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Les livres ont toujours rempli mon univers. Très jeune, j’aidais mes parents dans leur librairie. Fils et frère de libraire, j’ai commencé à lire Freud à l’âge de quatorze ans. Je me disais :  «Quand je serai grand, je ferai une psychanalyse». J’étais alors passionné par Sherlock Holmes dont j’avais lu tous les livres.  Depuis toujours l’enquête me passionnait et l’idée d’enquêter sur moi-même m’intéressait. Je suis ajourd’hui critique d’art mais je me considère (et mes amis aussi) plutôt comme un « enquêteur d’art » plutôt que critique.
 J’ai classé, recollé, emballé, acheté, vendu des livres et j’en ai même piétiné car à la rentrée des classes, l’activité était intense. A l’époque, les livres n’étaient pas donnés dans les écoles, collèges ou lycées, et à la période de la rentrée des classes, les enfants accompagnés par leurs parents venaient vendre les livres de la classe précédente pour achetaient ceux de l’année suivante. Les livres jonchaient le sol dans l’arrière-boutique et on marchait dessus pour les prendre, les restaurer et les ranger dans les rayons. 

Après Sherlock et Freud, vers l’âge de vingt ans, j’ai entendu parler de Lacan et j’ai commencé par tenter de lire ses inbitables Écrits (dont il a dit plus tard qu’ils n’étaient pas faits pour être lus). Heureusement, ses Séminaires étaient plus lisibles. 

J’ai voulu faire des études de médecine pour être psychiatre-psychanalyste, mais mon analyse (dix anneés à raison de trois séances par semaine) m’a renvoyé aux livres et je me suis retrouvé éditeur. J’ai fait le tour des métiers du livre : les fabriquer, les diffuser, les vendre, faire leur com et pour finir, en écrire, surtout sur l’art que j’ai rencontré également très tôt.
Au sous-sol de la grande librairie dont mon frère était directeur, le rayon livres d’enfant où je lisais les BD qui venaient de paraître ouvrait sur un espace galerie d’art. Je voyais les adultes passer devant moi pour aller contempler les tableaux. J’allais voir bien sûr les toiles ou les sculptures, mais ce n’est que plusieurs années plus tard que je me suis passionné pour l’art. Le tableau de Yves Tanguy « Jour de lenteur » que j’ai découvert dans le Lagarde et Michard m’a fasciné, puis j’ai aimé Dali, Renoir (que mon père appréciait particulièrement). Picasso, Monet, Léonard, Boticcelli…
Les livres et les tableaux ne m’ont plus quitté et devenu éditeur, j’ai publié des livres d’art, de psychanalyse, de BD, de sciences, de poésie.  Faire des films n’était pas dans mon ADN, mais il y a une douzaine d’années que j’en réalise. 

Vous trouverez ci-dessous quelques uns de mes textes et de courts-métrages sur Freud, Lacan, le Rêve, Duchamp, etc. J’ai même participé inopinément à la publication d’un Séminaire inédit de Lacan à Nice (j’y étais). 

Pour commencer, un reportage sur la projection du film « Télévision » en présence de son réalisateur Benoît Jacquot.

Télévision de Benoît Jacquot

Projection du film en présence du réalisateur Benoît Jacquot.
Dans le cadre de « Psychanalyse et Cinéma »
6 décembre 2015 à l’auditorium de MAMAC

    4.ldebout

Assistant de Marcel Carné, de Duras, de Vadim, Benoît Jacquot fait ses débuts au cinéma en 1965 en tant que stagiaire sur Angélique et Le Roy de Bernard Borderie, puis comme réalisateur à l’Institut National de l’Audiovisuel.. Intéressé très tôt par la psychanalyse, ses premiers films : L’Assassin musicien (1975) et surtout Les Enfants du placard (1977), font intervenir l’inconscient. À propos des Enfants du Placard, un drame familial psychanalytique, il dit : « Je me suis référé à Lacan, à ce que j’ai fait sur Lacan, à l’admiration que l’on sait que je lui porte ». Par la suite, il pratiquera un cinéma éclectique et expérimental dont les personnages principaux (joués par Huppert, Adjani, Godrèche, Kimberlain, Ledoyen, etc.) sont des héroïnes en rupture avec leur passé, leur famille ou leur métier. Il réalisera aussi mises en scène de théâtre, comme l’adaptation des Adieux à la Reine pour laquelle il reçoit trois Césars. Il retrouvera aussi Freud (dans Marie Bonaparte jouée par Deneuve).

Télévision

2.jacqlacan

En 1974, il assiste au Séminaire et propose à J-A Miller de réaliser un documentaire sur Lacan. Miller, intéressé par le projet, appelle Lacan pour lui demander de recevoir Benoît Jacquot. Le soir même, le rendez-vous a lieu et la date du premier tournage arrêtée. Le réalisateur nous apprend alors qu’un premier film a été réalisé, qui n’a pas été retenu. Il s’agissait d’une conversation « à bâtons rompus« , « style café de commerce lacanien », nous dit Jacquot. En tout, trois heures de conversation qui se sont avérées inutilisables pour une émission de télévision. Il a fallu tout recommencer et les premières bandes (« acte manqué« , nous dit Jacquot), ont été perdues. Après avoir envisagé différents projets, ils s’arrêtent sur celui d’un interview classique préparé par des questions écrites pour lesquelles Lacan rédigera à l’avance ses réponses. Les rôles étaient répartis : Jacques-Alain Miller, le scénariste, Jacquot, le metteur en scène et Lacan, la vedette… On n’était plus dans la captation d’un entretien mais dans une écriture cinématographique classique dont le projet était de transmettre quelque chose du réel au moyen de la fiction. Dans cet entretien, Lacan s’adresse au public de la télévision comme à celui de son séminaire, en « analysant », ou, comme il le dit aussi, « à la cantonade ». Tous les plans ont été préparés, les cadrages minutés à l’avance, etc., mais c’était sans compter la capacité d’improvisation du docteur qui allait s’évader parfois de ses propres textes dans des envolées lyriques, troublant l’organisation prévue. Benoît Jacquot nous donne quelques autres détails du tournage : réalisé en trois ou quatre séances avec deux cadreurs, un perchman, un éclairagiste, plus Miller et Sylvia (qui venait entre deux prises recoiffer son mari). Le dessin de Masson Pendant que Lacan parle, surtout dans les plans larges, on a l’impression que plusieurs paires d’yeux (père Dieu) nous regardent. Le grand dessin offert par Masson (beau-frère de Lacan) et placé sur le mur derrière le bureau semble rajouter plusieurs regards énervés à ceux que Lacan pose sur nous.

L’entretien une fois monté et finalisé, il a fallu s’occuper des passages télé, une histoire savoureuse… Lacan a demandé que cette émission passe à l’heure de la plus grande écoute sur la plus grande chaîne. A l’époque, c’est encore l’ORTF, une administration centrale dirigée par le pouvoir. Il n’y avait que trois chaînes et diffuser un entretien avec Lacan un samedi soir en prime time, et sur la première chaîne, c’était totalement irrecevable.
J-A Miller et Jacquot ont l’idée d’organiser une soirée de projection du film dans une salle de cinéma où ils invitent la crème des intellectuels français (Foucault, Derrida, Deleuze, Sollers, Levi-Strauss, etc.), une salle comble destinée à impressionner les patrons de chaîne. Pari réussi, un peu troublés, ils envisagent de faire passer l’émission en deuxième ou troisième partie de soirée. Cela ne satisfait pas Lacan qui décide alors de prendre les choses en mains. Il téléphone à quelques uns de ses analysants ou ex-analysants, des politiques, personnages puissants de l’Etat ou des partis, et obtient rapidement ces passages deux samedis soir de suite sur la première chaîne dans la série Un certain Regard. L’émission va avoir un petit succès, la presse en fera part (un grand article dans France Soir, etc.).

5.lsouriant

Benoît Jacquot nous signale qu’un montage plus court a été ensuite réalisé, celui probablement dont a été tiré le livre publié au Seuil (ce qui explique que le texte n’est pas tout à fait le même). Dans sa dédicace à Jacquot, Lacan déclare que le film n’a pu se faire que parce qu’il « avait su lui plaire ». Lors de la discussion qui a lieu ensuite avec le public, l’organisateur fera remarquer que cette interview est particulièrement intéressante à plusieurs titres : pour la valeur du témoignage bien sûr, pour la présence physique et la gestualité de Lacan (ses respirations, ses envolées, ses assertions ponctuées de larges gestes) que beaucoup découvrent, mais surtout parce qu’il se situe à un moment important de la vie de Lacan, celui où il remet en question ses anciennes théories et en bâtit de nouvelles.
Le film annonce le « dernier Lacan », celui encore plus iconoclaste que les précédents, qui « psychanalysant la psychanalyse », insiste sur la part irréductible de chaque inconscient et sur la singularité de chaque être.

