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Partis à minuit du bel aéroport hyper moderne et agréable de Madrid (de l’architecte britannique Richard Rogers en collaboration avec l’espagnol Estudio Lamela), l’avion a mis treize heures pour franchir les quelques dix mille kilomètres qui nous séparaient de Santiago du Chili.

Un peu long, mais on est installé face à un écran qui nous propose une vingtaine de films récents. J’ai pu notamment voir Lee, un super film sur Lee Miller, célèbre photographe qui a vécu pendant les guerres des choses terrifiantes qu’elle raconte sous forme d’un dialogue-interview avec son fils. C’est, je crois, le plus beau film sur le métier de reporter de guerre, une reconstitution du contexte dans lequel ont été réalisées les photos. C’est elle qui a immortalisé son bain dans la baignoire d’Hitler comme un ultime clin d’œil à l’histoire. Il y avait d’autres films que j’ai essayé de voir, mais je m’endormais le plus souvent.
À un moment, tout s’est allumé et les hôtesses de vol nous ont apporté à dîner. Il était pour nous deux heures du matin ! J’ai préféré dormir au milieu des odeurs des plats servis. Je me suis réveillé un peu plus tard, les lumières s’étaient éteintes, seuls les écrans racontaient toutes sortes d’histoires. C’était hallucinant de voir ces dizaines de visages inconnus éclairés par les écrans. Et quand je me suis de nouveau réveillé un peu plus tard (je dormais en pointillés), j’ai reçu une autre vision étonnante de ces dizaines de personnes assises et endormies recouverts d’une couverture rouge devant des écrans éteints… Je n’ai pas osé prendre des photos. Je le ferai discrètement au retour.
Les trous d’air, le bourdonnement de l’avion et un silence entrecoupé d’annonces que nous traversions une zone de turbulences et qu’il valait mieux ne pas quitter notre siège ont duré jusqu’au moment où tout s’est rallumé (deux heures avant l’atterissage) et qu’on nous a servi un petit déjeuner frugal. Tout le long du voyage, j’ai pu suivre sur l’écran la traversée en oblique de l’immense Océan Atlantique, puis le survol de toute la largeur de l’Amérique du Sud. La modélisation en 3D très bien réalisée nous montrait les paysages traversés et on pouvait même avoir la vision du pilote avec le nez de l’avion devant nous.

Enfin, on arrivait à Santiago. Il était 10 h du matin, la chambre de l’hôtel n’étant pas prête, nous avons laissé nos bagages et mal réveillés, nous voilà plongés dans la chaude atmosphère (30 degrés) de Santiago. Un choc thermique puisqu’à Nice, il faisait une douzaine de degrés. Santiago est une grande ville de sept millions d’habitants, le tiers des habitants de ce pays à la géographie bizarre, un long ruban de 4300 kms bordant l’océan Pacifique et de 180 kms de large, adossé à la Cordillère des Andes qui l’isole du reste de l’Amérique du Sud. Santiago une ville très étendue avec des buildings modernes, des immeubles pas beaux et quelques belles maisons basses.

file à la plaza de Armas, c’est la place historique de Santiago, celle fondée par Pedro de Valdivia, le conquistador espagnol qui l’a créée et en a bâti les prémisses. Conquistador sanguinaire comme tous les autres, massacreur des ethnies locales Mapuches, il a mal fini. Pris dans un guet apens, ils l’ont capturé, lui ont coupé les bras qu’ils ont mangés devant lui. Il faut dire que lui avait coupé les nez et les mains de tous ses prisonniers Mapuches. Epoque épique ! Une grande statue le montre glorieux sur son cheval car c’est lui qui a décidé de l’implantation de la capitale à cet endroit et qui en a dessiné les plans bien carrés avec des rues qui partent en angle droit, une architecture qui a donné son orthogonalité à toute la ville.

La place est bordée de beaux bâtiments, d’une immense église avec de belles fresques au plafond, de belles peintures aux murs, il y a même une belle copie de l’Ascension de la Vierge de Titien. Un peu plus loin, une casa del fierro, une maison Eiffel en fer de même type de celle d’Iquitos (il les a vendues en pièces détachées à plusieurs villes d’Amérique du Sud), d’autres palais, et un jardin central animé par un couple de danseurs de tango.

Les gens ont l’air détendus, souriants, les terrasses sont presque pleines, il y a beaucoup de restaurants, plutôt fast-food à l’américaine. Des groupes de touristes circulent. On déambule tranquillement le nez en l’air puis on déjeune sur la place.
On retourne à l’hôtel pour s’installer dans nos chambres. Petit repos, puis on se rend au Cerro San Cristobal, une très haute colline qui surplombe la ville. Le Routard conseillait de commencer par prendre de la hauteur pour admirer la ville grâce à un funiculaire qui grimpe au sanctuaire de la Vierge dont la statue très blanche domine la ville. Sa tête est auréolée d’étoiles dorées, on a pu s’en rendre compte quand on l’a vue de près. La vue de la ville de haut n’est pas terrible. À part les buildings bleutés, on voit des petits immeubles gris et carrés.

