traces.
Après la guerre, on le sait moins, des millions d’enfants ou d’individus ont recherché leurs proches. Retournés chez eux où plus rien n’était comme avant, il a été impossible pour la plupart de s’y réinstaller. Rescapés du massacre et presque coupables d’avoir survécu, ils se retrouvaient déracinés, privés de l’essentiel de leurs familles, avec une vie à reconstruire sur des cendres. Certains se sont réfugiés en Israël, d’autres ont tenté le nouveau monde.
Une fois traversé le triangle de béton, on découvre des jardins, des espaces de recueillement, des salles impressionnantes comme le mémorial des enfants évoquant par des milliers de lueurs leur mémoire. D’autres salles très sobres comme celles des déportés, des résistants, font froid dans le dos. La « Salle des Noms » en forme de rotonde, contient des centaines d’étagères remplies de livres recensant l’essentiel des patronymes des victimes. Certaines étagères sont encore vides, des recherches sont toujours en cours pour retrouver les noms manquants.
Dans le parc, on voit aussi un wagon de chemin de fer de triste mémoire et de belles et grandes sculptures contemporaines poignantes. Une très noire en fer qui évoque des corps enchevêtrés fait penser à Guernica de Picasso.

On récupère ensuite la voiture pour revenir près de la vieille ville,et nous rendre au Mont des Oliviers où on visite du jardin de Gethsemani. De très anciens oliviers de plus de deux mille ans auraient pu être vus par Jésus qui aimait s’y rendre en compagnie de ses amis. Une belle église aux plafonds étoilés de mosaïques bleues et or jouxte la grotte où il a été arrêté.
Bien qu’épuisés, notre dernière visite à Jérusalem sera pour le Musée d’Israël, une des plus belles muséographies au monde. De la préhistoire en passant par les antiquités égyptiennes, sumériennes, grecques, romaines aux salles très contemporaines, toute l’histoire de l’art est admirablement représentée. Chaque pièce est parfaitement mise en scène et éclairée. On sent le choix patient et très réfléchi de chaque œuvre représentant le génie humain, la beauté que l’homme est capable de créer de ses mains quand il veut s’élever. Ce qu’il nous reste de mieux de chaque civilisation, on le doit aux artistes. L’histoire de l’art est le contrepoint sublimé de la tragique histoire humaine.
À l’extérieur du musée, on visite des jardins de sculptures, une gigantesque maquette de Jérusalem et un superbe bâtiment couvert d’un toit dont la forme suggère le couvercle qui refermait la jarre contenant les fameux « Manuscrits de la Mer Morte ». Ceux-ci ont été trouvés par hasard à Qumram par un berger dont la chèvre s’était égarée dans une grotte. Exposés sur un présentoir circulaire au centre d’une magnifique salle en pierre, on peut en faire le tour.
Il est 21h, le musée ferme ses portes. On le quitte à regret, il y avait encore tant à voir…

Tel Aviv
Demain, notre périple prend fin. Les nouvelles ne sont toujours mauvaises. La plupart des compagnies aériennes ont annulé leurs vols sur Israël, ce qui nous fait craindre pour notre retour, mais heureusement pas El Al. Notre avion est toujours programmé et nous avons fait imprimer nos boarding pass à l’hôtel.
Prochaine étape en Grèce pour remettre un peu d’ordre dans nos neurones et prendre quelques jours de farniente.

AA

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