Télévision est visible sur à cette adresse :
https://www.youtube.com/watch?v=fUSm8Snt7vI

Un film réalisé à l’Université de Louvain en 1972 qui contient un petit historique avec photos de Saint Anne, de son bureau, etc., présente des moments d’un Lacan plus intime (qui a l’air de se confier). À voir aussi à l’adresse suivante : 
https://www.youtube.com/watch?v=-HBnLAK4_Cc

Participants au débat : Benoît Jacquot, réalisateur, Philippe de Georges et Armelle Gaydon, psychanalystes, membre de l’ECF. Animé par Lisa Huyn-Van, membre de l’ACF-Esterel-Côte d’Azur. Organisé par l’ACF-ECA, La Cause freudienne à Nice, la Section clinique de Nice et l’Eclat.

6.lacanarn

Portrait de Lacan réalisé à ma demande par le streetartiste
Arnaud Rabier Nowart

Mes films psy :

Le Divan de Lacan
 
Le Divan de Freud
 
 
Duchamp : La Mariée


J’ai également participé à la publication du séminaire inédit de Lacan à Nice de 1976, ci-dessous.

Lacan à Nice
DE JAMES JOYCE COMME SYMPTÔME JACQUES LACAN


Centre Universitaire Méditerranéen, Nice, 24 janvier 1976
Présentation et transcription : Henri Brevière


Alain Amiel, c’est lui qui a détourné et “colorisé” mon passant…, Alain Amiel que j’ai contacté dans le cadre de nos recherches pour préparer la diffusion de la conférence de Lacan “De James Joyce comme symptôme”, m’a proposé de réaliser un “petit livre” pour ma transcription de cette conférence (Alain Amiel a été éditeur pendant 25 ans…). Ce petit livre que voici contient ma présentation et le texte de la seconde conférence de Lacan à Nice en DEUXIÈME PARTIE.
Dans la PREMIÈRE PARTIE, on trouve des documents concernants les deux con- férences niçoises de Lacan, ce sont les fac-similés des annonces de 1974 et 1976 par le Centre Universitaire Méditerranéen (documents que j’avais trouvés en 2000 dans des archives du CUM aux Archives départementales à Nice) et les articles, communiqués de presse, de Nice Matin qui annoncent les conférences. Je commente à chaque fois ces documents.
J’ai profité de cette nouvelle présentation pour faire deux ou trois corrections et deux trois modifications sur la publication initiale.
Je remercie Alain Amiel pour ce “petit livre”. En tant qu’éditeur à Nice il avait publié dans la revue Trames les principaux acteurs de ce que Élisabeth Geblesco, dans Les Cahiers Cliniques de Nice, n° 1 nomme « cette passion d’alors » autour de Jacques Lacan.
Henri Brevière 17 mai 2018

Lacan à Nice :
LA PREMIÈRE CONFÉRENCE

Lacan, lors de cette première conférence “Le phénomène lacanien”, a pu sous ce titre exposer pleinement sa conception de la psychanalyse devant un public qui était venu pour entendre exactement ça. Il relève le “défi” de ce titre (comme il dit), tout en évitant le “piège” d’un de ses sens possible : “le phénomène Lacan”. (Lacan disait dans son séminaire qu’on lui avait glissé une peau de banane sous le pied).
Élisabeth Geblesco nous dit dans son journal et elle le répète dans Les Cahiers cliniques de Nice qu’il n’y avait pas d’intention de “piéger” dans l’esprit de Jean Poirier quand il a proposé ce titre. Cela se confirme dans le communiqué de presse ci-joint, qui a été rédigé par Jean Poirier, il est plutôt très élogieux et fait de Lacan un “mythe” et pas du tout un “phénomène” (monstre, phénomène de foire !). Élisabeth Geblesco est très contente de cette conférence (“il a été prodigieux comme d’habitude”), les personnes autour d’elle aussi. Lacan en parle deux fois de suite dans son séminaire, il en est content : “j’ai débloqué pendant une bonne petite heure un quart” !
Ce n’est pas du tout le cas pour la seconde conférence, Élisabeth et sans doute Lacan aussi en gardent un bien mauvais souvenir. La situation y était totalement différente. Cette seconde fois, l’auditoire n’avait pas du tout eu ce qui était annoncé et ce qu’il attendait.


LA SECONDE CONFÉRENCE

On voit à travers les deux articles de Nice Matin ci-dessus, ce que les uns et les autres attendaient de Jacques Lacan ce 24 janvier 76 au CUM. Le professeur d’anthropologie Jean Poirier, qui a rédigé le communiqué de presse, attendait, lui, que le conférencier, psychanalyste, dise comment l’interprétation psychanalytique pouvait “éclairer les modèles socio-culturels” et ceci à travers l’œuvre de Joyce.
La très grande majorité sans doute des auditeurs de cet après-midi sur la promenade des Anglais, habitués des conférences sur la littérature et qui suivaient, comme “abonnés”, le cycle “Art et Littérature” s’attendaient, eux, sans doute à quelque chose d’analogue à ce qu’ils avaient dû entendre les semaines précédentes sur Apollinaire, Cyrano de Bergerac et Alexandre Dumas, des considérations sur les auteurs, biographie et œuvres, “vie et œuvre”, de l’“Histoire de la littérature” ou de l’“Histoire littéraire”, même si le titre de la conférence, dans notre occurrence, laissait prévoir quelque chose d’autre d’un peu énigmatique.
Devant ces attentes, Lacan ne parle presque pas du sujet annoncé : James Joyce (“du 24 janvier, où Jacques Lacan parlera de James Joyce”). Ses quelques paroles sur Joyce (au plus 5 mn sur 1 h 27 de conférence…), sont à peu près celles qu’il prononçait à l’époque dans son séminaire devant un auditoire très averti, initié. Dans ces conditions, par exemple, que pouvait comprendre ce public du CUM, de cet emploi extrêmement singulier que fait Lacan du mot symptôme ? tellement éloigné de son sens habituel que tout le monde ap- prend très vite à connaître dans sa vie. Je cite : “mais ce Joyce, s’il s’est mis à viser expressé- ment le symptôme – au point qu’il semble qu’on puisse dire que dans son texte, enfin… le pointage du symptôme comme tel est quelque chose à quoi il s’est on peut dire consacré”. Je résume : dans son texte, Joyce vise et pointe expressément le symptôme comme tel… Très énigmatique, Je pense, pour le public de cet après-midi là au CUM, à Nice, même si on est dans une région de pétanque…

DE JAMES JOYCE COMME SYMPTÔME
JACQUES LACAN

Présentation et transcription : Henri Brevière (20 avril 2018)

Post Scriptum à ma présentation ci-dessous, en 2000, de la publication dans le N° 28 de la revue Le Croquant de la conférence « De James Joyce comme symptôme », inédit de Lacan.
Henri Brevière (20 avril 2018)