Dans ce grand jardin à étages, des cafés servent de grands verres en plastique transparents remplis de liquide couleur thé et de graines. Voyant que la plupart des gens en avaient sur leurs tables, j’ai voulu y goûter. En fait, c’est un thé rempli de moitiés de pêches et de graines de blé. Le thé et les pêches m’allaient bien, mais je n’ai pas pu manger le fond de graines de blé. On s’est promené en prenant des photos, puis la ballade se poursuivit jusqu’à un téléphérique qui nous transportait dans de petites cabines de quatre personnes sur plusieurs kilomètres au dessus des bois puis redescendait au pied de la colline. Je ne me sens pas très bien en sécurité dans ces petites cabines et j’ai un peu le vertige, mais tout s’est bien passé, j’ai pu un peu admirer le paysage, mais j’avais hâte qu’on arrive. Cette colline est en fait un grand jardin très agréable qui se prête à toutes sortes d’activités : beaucoup de vélos, un acro-branche, un zoo, des marcheurs, des parcours au milieu de plantes originales, un jardin mapuche, un autre japonais, etc.


Nous continuons cette ballade dans la colline jusqu’à la tombée de la nuit. Après un retour à l’hôtel, on sort visiter Lastarria, un quartier jeune et sympa. J’avais repéré sur le Routard un restau nommé « La République du Pisco ». Le pisco, c’est la boisson reine du Chili et du Pérou. Il existe de nombreuses variétés de cet alcool de raisin et ils le préparent d’une infinité de manières. J’aime particulièrement le pisco sour. À Lastarria, les rues sont comme à un vide-grenier géant. Sur les trottoirs sont étalés toutes sortes de vêtements et d’objets divers. Chacun propose à la vente ce qu’il veut, c’est un marché totalement libre qui doit se dérouler tous les soirs devant les nombreux bars et restaus de cette longue rue bordée d’anciennes demeures aux architectures art nouveau. On verra par la suite que c’est une pratique très courante au Chili. Sur les places, dans les rues et jardins, chacun peut déballer sa marchandise et la proposer à la vente. Le dîner à la « République du Pisco » est excellent, ambiance sympathique, les garcons sont souriants. On se débrouille avec l’anglais, le français n’a pas l’air trop parlé à part quelques mots.

Retour à l’hôtel après 24 heures bien remplies par la traversée de dix milles kilomètres et la journée non stop qui a suivi. Le lendemain, on se rend directement au Musée précolombien. Un grand musée central où on commence la visite en descendant un grand escalier tout noir qui s’enfonce sous terre, une métaphore des origines : « Chili ante Chili ». Deux étages plus bas, une belle et grande salle très sombre (peut-être un peu trop pour pouvoir admirer en détail les superbes objets exposés et leurs explications), remplie de trésors issus des treize grandes civilisations existantes avant l’arrivée de Christophe suivi de hordes de massacreurs d’indiens. Leur vaisselle, leurs tissus, leurs bijoux, leurs sculptures montrent leur immense raffinement qui vaut bien celui de l’ancien monde à la même époque. Des momies chinchorro datant de deux mille ans avant celles des Egyptiens, des quipus, déjà vus au Pérou, sortes de cordettes à nœuds utilisées pour la comptabilité, des instruments de musique, des objets funéraires, de superbes vases admirablement décorés, des drôles de pipes servant à fumer des drogues pour communiquer avec les esprits, etc. Et surtout un bel ensemble impressionnant de grandes sculptures en bois.


J’ai cherché dans leurs traits et dans leurs yeux ce qui les différenciaient des Moaïs. On visite ensuite les salles des étages, des vitrines très bien scénographiées présentent les œuvres de toutes les ethnies d’Amérique du Sud. Cet immense continent par sa géographie et son histoire a vu naître des dizaines de civilisations qui s’y sont succédées et chacune a laissé son empreinte dans son art. Chaque salle présente une zone géographique (du Mexique à la Terre de Feu) et montre la richesse et la diversité de leurs œuvres. Il y en a tellement qu’on est saturé d’informations. Il faudrait y consacrer plusieurs journées.

