Shodoshima est une île bien plus grande, organisée touristiquement avec plein de dépliants vantant les beautés de l’île. Une fois encore, il y a trop à voir pour les trois jours où nous allons rester. Nous déjeunons sur le port dans le restaurant très spacieux d’un grand hôtel un peu vieillot et au charme désuet, comme dans un vieux film. La serveuse note étonemment notre commande avec un stylo directement sur sa main gauche. Le repas est excellent, comme toujours composé de nombreux petits plats, plus les bols de soupe et de riz.
La navette de l’hôtel vient vous récupérer. Cette fois -ci, nous allons séjourner dans un hôtel (un grand), mais toujours des chambres à tatamis. Il domine une baie sublime avec des montagnes se chevauchant à l’infini, de plus en plus pâles avant de se fondre dans le bleu du ciel, comme dans les estampes.

Le coup d’œil en arrivant à l’hôtel est époustouflant. La Mer Intérieure à nos pied semble parsemée d’îles et juste devant nous, une fine langue de sable jaune fait le lien entre deux îlots rocheux. La marée recouvre deux fois par jour ce passage. On a tout de suite envie d’y aller. Mais avant, il faut faire le check in. On est attendus : à l’entrée un petit panneau avec nos noms nous souhaite la bienvenue.
Du grand hall d’entrée, la vue est sublime (comme dans un film de James Bond). Grand comptoir en bois et personnel prévenant qui vient vite récupérer nos bagages. Les chambres sont spacieuses avec une grande baie vitrée sur la mer. On pourrait passer notre séjour à contempler cette vue. J’envisage même de la dessiner. J’ai amené mon matériel, mais n’ai pas encore eu le temps ni la force de l’utiliser jusqu’à présent.

Tatamis au sol, table basse avec très joli nécessaire de thé dans une boite ronde, bouilloire, miroir à trois faces, joli tableau représentant une branche de cerisier en fleur, et même une télé (dont j’avais oublié l’existence). Le temps est distordu, j’ai l’impression d’être ailleurs depuis longtemps.

Les kimonos nous attendent avec leur ceinture artistiquement pliée. On en avait déjà eu à notre disposition lors de la nuit passée à Osaka, mais ceux-là sont nettement plus beaux : deux bleus différents ornés d’écritures et de fleurs blanches. Le kimono va très bien à Danielle. Avec ses cheveux relevés, elle a tout à fait le look japonais.

On apprend qu’il y a un onsen (bain traditionnel japonais) en plein air. Je vais beaucoup le pratiquer. Cela va faire le plus grand bien à mon dos un peu souffrant. Les bagages défaits une heure plus tard, avec mon ami Hatsuo, on décide de s’y rendre. Il n’est pas tout à fait prêt et me dit d’avancer, mais je me retrouve comme un imbécile devant deux noren (un rideau de tissu fendu au centre pour faciliter l’entrée, généralement accroché devant la porte d’entrée des magasins ou des maisons) ornés de grands signes. C’est très japonais : ils empêchent de voir l’intérieur tout en jouant le rôle de barrière symbolique, mais facile à franchir. J’avais devant moi deux entrées à noren, un bleu et un rouge ornés d’un grand signe : laquelle était pour les hommes ? Bien sûr, je n’ose pas aller voir, d’autant qu’on s’y baigne nu et je ne voudrais pas affoler les jolies japonaises qui doivent y être. Renseignement pris auprès d’Hatsuo, ils sont ornés du signe ou kanji 湯 Yu, signifiant eau chaude ou de l’hiragana correspondant ゆ (là, c’était ゆ). L’écriture japonaise est trop complexe pour l’expliquer simplement. Il existe quatre écritures japonaises différentes (voir Wikipedia pour ceux que ça intéresse). L’indication n’était pas de toute façon dans le signe, mais dans la couleur, les femmes vont à l’entrée rouge et les hommes à l’entrée bleue. L’intérieur est superbe : trois bassins d’une profondeur d’une quarantaine de centimètres au sol en mosaïque bleue face au spectacle de la mer et des îles.

Il faut d’abord bien se doucher assis et se savonner sur des petits bancs disposés le long des murs face à des miroirs avant de rentrer dans le bassin. Des petites serviettes blanches sont fournies pour se frotter le corps. Une fois dans le bassin, on les met sur la tête. L’eau est très chaude et assis, on a juste la tête qui dépasse (avec la serviette blanche dessus). Mon ami Hatsuo a ainsi encore plus l’air d’un japonais. Il y a un grand bain, un plus petit (moins chaud), mais le plus beau est à l’extérieur, en plein air, fait de rochers et de pierres noires plates. Assis sur les pierres (il est très chaud), on admire le ciel et les nuages. Très zen. On est bien.