J’ai décidé de proposer au site œdipe.org de diffuser l’enregistrement inédit et unique de la seconde conférence de Lacan à Nice « De James Joyce comme symptôme » que je détiens. Ce site installé depuis très longtemps dans le paysage de la psychanalyse francophone, connu de tous, que toutes les écoles et associations « fréquentent » est, de ce fait, bien adapté, à mon avis, à la diffusion la plus large possible. Laurent Le Vaguerèse, au nom du site, a accepté volontiers cette diffusion sur œdipe.org. Je l’en remercie.
Pour préparer la présentation de cette diffusion j’ai relu Les Cahiers Cliniques de Nice, numéro 1 de juin 1998, dont je parle dans ma présentation de 2000 ci-dessous.
Ces cahiers publiaient en 1998 la première conférence de Lacan au Centre Universitaire Méditerranéen (CUM), « Le phénomène lacanien ». J’ai aussi fait quelques recherches sur Internet, j’y ai découvert un document dont beaucoup parlent de façon élogieuse, Un amour de transfert. Journal de mon contrôle avec Lacan 1974-1981 de Élisabeth Geblesco.
Ce Journal a été publié en 2008, mais comme je n’ai pas suivi l’édition pléthorique des ouvrages de psychanalyse, je n’en ai eu connaissance que ces jours-ci. Ce que j’ai lu dans ce journal admirable, et fascinant à plus d’un titre a changé ma vision des conférences de Lacan à Nice, qui sont le sujet de ma présentation ci-dessous. Je n’avais pas du tout perçu le rôle essentiel, central, qu’avait eu Élisabeth Geblesco dans la seconde invitation de Lacan à Nice par le CUM, et finalement dans les trois invitations de Lacan au CUM (il y en a eu trois comme nous le verrons plus loin…).
À lire la présentation et le commentaire d’Élisabeth Geblesco de la première conférence du 30 novembre 74, « Le phénomène lacanien », dans Les Cahiers Cliniques de Nice, j’avais bien vu que c’était elle qui avait accueilli le docteur Lacan, elle, avec Jean Poirier, professeur d’anthropologie à l’université de Nice, directeur du CUM à l’époque et son collègue à l’université. Elle avait organisé le séjour de Lacan avec les « survivants » du « Cercle Lacanien de Nice », « indépendant de toute école analytique », qu’elle avait créé quelques années auparavant. Dans ces cahiers figurent, avec son commentaire, sa transcription de la conférence à partir d’un enregistrement, transcription à partir de laquelle Jacques-Alain Miller avait établi le texte. Mais dans son commentaire, comme je l’avais noté en 2000 en m’étonnant, elle ne fait aucune mention de la seconde conférence du 24 janvier 1976 et Philippe de Georges, dans sa propre présentation, n’en parle pas non plus. Et comme les lacaniens de Nice que j’avais questionnés à l’époque, en 1999, m’avaient dit ne rien savoir de cette seconde conférence, même s’ils en connaissaient l’existence, j’en avais conclu que cette dernière avait sans doute été organisée par le CUM seul, sans participation des lacaniens, ce qui à y repenser est bien sûr assez invraisemblable, mais cependant pas tant que ça si on songe que à cette occasion Lacan venait parler de James Joyce dans un cycle sur la littérature, parler d’un auteur comme le faisaient tous les conférenciers de ce cycle, comme on le voit dans les articles de Nice-Matin ci-joints. Il aurait bien pu être invité par le CUM indépendamment des lacaniens de Nice, mais ce n’est pas le cas, on voit dans son Journal, qu’Élisabeth Geblesco a été en fait la cheville ouvrière de la seconde conférence comme de la première. Elle s’occupe de tout, de rechercher un hôtel, elle y passe « 14 ou 18 heures » (ça, je ne le dis pas à Lacan note-t-elle dans le Journal !), prévoir une excursion, une visite de Musée. Jean Poirier, elle ne le mentionne presque pas.
Comme je l’ai dit, j’étais étonné en 2000 que les cahiers ne mentionnent absolument pas cette seconde conférence parce qu’à mon sens il aurait été naturel que, présentant la première, ils l’incluent dans le contexte de la venue de Lacan à Nice, accueilli par des lacaniens de cette ville, le contexte « Lacan à Nice et ses deux conférences » disons.
Il n’en est rien, les lacaniens de l’Ecole de la Cause Freudienne (ECF) qui publiaient ce numéro 1 des Cahiers Cliniques de Nice, même si eux n’étaient pas là en 1976, mais qui connaissaient l’existence de cette conférence, devaient sûrement savoir que Élisabeth Geblesco, l’une des leurs depuis le début, depuis la création de l’ECF en 1981, avait été l’organisatrice de cette seconde conférence.
La seconde conférence donc a été à mon avis « passée sous silence » dans ces cahiers. Ça ne peut pas être un oubli pur et simple, ce n’est pas vraisemblable. Le plus vraisemblable, mais bon, je peux me tromper, c’est qu’ils ont dû décider collégialement de ne pas mentionner cette seconde conférence. Après tout, ce n’était pas le sujet, ce qu’ils publiaient c’était la première. Et surtout, ils savaient tellement peu de chose de la seconde que le mieux était de l’ignorer, de la passer sous silence complètement : ils n’avaient pas d’enregistrement, pas de récit, de compte rendu, de témoignage un tant soit peu informatif, pas de notes d’auditeurs.
La décision est prise et Élisabeth Geblesco elle-même, qui pourtant en était l’organisatrice, n’en dira pas un mot. Mais son silence à elle a sans doute une autre explication qui lui est personnelle.
Il pourrait s’expliquer par un autre silence, celui qu’elle a décidé de garder, comme elle le dit dans son Journal, à propos de cette conférence, je cite :
9 février 76 : « Je n’écris pas sur la conférence de Lacan à Nice, ses prémisses et ses conclusions. Ce fut trop pénible, pour moi, pour lui. »
Elle souhaite oublier ces moments pénibles. Ça expliquerait donc son silence dans les Cahiers, mais on verra qu’en fait elle n’a pas réussi, dans ces cahiers, même si elle ne dit pas un mot de la seconde conférence elle-même, à passer sous silence complètement le second séjour de Lacan à Nice. Quelque chose va filtrer…
Mais que recouvrent ces prémisses et conclusions, ce vocabulaire de la syllogistique ? Et à quoi renvoie ce « trop pénible » ?

Les prémisses ? Ça pourrait se rapporter à la préparation de cette venue de Lacan à Nice, qui avait été un peu pénible, des malentendus entre Lacan, Poirier et Elisabeth à propos de l’organisation du séjour de Lacan, s’étaient multipliés.
Poirier ? Élisabeth n’est pas tendre avec Poirier : « ce calamiteux Poirier » , « un homme borné, très mécaniste » et elle craint qu’il ne la brouille avec Lacan : « Pourvu qu’il ne m’ait pas brouillée avec Lacan. »
Je cite :
Le 13 octobre 75 : « J’ajoute que je ne sais pas pourquoi Poirier m’a téléphoné ; tout est vrai. Lacan a l’air de me croire mais il semble mécontent. Peut-être craint-il que je ne veuille jouer à l’Égérie ? »
Et le 27 octobre 75 : « J’ai reçu un coup de fil du calamiteux Poirier : Lacan devait me donner la réponse à moi ??! Très compliqué, trop pour moi. J’ai eu avec lui une longue conversation, lui ai expliqué le sens de l’œuvre de Lacan, par exemple «instinct» chez Freud, pulsion. Sa vision à lui, Poirier, est celle d’un homme borné, très mécaniste. Il devait rappeler, ne l’a pas fait. Pourvu qu’il ne m’ait pas brouillée avec Lacan. J’ai très peur de l’entrevue de tout à l’heure. »
Je ne sais pas exactement ce qu’elle entend par jouer à l’Égérie ? Mais en tout cas une chose est sûre c’est elle qui est vraiment la cheville ouvrière, c’est elle qui a fait venir Lacan à Nice, la première fois et la fois suivante, sans elle on aurait sans doute pas eu ces conférences « grand public » à Nice.
Pour la première, à peine commencé son contrôle avec Lacan le 7 octobre 74, c’est sans doute elle qui a suggéré à Poirier, son collègue à l’université, de l’inviter.
18 novembre 1974 : « Il accepte avec soulagement que je m’occupe de voir avec Poirier (CUM) si son séjour est bien organisé matériellement : « Vous seriez formidablement gentille… » De même, à propos du Cercle lacanien : « Je serais très content de dîner avec vous. » »
Elle organise aussi la seconde conférence comme on l’a vu plus haut et en lisant son journal, on s’aperçoit qu’elle aurait bien aimé aussi qu’il y en ait une troisième. Pour elle, Lacan devrait « venir » à Nice tous les ans !
le 7 décembre 1976 : « Tout cela a été si bref que je lui demande avec beaucoup de courage, une des choses que j’avais à lui dire : « Est-ce que vous venez à Nice cette année ?”. Là, il hésite, il garde ma main dans la sienne, et puis répond : « Oh, pas maintenant, pas maintenant. » Il a l’air ennuyé… J’ai des remords, peut-être que le CUM ne l’a pas réinvité à cause de l’année dernière et des réactions hostiles de l’auditoire… Je lui redemande si, plus tard… Il répond : « Pas maintenant », et ajoute d’une façon inattendue : « Vous faites du très bon travail à Nice ! » (cette fois c’est Lacan qui ne voudrait pas se brouiller avec Élisabeth en lui refusant quelque chose !)
Puis le 13 juin 1977 : « D’abord, invitation Poirier (il a tout à fait oublié qui est ***, c’est gai !). Il n’a pas l’air content de retourner au CUM, ni mécontent, d’ailleurs. »
Il y a donc eu apparemment une troisième invitation très souhaitée par elle et sans doute provoquée par elle auprès de « ce calamiteux Poirier » ! et qui n’a pas eu de suite. On en saura pas plus.