À la sortie du Musée, on se rend au Mercato Centrale, le grand marché couvert de Santiago au toit de fer ouvragé. On est étonnés par la quantité de poissons et de fruits de mer qu’on y voit (des huitres et des palourdes géantes, des poissons inconnus, d’immenses araignées de mer et des restaurants sympathiques et fleuris en plein milieu avec une chaude ambiance, un banjoïste jouant entre les tables… On en choisit une où à chaque araignée de mer commandée, ils font la fête en la montrant à tous les clients qui s’empressent de venir la photographier toutes pattes orangées écartées. Je me régale de poulpes aux poivrons et tomates accompagné de bon vin blanc local (le Chili est réputé pour la qualité de ses vins).


Grande ballade digestive après avoir fait le plein de photos du marché en suivant les rues où de belles maisons des années 30 cotoient des immeubles sans grâce des années 50. On retrouve l’hôtel en fin de journée et on décide de ne pas ressortir car nous avons prévu le lendemain d’aller en excursion à Valparaiso (lever à 6 h).

Valparaíso, ce nom est associé dans nos mémoires à des voyages maritimes mythiques, à une chanson : « nous irons à Valparaiso-o-o », à un port célèbre de l’océan Pacifique. Ce Valle paraíso, la « Vallée Paradis » des marins a attiré des centaines de milliers de migrants. Avec l’indépendance du Chili, il devient le port le plus important du pays et l’escale nécessaire pour passer à l’océan atlantique par le détroit de Magellan (jusqu’à l’ouverture du canal de Panama qui va entrainer un petit déclin). C’est également une ville artistique, intellectuelle et politique qui accueille des institutions internationales. Le grand port très actif est au pied de plusieurs collines qui enserrent la ville où vivent la plupart des habitants dans des petites maisons basses, mélanges d’habitation précaires aux toits en tôle ondulée et de beaux hôtels particuliers qui s’étagent sur les collines. Ce sont des milliers de maisons dont près de trois mille ont été détruites lors d’un grand incendie en 2014 mais qui sont aujourd’hui réhabilités et couvertes de streetart hypercoloré. En accord avec les habitants et les autorités, les artistes ont envahi la ville devenue un paradis du streetart.


Tous les styles y sont mêlés, de la BD, aux portraits réalistes, aux fresques racontant des histoires couvrant des rues entières, escaliers compris. il y en a des centaines permettant d’accéder à tous les étages de cette ville toute en hauteur (il y a aussi heureusement beaucoup d’ascenseurs). Toutes ces peintures murales sont éblouissantes et se prêtent évidemment à la photographie et aux selfies. Le guide de notre petit groupe est sympathique, dynamique, il nous recompte à chaque étape car certains ont tendance à traîner. Il nous prend en photos dans des jolis coins à escaliers et nous a appris le mot d’ordre venu du foot mais adopté par tous les chiliens : « Chichi-lélé, Viva Chilé » !

Redescendus de cet univers hyper coloré, nous avons déjeuné avant de rencontrer notre premier moaï importé à Valparaiso, d’une taille modesteô de deux mètres environ mais à l’allure impressionnante. Comme j’ai beaucoup lu sur ces géants de pierre, j’étais tout ému d’en voir un en vrai. Il paraît qu’il y en a un à Paris au Quai Branly (ramené en 1872 par Pierre Loti), et deux autres têtes au Louvre. Un autre, en procédure de restitution, est au British Museum, et d’autres encore ailleurs partout dans le monde.

Retour à l’hôtel, bain à la piscine et repos jusqu’au soir où nous avons dîné (super bien) dans un restau moderne conseillé par le routard (mon meilleur ceviche à ce jour) Pour le dernier jour, visite de la maison de Pablo Neruda. Modeste demeure aux nombreuses pièces situées à trois étages différents desservis par de petis escaliers extérieurs au milieu d’arbres et de plantes. Avec ses fenêtres en forme de hublots, on se croirait dans un bateau. Cette demeure est remplie de peintures, de petites sculptures précolombiennes et africaines, et bien sûr de livres. Il y a une pièce avec un bar pour accueillir les amis, une autre avec une cheminée en pierre, sa chambre à coucher avec un fauteuil usé et une petite salle de bain. Tout en haut, son grand bureau avec quelques uns de ses textes manuscrits, d’autres tapés à la machine à écrire (corrigés à la main) et ses émouvantes lunettes posées dessus. Cette maison est à l’image du poète (il en avait trois en tout: une à Valparaiso, l’autre à l’Isla Negra). Une video dans une petite salle nous rappelle les principaux événements de sa vie, ses voyages, ses rencontres.

Demain, enfin, on prend d’avion pour Rapa Nui, le vrai nom de l’île de Pâques.

SUITE : PREMIÈRE CHRONIQUE DE RAPA NUI

Santiago 

Première chronique de Rapa Nui

Deuxième chronique de Rapa Nui

https://alainamiel.fr/2025/03/01/deuxieme-chronique-de-rapa-nui/
https://alainamiel.fr/2025/02/27/les-chroniques-de-rapa-nui/

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