On n’y reste pas plus de dix minutes car nos têtes commencent à rougir. On regagne le grand bain à l’intérieur d’où on peut se relaxer en admirant la baie. Ensuite, on doit se redoucher, puis dans le grand salon de l’entrée, pourvu de sièges bas face aussi à des miroirs et de tout le nécessaire pour se raser, se curer les oreilles, et des peignes en plastique blanc pour se brosser les cheveux tout en utilisant les séchoirs. On sort de là tout propre, tout rouge et plein d’énergie. Le soir, on dîne dans un petit restau de pâtes au bord de la mer. Le cuisinier est en même temps serveur et caissier. À lui tout seul, il fait marcher le restau. Ses raviolis et ses soupes sont pas mal.
On redécouvre dans nos chambres le paysage qu’on ne se lasse pas d’admirer, même de nuit. Les lits, toujours des futons, sont très agréables. Pas pour nos dos inhabitués à cette dureté, mais pour la sorte de couette qui nous recouvre. Elle est très « cocoonante », légère et très épaisse à la fois. On s’y love avec délice.
Le matin, on commence bien entendu par descendre l’escalier menant au bord de l’eau et on se dirige vers la langue de terre qui permet le passage entre deux îlots rocheux à certaines heures seulement. C’est une « attraction » qui attire beaucoup de monde. Ça photographie de partout, une jeune fille pose gracieusement épaule découverte pour son copain qui la bombarde de photos. Des pierres affleurant la mer forment un paysage très jardin japonais. On se promène longuement en faisant le tour des îlots. Certains passages sur les rochers sont délicats, on risque de se retrouver dans l’eau (qui est plutôt chaude). Des algues accrochés a des bouts de rochers ont été surprises par la marée. Elle semblent s’assècher en attendant vivement la prochaine montée des eaux.

Un grand arbre à souhaits accueille des centaines de petits mots sur papier blanc et sur des coquillages, genre coquille Saint Jacques. Un promontoire avec observatoire domine la langue de terre, on y monte. Il y a tout en haut un petit autel consacré aux amoureux avec une cloche et un petit marteau de bois avec lequel on doit taper deux fois pour alerter le kami. On suit évidemment le rite.
On part ensuite en ballade dans le village où on découvre un très joli temple orangé avec une pagode très haute qui surplombe le village. L’intérieur est doré et surchargé de lustres, de petits tableaux, de colliers, de colonnes, de tables à offrandes destinées aux divinités.
C’est beau et émouvant. On allume des petits bâtons d’encens (on doit déposer cent yens) et Danielle prend un petit papier plié qui est censé dire l’avenir (cent yens aussi, moins d’un euro). Elle n’a pas tiré un « good luck ». Ça lui dit plutôt d’attendre que le vent tourne… La Promenade continue jusqu’au fameux étroit canal (qui est dans le Guinness book des records). Il doit faire trois mètres au maximum et permet de passer d’un bout à l’autre de l’île. Juste en face, on voit un restau qui s’appelle « Life is beautiful » dont la spécialité unique est le curry. On décide d’y aller bien que le menu soit tout en japonais. On verra bien. Gentiment accueillis par une jeune japonaise à casquette (j’ai déjà remarqué que le personnel est partout beaucoup plus jeune qu’en France), on s’installe le long du comptoir (c’est très courant ici). Très souriante, elle nous amène le menu avec écrit en tout petit à la main et en anglais la traduction simplifiée des plats proposés, tous au curry bien sûr. Poulet pour moi, fromage pour Danielle avec un bol de riz . C’est succulent et un peu piquant (ça fait transpirer). Les commerçants sont nettement plus empathiques que chez nous. Il y a, on le sent, un plaisir à nous accueillir et à nous servir, ils sont « honorés » de notre présence chez eux et font tout pour nous rendre agréable ce moment passé dans leurs murs. Les plats sont généreux, faits à la minute avec des produits frais devant nous de l’autre côté du comptoir. Ils vont très vite pour préparer et servir, à l’écoute instantané de nos désirs. C’est vraiment plaisant. Moi, qui suis toujours pressé, ça me convient tout à fait. Dans les rues, les vitrines des boutiques présentent souvent des petites figurines porte-bonheur, des animaux meugnons, des babioles, des petits bijoux dont la fonction est apotropaïque (éloigne le malheur). Ce sont des petits cadeaux que tout le monde se fait. Même dans les temples, on peut acheter des multitudes de choses censées porter bonheur. Les gens ici semblent assez superstitieux et accorder une grande place aux objets intercesseurs. Il faut que j’étudie de plus près leurs coutumes souvent à la fois shintoïstes et bouddhistes (ils ne sont pas sectaires).
Après une grande ballade dans les petites rues, on rentre à l’hôtel. Sieste, écriture et onsen pour le reste de la soirée. Le dîner est à partir de 18 h. À 21 h, les restaus ferment, heureusement pas l’onsen, ouvert jusqu’à 23 h. L’ouverture est le matin à 6 h. À sept heure, j’y suis. Comme il y a un beau vélo d’appart, je reprends mes habitudes. Trois quarts d’heure de vélo, rasage, onsen et redouche pour être au point. Petit dej dans la chambre face au panorama somptueux. Le nécessaire à thé est rond et joli. Il y a tout ce qu’il faut. On a acheté des brioches et des petits gâteaux qui vont parfaitement avec le thé vert.
On va visiter un vieux village, en fait, une reconstition pour le tournage d’un film des années 50 très célèbre au Japon, « Les 24 prunelles ». Une histoire émouvante d’une classe et de son institutrice mal vue parce que moderne (elle vient en vélo à l’ecole). Elle s’est tordu le pied dans un piège que lui ont tendu pour rire d’autres enfants (ils avaient creusé un trou dans le sable qu’ils ont partiellement recouvert, mais malheureusement, elle se fait mal). Elle est emmenée à l’hôpital et marche avec une béquille. Ses élèves vont la voir et deviennent ses amis pour la vie. Pendant la guerre, les garçons sont enrôlés, les filles ne peuvent pas poursuivre leurs études, etc. Elle revoie certains de ses élèves…, une métaphore des difficultés à vivre dans le Japon militariste… Un film en noir et blanc avec de beaux cadrages et de très bons acteurs qui ont ému les foules (et obtenu un Golden Globe). Un remake de celui des années 50 a été fait en 1980 pour lequel ces décors ont été réalisés.