En fait, il n’y a pas eu de troisième conférence de Lacan au CUM. Ça se saurait… en tout cas… moi ! Je le saurais !… et… j’en aurais un enregistrement !!
On comprend, maintenant, le 7 décembre 76, ce qu’Élisabeth avait dit le 9 février 76 être « trop pénible » dans cette conférence du 24 janvier 76. Ce sont les « réactions hostiles de l’auditoire ». Ce ne sont pas essentiellement donc les préparatifs de cette conférence qui furent pénibles, d’ailleurs après les vacances de fin d’année les malentendus à propos de l’organisation sont oubliés, les relations se réchauffent nettement.
12 janvier 76 : « Avant de passer à mon client (j’ai failli oublier), veut-il que nous (j’appuie) nous occupions d’un autre hôtel puisqu’il était mal dans celui de la rue Saint-Philippe ? : « Oui, mais deux chambres. Je sais. » Il a dit presque timidement que ça n’a pas beaucoup d’importance, mais qu’il aimerait bien… Oui, il accepte volontiers de dîner avec nous, là, il a un bon sourire qui me réconforte beaucoup. Oui, il serait content qu’on lui fasse visiter des choses comme l’an dernier le Musée Chagall… Et il me remercie de m’en occuper.
« C’que vous êtes gentille d’vous occuper d’tout ça ! » Ça me réchauffe le cœur… »
Maintenant on comprend que ce qui était « trop pénible », ce sont sans doute les « réac- tions hostiles de l’auditoire… » le 24 janvier (Journal , 7 décembre 76 ci-dessus).
Ceci confirme ce que j’avais déjà perçu à l’écoute de l’enregistrement: l’auditoire n’était pas facile.
Hostilité ? Je ne sais pas, en tout cas il y avait du chahut, comme je le dis dans ma présentation, un témoin m’a parlé d’un petit groupe d’« anarchistes » venu pour chahuter Lacan. C’est ce qu’on entend bien dans l’enregistrement, surtout à la fin de la conférence. Mais le reste de l’assistance aussi est assez bruyant et Lacan bien sûr s’en aperçoit au milieu de la conférence « je sens, mon dieu, que peut-être l’assistance est lassée. »
Justement, nous nous demandions plus haut que pouvait recouvrir ce vocabulaire de la syllogistique employé par Élisabeth Geblesco, prémisses et conclusions.
Nous pouvons à présent répondre, je crois. Ça ne peut pas être une simple façon de parler de sa part, elle qui est toujours très précise.
Elle veut parler sans doute là d’une sorte de logique qui explique que cet épisode ait été « pénible » pour Lacan et pour elle. Pénible ? ça ne peut être que les réactions hostiles de l’auditoire qu’elle a constatées. Elle évoque donc une logique, en fait ici exactement un syllogisme dont la conclusion serait l’hostilité de l’auditoire. Je pense que ce syllogisme pourrait avoir comme prémisses un malentendu en amont qui logiquement expliquerait en « conclusion », l’« hostilité » de l’auditoire, qu’Élisabeth a constatée. On en est réduit à essayer de deviner « son » syllogisme qu’elle ne veut pas formuler parce que tout ça la désole. Le « syllogisme » le plus probable, à mon avis, est le suivant :
Majeure : On annonce que « Jacques Lacan parlera de James Joyce » et l’auditoire de ce cycle de conférences sur Art et Littérature, attend que le conférencier parle de James Joyce. Mineure : sans crier gare, le conférencier parle d’emblée de tout autre chose, de Freud, de Hegel, des présocratiques, de Kant, du langage, des paranoïaques, et à partir de là, un très long passage sur le nœud Borroméen avec des dessins au tableau à la craie. Puis vient le parlêtre, l’Innenwelt et l’Umwelt, puis une phrase : « l’homme parle ; les femmes, chose à quoi il faut s’attendre… les femmes parlent aussi…» (on est déjà à plus de la moitié de la conférence).

L’auditoire de la promenade des Anglais, interloqué, met un certain temps à réagir, puis il explose, le rire crée une sorte de détente après un long tunnel mais aussi une sorte de trouble. Puis arrive un très long passage sur le langage, l’inconscient, la lalangue, les lapsus, le rêve etc., puis les symptômes. On est déjà au troisième quart de la conférence et on a pas encore parlé de Joyce, l’auditoire s’impatiente, grand brouhaha, Lacan hausse le ton mais il s’interrompt vite, il perçoit bien cette agitation de l’assistance
(« Je sens, mon Dieu, que, peut-être, l’assistance est lassée ») et il sait bien qu’il faut qu’il parle de Joyce, il le fait immédiatement : “Je sens, mon Dieu, que peut-être l’assisitance est lassée. Je veux donc simplement indiquer que je m’acharne, pour l’instant, sur un artiste, un artiste qui n’est autre que Joyce, je l’ai appelé Joyce le symptôme ».
Il le fait, un peu, cinq minutes au total, en comptant large, sur une heure vingt sept ! (un “peu” qui est évidemment beaucoup pour les lacaniens, mais pour ce public azuréen… Je cite : “mais ce Joyce, s’il s’est mis à viser expressément le symptôme – au point qu’il semble qu’on puisse dire que dans son texte, enfin… le pointage du symptôme comme tel est quelque chose à quoi il s’est on peut dire consacré”. Que pouvait comprendre ce public de cet emploi tellement singulier du mot symptôme ? ).
On est déjà au quatre cinquième de la conférence et finalement Lacan dans ce dernier cinquième, après quelques mots sur Joyce, revient à nouveau sur le nœud borroméen et enfin il parle longuement de la “sphère armillaire”, avec des dessins.
Conclusion du syllogisme : une attente déçue, réactions hostiles de l’auditoire…, c’est la « conclusion » d’Élisabeth Geblesco. Si elle n’explicite pas les prémisses du syllogisme dans son Journal, Élisabeth Geblesco en formule cependant la conclusion : l’auditoire a été hostile.
Je crois que les prémisses que j’ai essayées de deviner et que, trop désolée, elle ne voulait pas formuler, ces prémisses expliquent la plus grande part de l’hostilité, logiquement.
Voilà, ce Journal d’Élisabeth Geblesco éclaire cet épisode de la vie de Lacan… à Nice, il explique aussi je crois pourquoi Lacan ne parle pas de cette seconde conférence à son Séminaire, comme je l’avais noté dans ma présentation en 2000, alors qu’il y parle deux fois abondamment de la première le 10 décembre 1974 et le 11 février 1975 et que d’une manière générale, il y parle absolument toujours de ses interventions extérieures.
Un dernier mot : comme je disais plus haut, Élisabeth n’a pas réussi à passer complètement sous silence dans les Cahiers Cliniques en 1998, la venue de Lacan à Nice fin janvier 76. En effet, dans un beau lapsus, page 27 des Cahiers, elle situe en novembre 74, pendant le premier séjour de Lacan, la visite au Musée Picasso d’Antibes : « un très cordial dîner dans un restaurant fameux et une visite au Musée Picasso d’Antibes. »
Alors que dans le Journal le 6 février 76, elle situe cette visite le 24 janvier 76, date du second séjour de Lacan
« (Je n’écris pas sur la conférence de Lacan à Nice, ses prémisses et ses conclusions. Ce fut trop pénible, pour moi, pour lui. La seule chose agréable : la visite avec lui du Musée Picasso à Antibes. Il faudrait que je la note.) »
En 1974, c’est le Musée Chagall qu’ils ont visité avec le docteur Lacan, le 12 janvier 1976 (Journal), Lacan évoque la visite au Musée Chagall, de 1974, « l’an dernier » : « Oui, il serait content qu’on lui fasse visiter des choses comme l’an dernier le Musée Chagall… Et il me remercie de m’en occuper. « C’que vous êtes gentille d’vous occuper d’tout ça ! » Ça me réchauffe le cœur… »
Un “lapsus”, un déplacement du souvenir … en 1998 : ce souvenir qui revient, des années après, mais pas à sa place, le souvenir de « la seule chose agréable », « la visite avec lui du Musée Picasso »… Ça dit tout.


Publications citées
Les publications suivantes, pour deux d’entre elles citées dans le post scriptum, ont pour objet les conférences de Lacan à Nice et le Journal d’ Élisabeth Geblesco :
Les Cahiers cliniques de Nice, n°1, juin 1998.
Topique 2010/3 (n° 112) – La temporalité du transfert
Un amour de transfert. Journal de mon contrôle avec Lacan, 1974-1981 – 17 mars 2008. Éditeur : EPEL
Dans le midi de Lacan. Le mouvement psychanalytique dans le sud de la France, Nils Gascuel, Collection : Point Hors Ligne. Éditeur : ERES

OÙ TROUVER « LE PHÉNOMÈNE LACANIEN »?
Dans Essaim 2015/2 (n° 35)
Et on peut commander «Le phénomène lacanien», tiré à part des Cahiers Cliniques de Nice, n°1, juin 1998 au secrétariat de la Section clinique de Nice, pour 15 euros par exemplaire, port compris.