Les décors ont été conservés et attirent beaucoup de monde. La reconstitution du village et de son école est charmante. On se croirait au XIXe où XXe siècle : maisons basses de pêcheurs au bord de l’eau avec le linge qui pend, petites rues intérieures, ponts surplombants un petit ruisseau.
Il y a même un petit cinéma qui rappelle ceux que j’ai connus (voir photos) : rideaux rouges, sièges anciens, caisse en petits carreaux de mosaïque, banquette ronde, photos d’acteurs aux murs, etc. On s’y est installé et on a regardé une bonne partie de ce film très bien réalisé (il fait penser au magnifique « Sept Samouraïs » revu récemmment à la télé . Je ne sais pas s’il en existe une version française.

Pas loin du village reconstitué, l’old school, l’école où a été tourné celui des années 50, elle aussi pleine de charme. On a vu arriver un car de salary-men qui avaient l’air de se réjouir de retrouver une école semblable sans doute à celle de leur enfance. Ils ont joué aux élèves et au professeur.

Au retour en bus, on s’arrête au village de l’huile. Shodoshima est la capitale japonaise de l’huile d’olive. Elle est très réputée et très bonne. C’est peut-être subjectif, mais en la goûtant avec un petit carré de pain trempé dans une petite coupelle d’huile préparée avec un sel spécial, j’ai eu l’impression qu’elle m’avait revigoré (j’étais un peu fatigué et ensuqué).

Ce village de l’huile évoque la Grèce (des oliviers viennent de Kalamata). Il y a un moulin, une église grecque et une grande statue d’Athéna et de la Venus de Milo. On se ballade agréablement dans la forêt d’oliviers. Ils sont plus petits que chez nous et leurs branches sont à ras du sol. Les olives sont noires, rondes et un peu plus grosses que les niçoises. On a acheté une petite bouteille d’huile et quelques unes de leurs spécialités : chocolats, gâteaux, pâtes et bien sûr, savons, le tout à l’huile d’olive.
Retour tardif à l’hôtel, aussi je vais directement à l’onsen pour profiter des dernières lueurs du crépuscule sur la mer et les collines.
Le soir, comme on doit se séparer de nos amis Dvorah et Hatsuo qui repartent à Nice, on se fait un dîner dans un bon restau de poissons. Je prends mon premier menu entièrement sashimi (jusque là, je n’avais pas osé). Arrive sur la table pour chacun un plateau de bois joliment laqué avec plein de coupelles remplies de tranches fines de poissons, de fruits de mer crus et de choses inconnues, plus, bien entendu, les bols de riz et de soupe servis systématiquement quoi que vous preniez. C’est délicieux. On trempe les fines tranches dans du soja additionné de wasabi (un peu piquant). Tout est excellent, à part peut-être les tentacules de poulpe cru un peu trop caoutchouteuses à mon goût. A 21 h, on voit le personnel tout laver et ranger. Faut partir. À la sortie, une vitrine montre le proprio (celui qui découpait le poisson) en compagnie d’un ministre et de gens célèbres m’a dit Hatsuo. Une bonne adresse.
Dernière nuit avec la sublime vue. Au matin, vers 6h30, dernier tour à l’onsen. Il y a beaucoup plus de monde, plutôt des anciens à crâne chauve ou barbiche. A poil, on se salue respectueusement d’un mouvement de tête et du corps.
On refait nos bagages, un au-revoir à nos amis et navette pour Okayama. Un peu d’art contemporain quand même… Au port, les toilettes sont arty.

Chroniques de la Mer Intérieure
1.
https://alainamiel.wordpress.com/2018/10/27/chroniques-de-la-mer-interieure/
2.
https://alainamiel.wordpress.com/2018/10/28/1081/
3.
https://alainamiel.wordpress.com/2018/10/31/chroniques-de-la-mer-interieure-3/
4.
https://alainamiel.wordpress.com/2018/11/03/chroniques-de-la-mer-interieure-4/
5.