Le texte qui suit est ma présentation, raccourcie, publiée dans le N° 28 de la revue Le Croquant en 2000, de la conférence « De James Joyce comme symptôme », inédit de Lacan. Les documents qui l’ac- compagnaient figurent en tête de ce petit livre. Le montage photo que j’avais fait à l’époque, légendé « un passant considérable» figurait aussi dans la revue.
Cette présentation qui date de l’année 2000 est précédée d’un Post Scriptum ci-dessus daté du 20 avril 2018

Ma présentation en 2000 dans Le Croquant :
Parler dans le vide absolu Henri Brevière

« […] qui me donnerait le sentiment que je n’ai pas parlé dans le vide absolu. »
Voilà comment Lacan s’adresse à son auditoire à la fin de cette conférence inédite que nous publions. Cela décrit assez bien, je crois, le caractère unique, dans l’ensemble de ses prises de parole publiques, des circonstances et du cadre – que je décrirai plus loin – dans lesquels il a accepté, ce jour-là, de parler. Quel contraste entre l’inquiétude qui s’exprime ici de s’entendre parler dans « le vide absolu » et la jouissance qui s’exprimait quatre années plus tôt de « parler aux murs » « chez lui », à Sainte-Anne ! « Il est manifeste que les murs, ça me fait jouir » lançait-il à son auditoire de la chapelle de Sainte-Anne le 6 janvier 1972. Au Centre Universitaire Méditerranéen, l’amphithéâtre a été conçu de telle sorte que l’orateur parle face à… la mer au-delà des murs.
Mise à part la description des circonstances de cette conférence, je me borne, dans ce qui suit, à dire comment je me suis finalement trouvé en possession de cet inédit (in-audit) et pourquoi je me décide à le publier aujourd’hui dans la revue Le Croquant.
C’est au milieu des années soixante-dix qu’un ami du Midi m’a apporté une conférence de Lacan à Nice enregistrée sur cassette. Après l’avoir écoutée, je suis resté très longtemps sans plus m’intéresser à cette cassette. J’ai toujours pensé que si j’avais cet enregistrement, beaucoup de gens devaient l’avoir aussi. Cependant, je ne le voyais jamais apparaître dans les différentes publications des textes de Lacan.
La cassette était accompagnée de son titre : « De James Joyce comme symptôme », et de la date : le 24 janvier 1976. Ce n’est que récemment que j’ai découvert la mention faite par Lacan d’une conférence qu’il est allé prononcer à Nice sous le titre : « Le phénomène lacanien » (on trouve cela dans le Séminaire XXII intitulé RSI) 1 ; il était facile d’en déterminer assez précisément la date : fin novembre ou début décembre 1974.
Ceci ne correspondait pas à ma conférence et je ne trouvais nulle part, dans Lacan, mention d’une autre conférence à Nice. Je constatais par ailleurs que ses principaux bibliographes, Élisabeth Roudinesco et surtout Joël Dor, ne mentionnaient pas l’existence de ces conférences.

Je me décidais alors à aller sur place faire une petite enquête. Je découvris très vite une institution à la fois municipale et universitaire : Le Centre Universitaire Méditerranéen (CUM), qui programme, toute l’année et plusieurs fois par semaine, des conférences très grand public dans un magnifique amphithéâtre Art déco aménagé au début des années trente dans une villa du XIXe, la Villa Guiglia, sise au 65, promenade des Anglais. J’appris ainsi que Lacan était bien venu deux fois de suite au CUM à un an d’intervalle, et je retrouvais les dates et titres des conférences dans les communiqués de presse diffusés par le CUM dans Nice Matin.
En étudiant l’enregistrement que je possédais, je vérifiais qu’il s’agissait bien de la seconde conférence « De James Joyce comme symptôme ». D’abord, Lacan y parle effectivement de Joyce, ensuite et surtout, il fait mention d’un voyage qu’il vient d’effectuer en Amérique. Ce voyage d’une quinzaine de jours, fin novembre et début décembre 1975, l’a amené dans des universités de la côte est : Columbia à New York, Yale et le Massachusetts Institute of Technology. On trouve les conférences prononcées pendant ce voyage dans le numéro 6-7 de la revue Scilicet, aux éditions du Seuil. Ceci se passait deux mois avant notre conférence de Nice.
Il y avait donc là deux conférences de Lacan dont je n’avais jamais vu aucune trace publiée un quart de siècle après qu’elles ont été prononcées et dont l’existence même n’était mentionnée nulle part, du moins pour la seconde. Était-il possible qu’elles n’aient pas été enregistrées, ou avaient-elles été enregistrées mais pas diffusées ? Pour essayer de savoir, je publiais dans le numéro 24 de la présente revue une note sur « Lacan à Nice » avec les communiqués de presse de Nice Matin et un appel à information.
Peu de temps après, j’appris que la première conférence «Le phénomène lacanien» venait de ressortir à Nice après vingt-cinq ans de confinement local. Elle est publiée dans Les Cahiers cliniques de Nice numéro 1, juin 1998, avec une présentation et des commentaires des personnes qui la détenaient.
Curieusement, dans cette publication, il n’est fait aucune mention de l’existence de la seconde conférence. Des Niçois qui s’intéressent à Lacan savent bien qu’elle a eu lieu mais, apparemment, ils n’en ont aucune trace… Ce qui est bien étonnant. En tout cas, cela m’apprit qu’à Nice, on n’avait sans doute pas cette seconde conférence. Finalement, alors que j’avais très longtemps pensé qu’elle était entre les mains de beaucoup de gens bien placés pour la publier, je devais maintenant penser que j’étais seul, peut-être, à en avoir eu un enregistrement. L’appel à information du numéro 24 du Croquant est resté pour l’instant sans réponse, je me dois donc aujourd’hui d’en publier une transcription afin que puissent en prendre connaissance tous ceux qui s’intéressent à l’enseignement de Lacan. Il faut souligner que cette conférence « De James Joyce comme symptôme » prend place dans un des cycles de la programmation du CUM pour l’année 1975-1976 : le cycle « Art et littérature ». Lacan y parle après Alain Decaux et avant Ionesco et Romain Gary ; le titre est évidemment de lui, ce qui n’est pas le cas de la première conférence dont le titre, « Le phénomène lacanien », lui avait été proposé par Jean Poirier, professeur d’anthropologie à l’université de Nice et secrétaire général du CUM à l’époque. Lacan avait « accepté » ce titre, tout en disant plus tard que c’était là une « peau de banane » qu’on lui avait glissée sous le pied !

J’ai essayé de proposer un texte lisible – mais sans atténuer les digressions et diffluences, sans gommer les bizarreries lexicales ou de prononciation que j’ai essayé d’éclairer en note – et en conservant beaucoup des caractéristiques de l’oral : hésitations, interruptions, silences, etc. J’ai indiqué par ailleurs, entre crochets, les réactions de la salle les plus perceptibles sur l’enregistrement (apparemment, la salle se manifestait assez fortement ce jour-là, le lecteur appréciera) parce qu’elles expliquent certains éléments du texte, et aussi parce qu’elles témoignent de la manière dont le discours de Lacan pouvait être reçu par un « grand public », sans doute largement ignorant de son œuvre et… indépendant de sa personne. C’est peut-être la seule fois où Lacan a eu à parler devant un tel auditoire, les auditeurs qui se rendirent à cette conférence, sans doute beaucoup d’ « abonnés », y allèrent pour entendre parler d’art et de littérature : de Ravel par Bernard Gavoty, d’Alexandre Dumas par Alain Decaux, de Cyrano de Bergerac par Pierre Bornecque etc., et de James Joyce par Jacques Lacan… Il est douteux que ces auditeurs, « abonnés » à ces conférences azuréennes, aient même su, ne serait-ce qu’un tant soit peu, qui était Lacan, d’où leur surprise perceptible dans l’enregistrement. On y entend aussi des manifestations de chahut (un auditeur de cette conférence m’a dit qu’il y avait dans l’amphi, ce jour là, un petit groupe d’ « anarchistes » qui étaient venus pour chahuter, c’est en effet sensible dans l’enregistrement. Ça prouve que eux, au moins, les seuls sans doute, dans cette assistance, connaissaient Lacan, au moins de « réputation »…)
Comme Lacan a toujours été très soucieux de savoir à qui il parlait on comprend que, ce jour-là, il ait eu le sentiment qu’il n’y avait pas de rapport entre lui et cet auditoire, le sentiment d’avoir « parlé dans le vide absolu. » Cela expliquerait aussi qu’il ne fait aucune allusion à cette conférence dans son séminaire, ce qui n’arrive pratiquement jamais pour ses autres déplacements et prises de parole « extérieures ».
Dans la transcription de l’œuvre orale de Lacan, le respect le plus scrupuleux possible de cette oralité, comme j’ai essayé de le faire, est souhaitable. Cela pourrait contribuer (peut- être…) à réduire le caractère fantaisiste de certaines interprétations et paraphrases… et paraphrases de paraphrases, que l’on peut lire ici et là…
Cela dit, certains auteurs n’ont même pas besoin d’être égarés par des transcriptions douteuses pour produire des paraphrases échevelées. Certaines cependant ont au moins le mérite d’être amusantes…, par exemple celle-ci rencontrée récemment et qui vaut son pesant de cacahuètes, elle est d’un membre important (en région) de l’Ecole de la Cause Freudienne, il affirme : « la conjonction impossible de la langue et du sexe »… et cela dans un éditorial (Editorial : L’ACF à l’heure de « L’Autre n’existe pas », par Lettre, n°5, ACF- Rhône-Alpes). Je suppose qu’il a cherché par là à traduire à sa manière le fameux aphorisme de Lacan « Il n’y a pas de rapport sexuel ».
Qu’a-t-il voulu faire en forgeant cette expression? A-t-il cherché à atténuer ce qu’il pense être un impératif interdicteur (pas de rapport sexuel ! ), un rigorisme sévère de Lacan, en limitant à la langue le champ de son application : conjonction impossible de la langue et du sexe, pas de rapport entre la langue et le sexe ! impossible ! interdit ! quoi. Mais tous les autres rapports restent possibles… autorisés…
Ou bien, trouvant que la formule du maître de la rue de Lille n’était pas assez précise, a-t-il voulu la préciser ? : « il n’y a pas de rapport sexuel »…, ou plus exactement il n’y a pas de rapport possible entre la langue et le sexe, pas de conjonction possible entre la langue et le sexe. Dans les deux cas c’est beaucoup d’audace de vouloir ainsi corriger le Maître. Aucun lacanien n’avait osé, avant lui, une pareille formule, aucun, sans doute, n’osera la répéter.

  1. Le Séminaire, livre XXII, RSI, leçons du 10 décembre 1974 et du 11 février 1975.
    Ci-dessous ma (très bonne !) transcription de la conférence que des milliers de lacaniens de par le monde se chargeront d’améliorer, à l’écoute de l’enregistrement, j’en suis sûr…

DE JAMES JOYCE COMME SYMPTÔME
JACQUES LACAN

Version corrigée. La première version a été publiée dans le N° 28 de la revue Le croquant en novembre 2000 sous le titre : « De James Joyce comme symptôme », inédit de Lacan.
La Conférence « De James Joyce comme symptôme » fut prononcée le 24 janvier 1976 au Centre Universitaire Méditerranéen de Nice. Transcription, à partir d’un enregistrement, par Henri Brevière avec l’aide de Joëlle Labruyère pour le découpage et la ponctuation.
Dire… dire faire des rencontres… Heur h.e.u.r., c’est comme ça que ça se dit. Vous vous imaginez sans doute que… y a des rencontres bonnes ou mauvaises,
qu’y a du bonheur ou du malheur. Mais c’est pas vrai, y a que des rencontres. On n’entend rien !
Vous n’entendez rien ?… Et comme ça ?
Oui, oui, oui…
Ça va ?
Oui.
Je ne suis pas sûr d’avoir fait la meilleure rencontre. Sur le tard, quand j’avais…31 ans, y s’ trouve que j’ai rencontré à l’hôpital – puisque c’était là que j’avais été porté par le sort –, à l’hôpital qu’on appelle psychiatrique, une folle. Quoique je l’aie appelée Aimée, A.i.m.é, accent aigu, e., ça veut pas dire que je l’ai aimée. Je l’ai appelée comme ça. Ça veut plutôt dire que… qu’elle avait besoin de l’être. Elle en avait même tellement besoin qu’elle y croyait. Elle croyait qu’elle était aimée. Ça a un nom dans… dans l’affaire psychiatrique, on appelle ça érotomane. Ce qui ne veut pas dire tout à fait la même chose. Mais enfin nous nous contenterons de…de ce support, mythologique, Eros, généralement traduit par l’amour.
Erreur, ou accident ? Je n’ai pu me tirer de son cas, qui est publié dans ma thèse, qu’à recourir à Freud. Ce qui – c’est là le… c’est là la rencontre –, ce qui m’a fait glisser dans ce que j’appellerai la pratique freudienne.
Il s’est trouvé que… plus de vingt ans plus tard, je me suis trouvé dans le cas d’avoir à rendre compte de ladite pratique parce qu’on me le demandait.
En l’année 53 – je suis né y a un temps à perte de vue ; si vous savez que ma thèse je l’ai faite en 32, il vous sera facile de reconstituer cette date de ma venue à ce qu’on appelle le monde –, en 53, j’ai commencé – je pratiquais à ce moment-là depuis ?… depuis 38 à peu près ; l’année 38. J’avais donc un tout petit peu d’expérience, d’expérience derrière moi de la pratique qu’a fondée Freud, qui est la pratique de l’analyse.
J’ai cru, j’ai cru devoir, de cette pratique, en rendre compte.
Ce que je voudrais, c’est essayer aujourd’hui (depuis 53, y a des années qui ont passé, et je n’ai pas cessé un instant de… de m’efforcer de rendre compte de cette pratique). Je vais tâcher de… puisque… vous êtes là à m’attendre, je vais tâcher de… je vais tâcher de vous dire ce qui m’en a paru, dès le départ, valoir la peine – car c’était plutôt une peine –, la peine d’être dit.
Freud représente, représente… heu… comme artiste… une tentative, la tentative de maintenir la raison dans ses droits…….. J’ai essayé de… de doctriner ce que représentait cette tentative qui, faut bien dire, est folle. Maintenir la raison dans ses droits, ça veut dire que la raison a quelque chose, quelque chose de réel. C’est certainement pas le premier à être parti de là. Y a même quelqu’un qui l’a dit, bien avant lui, qui a dit que le rationnel était réel.
Le fâcheux de… de ce quelqu’un, je veux dire le fâcheux de ce qu’il a dit, c’est qu’il a cru que la formule pouvait se retourner, et que de ce que le rationnel fut réel on pouvait conclure, c’est tout au moins lui qui le dit, c’est que le réel était rationnel.
Il est très fâcheux que tout ce que nous savons, ou croyons savoir, du réel ne se soit jamais atteint qu’à démontrer que le réel, c’est ce qui n’a aucune espèce de sens. Nous voilà donc au cœur d’un vieux débat que, on ne sait pas trop pourquoi, on appelle philosophique ; mais il est certain que c’est bien ce qui, ce qui m’empêtre, c’est que, de philosophie, j’avais comme ça une petite bribe de formation, et que je me demande toujours jusqu’à quel point je ne fais pas quelque chose de l’ordre de cette rengaine qu’on appelle la philosophie. Puisqu’enfin, la philosophie, depuis comme ça l’âge qu’on dit être des présocratiques, qui étaient loin d’être des idiots, qui ont même dit des choses qu’on est convenu d’appeler profondes… Freud a cru devoir se référer à certains de ces présocratiques, il n’a pas fait la socratisation de sa pratique. C’est, c’quant à moi, ce que j’ai essayé de faire. J’ai essayé de voir ce qu’on pouvait tirer d’un questionnement de cette pratique analytique.
La première réponse est évidemment liée au balancement de ce que je viens de dire : à savoir que si le rationnel est assurément réel, le réel… résiste. C’est pas une résistance de sujet à sujet, comme les analystes se l’imaginent trop souvent, c’est une résistance liée au fait que le réel, on se demande par quel biais, avec des mots, du bla-bla-bla en somme, nous pouvons nous imaginer l’atteindre. Car c’est un fait que, le réel, nous nous imaginons que, au moins par un petit bout, nous y avons atteint. Y a un nommé Kant qui là-dessus a bâti justement ce qu’on appelle sa philosophie, qui est peut-être le moment où, de philosophie, il s’agit le moins : c’est dans la mesure, historiquement, où Newton avait atteint à quelque chose qui… qui avait assurément ses mérites, à quelque chose qui ressemblait à… un touche au but quant au réel, c’est autour de ça que Kant a construit… a construit (ce qu’il amenait par toutes sortes de cheminements) une Analytique, nommément dite transcendantale, mais aussi bien une Esthétique, qui pour lui, ne l’était pas moins.
Le… le saisissant concernant Kant est que… c’est dans la Critique du jugement qu’il a cru devoir placer son approche du terme… Bourre (2). Le jugement, c’est quelque chose qui… qui va sensiblement au-delà de la démonstration, c’est quelque chose qui conclut… qui conclut par une affirmation concernant ce qu’il en est du réel.
Comment… comment se fait-il que nous en soyons là ? Je veux dire que Freud, qui… qui avait comme ça un petit bout de formation que nous pouvons considérer comme… comme contemporaine. Comment est-ce que Kant… que Freud… comment est-ce que Freud a pu dans cette filée, vouloir maintenir le réel du rationnel ? C’est ce que je crois avoir éclairé dès mes premières émissions, mes émissions doctrinales, en formulant que l’inconscient, c’était – ai-je dit à l’époque – structuré comme un langage, pour me répéter. Il est évident que, déjà là, se marque… se marque la difficulté. Parce que, qu’est-ce que c’est qu’un langage ? J’ai eu le temps, bien sûr, après m’être aventuré de cette façon, j’ai eu le temps de… d’y réfléchir… d’y réfléchir sur la base, sur la base de ceci : c’est que, il faut se faire comprendre, et comme les psychanalystes n’ont la plupart du temps pas la moindre formation philosophique, ça m’a été une occasion de m’apercevoir que la philosophie, ça sert à ça, ça sert à élaborer la réalité à laquelle on a affaire. On appelle, dans Freud, je ne sais pourquoi, cette réalité, on l’appelle psychique. On n’a pas attendu la philosophie pour parler de la psukê, la psukê est un rêve dont a hérité la philosophie.
Ma patiente, ma patiente qui a été avec moi très patiente puisque elle m’a expliqué, enfin… toutes sortes de choses, elle m’a permis de me rendre compte que… que la paranoïa c’est… c’est un état normal. Y a rien de plus normal que d’être paranoïaque. Et c’est de ça, de ça que…que j’ai essayé de rendre compte, en somme.
J’ai essayé de rendre compte comment il se faisait que – ce à quoi j’ai été amené beaucoup plus tard, ce à quoi j’ai été amené (j’essaierai de vous dire comment) à distinguer… comme poumant (3) ensemble, trois catégories que j’ai épinglées (je dis « épinglées » parce que, parce que… quand on couple des mots avec des catégories, c’est un épinglage) –, ce que j’ai épinglé du symbolique, de l’imaginaire et du réel, ça voulait dire que, pour elle, ça ne faisait qu’un seul fil. C’est la meilleure façon qu’à l’heure actuelle je choisirais pour dépeindre ce qu’il en est du ou de la paranoïaque. L’imaginaire, le symbolique et le réel, pour eux – eux ou elles –, ne font qu’un seul fil… Mais chez le sujet qui… qui se croit malin, y a quelque chose qui joue entre ces trois catégories : l’imaginaire, le symbolique et le réel sont distincts.
Puisque on m’a apporté un tableau, je vais essayer de vous… [Le tableau articulé grince, soupir de Lacan, brouhaha dans l’assistance] de vous représenter comment ça joue. C’est pas pour rien que je les distingue dans cet ordre car, encore que la position de chacun puisse vous paraître à celle des deux autres strictement équivalente, ce n’est pas exact ; ce n’est pas exact en ceci que si je mettais le S là, à la place du R, et le R à la place du S, ça n’aurait pas la même portée. Qu’en d’autres termes, dans ce qui est là dessiné au tableau, et qui s’appelle un nœud borroméen – un nœud borroméen parce que c’est inscrit dans les armes des Borromées. Les armes des Borromées sont faites ainsi, sur la base de cette babiole historique… que… ils s’étaient résolus à… à se solidariser avec deux autres familles et qu’il était inclus dans on ne sait quel pacte originel que si l’un d’eux se séparait de la chaîne, puisqu’en somme c’est une chaîne (c’est pas une chaîne comme les autres, parce que tout le monde sait qu’une chaîne c’est fait comme ça [ tout au long de ces paragraphes on entend distinctement le tracé de la craie sur le tableau ], le fait qu’on enlève un des éléments de la chaîne n’en laisse pas moins les deux autres noués) ; et ce qu’ils voulaient exprimer dans ces armes, c’est que, à rompre l’un de ces cercles, de ces anneaux, maillons de la chaîne, les deux autres devaient se trouver libres. C’est bien ce que vous voyez ici. Supposez que le pacte soit rompu vous voyez bien – puisque de ces deux autres, l’intersection se fait de ce que l’imaginaire soit au- dessus du réel –, vous voyez bien qu’ils sont libres l’un de l’autre. Ça ne saute pas aux yeux, ça ne saute pas aux yeux qu’il y ait moyen d’unir quelque chose fait comme ça – c’est-à-dire quelque chose qui, on le sent immédiatement, ne fait pas chaîne –, qu’il y ait moyen avec un troisième élément de les unir ; c’est pourtant bien simple, il suffit que le troisième élément passe au-dessous de ce qui est au- dessous et au-dessus de ce qui est au-dessus.
[les indications données par Lacan permettent de reconstituer ci-dessous les dessins faits par lui]

Comment je suis arrivé à considérer, avec une certaine préférence, cette chaîne borroméenne ? C’est pas facile à vous dire comme ça, mais il est évident que, comme pour Freud, ça a été lié au fait qu’il existe (4) qu’il existe des personnes qui sont en quelque sorte le vivant témoignage, le vivant témoignage de l’existence (5) de l’inconscient. J’ai parlé tout à l’heure de réel, maintenant je vous parle d’existence, les deux termes n’ont rien à faire ensemble. L’existence n’a rien à faire avec le réel. L’existence, tel tout au moins que je me suis vu imposé l’usage de ce terme, l’existence consiste en ceci… qu’il y a nœud. Qu’il y a nœud, et ici ce n’est pas un nœud que je viens de vous dessiner – un nœud, peut-être que tout à l’heure je vous montrerai ce que c’est –, c’est une chaîne, c’est une chaîne borroméenne. Cette chaîne borroméenne, elle m’a été imposée par ce que je viens d’appeler l’existence de l’hystérique, mâle ou femelle bien entendu. Pour l’hystérie, on pense – on pense peut-être à tort –, on pense que les femmes ont plus de don. Ce n’est pas certain. Avec le temps on s’apercevra peut-être que…que les hommes, enfin… y contribuent bien aussi.
Mais quoi qu’il arrive (et ceci en particulier peut bien arriver), quoi qu’il arrive, c’est du fait que… – dans le jeu de ces maillons, de ces maillons tels qu’ils fassent chaîne –, que le jeu de ces maillons est quelque chose qui supporte, supporte très bien la notion de l’existence parce que (suffit de… d’en regarder un, n’importe lequel, le réel par exemple) c’est dans la mesure où il se coince, où il est capable par exemple de se réduire à ça, qu’il existe à proprement parler. Ceci suppose bien sûr l’admission, l’admission (6)… du sens qui existe… dans ce que j’ai désigné depuis un moment du parlêtre, le parlêtre que j’écris comme ça. Ça a l’avantage d’évoquer la parlote et ça a aussi l’avantage de faire s’apercevoir de ceci que le mot être est un mot qui a une valeur tout à fait paradoxale. Il… il n’existe, c’est le cas de le dire, que dans le langage. La philosophie bien sûr a embrouillé tout ça, de même qu’elle a fait de l’héritage de la psukê – qui était une vieille superstition, dont nous avons le témoignage dans tous les âges si on peut dire –, de même elle a parlé de l’ontologie comme si l’être à lui tout seul, ça se tenait.
Il est certain qu’ici je m’écarte, je m’écarte de la tradition philosophique… je m’écarte de la tradition philosophique et je fais plus que de m’en écarter, je vais jusqu’à mettre en suspens, enfin, tout ce qu’il en est de… de l’ontologie, de la psychologie, de la cosmologie puisque, soi-disant, y aurait un cosmos. Le cosmos est quelque chose qui… qui se… s’épingle, s’épingle depuis toujours d’être strictement imaginaire, d’être strictement le double de ce qu’on imagine être… – d’un nom qui… qui n’a pas été choisi au hasard –, d’être le monde intérieur : l’Innenwelt. Est-ce que l’Innenwelt est l’image de l’Umwelt ? Ou est-ce que l’Umwelt est l’image de l’Innenwelt ? Il est tout à fait clair que, depuis le temps qu’on… qu’on spécule, poétiquement, le cosmos – qui n’est pas pour rien marqué de cette note cosmétique si je puis dire, de cette affinité au beau –, que le cosmos est rêvé comme représentant des fonctions qui ne sont autres que celles que nous imaginons attenir à notre corps. Il y en a toutes sortes de signes, toutes sortes de signes dans ce qui a passé pour la production intellectuelle de ladite humanité.
Ladite humanité n’est évidemment pas sans avoir fait quelques avances. Je ne dirai pas quelques progrès, mais elle est arrivée, enfin, à sortir de son ronron, de son ronron poétique.
Et c’est là que Freud marque le coup d’arrêt. Si je dis, si j’avance que… que Freud a dit… a voulu sauver le rationnel, c’est bien dans la mesure où il tient pour solide, essentiel, consistant que l’homme parle ; les femmes, chose à quoi il faut s’attendre… les femmes parlent aussi… [ Rires, rires « nerveux », on pouffe de rire dans la salle, on s’esclaffe ]
Vayeur!… Il est même probable, si nous en croyons le texte biblique, que c’est Elle, Elle avec un grand E, Elle, Ève, qui a parlé la première. Est-ce qu’il est certain que… que dans cette taquinerie féroce que Dieu a exercée sur Adam en lui faisant nommer les bêtes, rien ne prouve qu’Adam savait ce qu’il faisait, à savoir qu’il avait la moindre idée de ce que c’était qu’un nom d’espèce : il a fallu que Dieu, par dérision, le force à cette nomination pour qu’assurément (on ose, on ose l’espérer, rétrospectivement) ce… ça ait une suite. Mais par contre c’est de son cru, ou bien du cru du diable, qu’Eve parle, parle pour, à Adam, offrir la pomme, la pomme censée être ce qui va lui communiquer quelque chose comme un savoir.
Il n’est donc pas du tout tranché si l’homme n’a parlé que titillé par ce Dieu féroce, féroce – et comme je l’ai entendu pour qualifier ce qu’on appelle le surmoi c’est-à-dire la conscience morale tout bonnement –, féroce et obscène, car tout ceci ne devait aboutir qu’à… qu’à des obscénités, à ce qu’on s’aperçoive de la dimension de l’obscène. C’est ce qu’on appelle en général le Beau qui, de ce fait, ne peut plus passer pour être la splendeur du Vrai mais bien plutôt ce qu’il a de tristement hideux. Il est bien sûr que ça ne manque pas, le hideux dans le vrai ; c’en est même au point que… que ce qu’il y a de plus difficile à obtenir, c’est que le vrai, on le dise un peu plus qu’à moitié. En fait, c’est bien d’une mi-partition, d’un mi-dire qu’il s’agit pour tout ce qu’il en est du vrai.
Oui… Je m’abstiens bien sûr de toute nostalgie en cette occasion. Il n’y a pas lieu d’en avoir pour la simple raison qu’il n’y a nulle part où revenir. Contrairement à ce que… dont témoigne, n’est-ce pas, le dernier artiste à s’être occupé de l’Odyssée, Joyce dans Ulysses, il n’y a pas de nostos. Ce que, Dieu merci, Freud nous… dont Freud nous assure, c’est bien que le seul nostos possible c’est le retour au ventre de la mère, et ce retour au ventre de la mère, c’est très évidemment ce qui ne se peut d’aucune façon, pour la simple raison que, quand on a été pondu, c’est fait et c’est sans retour. Il n’y a pas de nostos, il n’y a pas de nostos, et… il est impossible de satisfaire au vœu, le seul nostalgique qui soit, de n’avoir jamais existé, existé pris dans le sens de l’existence de chacune de ces rondelles qui, ici, constituent la chaîne.
Qu’est-ce qui a fait que, historiquement, Freud se soit déterminé à dire ceci qui me paraît l’essentiel ? L’essentiel que je suis loin d’avoir d’ailleurs résolu, en parlant d’un langage ; j’ai dit un langage parce que il semble bien que, dans tout ce qui existe de l’ordre de la langue, il y ait quelque chose de commun ; quelque chose de commun qui est une haute abstraction, qui est que chaque langue a une syntaxe. Il faut vraiment abstraire beaucoup pour s’en apercevoir, mais il y a longtemps que c’est fait ; y a, comme on dit, une certaine conscience, une conscience de l’être parlant, une conscience du parlêtre qui a fait que de ça, il s’est aperçu, et c’est même pour ça que dans ce qui est phoné dans une langue, on peut la traduire dans une autre quelle qu’elle soit. Aussi loin que nous ayons fait le catalogue de ces langues, la traduction est toujours possible. Là où elle n’est pas possible, c’est dans les langues que nous ignorons. Mais même si une langue est morte, on ne l’a vu que trop, on peut traduire n’importe quelle langue vivante dans une langue morte ; on y a même grand avantage. C’est grâce à ça que se perpétue le processus dit de la pensée, dont bien sûr Freud ne prétend pas donner la clef ni même d’aucune façon savoir ce que c’est. Ce qu’il sait, c’est qu’il y a quelque chose de l’ordre, de l’ordre du langage ; et pas seulement du langage : de l’ordre de lalangue – la façon dont je l’écris, en un seul mot, ceci pour évoquer ce qu’elle a de lallation, ce qu’elle a de… de langué, de linguistique. C’est dans la- langue, avec toutes les équivoques qui résultent de tout ce que lalangue supporte de rimes et d’allitérations, que s’enracine toute une série de phénomènes que Freud a catalogués et qui vont du rêve, du rêve dont c’est le sens qui doit être interprété, du rêve à toutes sortes d’autres énoncés qui, en général, se présentent comme équivoques, à savoir ce qu’on appelle les ratés de la vie quotidienne, les lapsus, c’est toujours d’une façon linguistique que ces phénomènes s’interprètent, et ceci montre… montre aux yeux de Freud que un certain noyau, un certain noyau d’impressions langagières est au fond de tout ce qui se pratique humainement, qu’il n’y a pas d’exemple que dans ces trois phénomènes – le rêve [rire] , le lapsus (autrement dit la pathologie de la vie quotidienne, ce qu’on rate), et la troisième catégorie, l’équivoque du mot d’esprit –, il n’y a pas d’exemple que ceci comme tel ne puisse être interprété en fonction d’une… d’un premier jeu qui est… dont ce n’est pas pour rien qu’on peut dire que la langue maternelle, à savoir les (7) soins que la mère a pris d’apprendre à son enfant à parler, ne joue un rôle ; un rôle décisif un rôle toujours définitif ; et que, ce dont il s’agit, c’est de s’apercevoir que ces trois fonctions que je viens d’énumérer, rêve, pathologie de la vie quotidienne : c’est-à-dire simplement de… de… de… de… ce qui se fait, de ce qui est en usage… en usage… la meilleure façon de réussir, c’est, comme l’indique Freud, c’est de rater. Il n’y a pas de lapsus, qu’il soit de la langue ou… ou… ou… ou… de la plume, il n’y a pas d’acte manqué qui n’ait en lui sa récom- pense. C’est la seule façon de réussir, c’est de rater quelque chose. Ceci grâce à l’existence de l’inconscient.

C’est aussi grâce à l’inconscient qu’on s’essaie… qu’on s’essaie de résoudre ce que nous pouvons appeler en l’occasion des symptômes. Il y a des symptômes, bien sûr, beaucoup mieux organisés, les symptômes dits hystériques, ou les symptômes dits obsessionnels [grand brouhaha dans l’assistance], ils sont beaucoup mieux organisés, ils constituent… [Le brouhaha augmente… Lacan hausse le ton] une psukê, une réalité psychique, voilà ce dont le symptôme donne la substance.
Je sens, mon Dieu, que, peut-être, l’assistance est lassée. [On tousse dans la salle] Je veux donc simplement indiquer que je m’acharne, pour l’instant, sur un artiste, un artiste qui n’est autre que Joyce, je l’ai appelé Joyce le symptôme, c’est que je crois que le moment historique – Joyce et Freud sont à peu près contemporains. Freud est né évidemment, heu… une vingtaine d’années, vingt… un peu plus de vingt ans plus tôt, mais il est aussi mort, quoique très peu, avant Joyce. Que Joyce ait orienté son art vers quelque chose qui soit d’une [sic] aussi extrême enchevêtrement, c’est là le quelque chose que j’essaie d’éclairer heu… je dois dire que, vu ma… mon penchant, vu la façon dont je conçois maintenant ce qu’il en est de l’inconscient en tant que formant une consistance de nature linguistique, c’est par quelque chose d’analogue, puisque du même coup je suis amené à… il faut bien le dire, à symboliser de la même façon le symbolique, l’imaginaire et le réel, à en faire usage de maille (et je vous ai bien sûr passé là où je situe les coincements majeurs) heu.. heu.. ça me sert s.e.r.t., mais je n’ai que trop souvent l’occasion de voir aussi comment, moi ou les autres, ça serre s.e. deux r. e., ça serre, ça serre ces maillons, et je pourrais vous désigner l’endroit où je vois ce qu’il en est du résultat majeur, à savoir cette squeeze qui s’appelle le désir, et il y a longtemps que j’ai… montré que se supportait, que se supportait de l’image du tore ce qu’il en est de la demande, de la demande d’analyse particulièrement.
Bon… Mais ce Joyce, s’il s’est mis à viser expressément le symptôme – au point que il semble qu’on puisse dire que dans son texte, enfin… le pointage du symptôme comme tel est quelque chose à quoi il s’est on peut dire consacré –, il est parti de quoi ? D’un Dublin, d’un Dublin comme nous l’appelons, d’une ville irlandaise où, manifestement, enfin… ni son père ni sa mère n’ont été pour lui de véritables supports, soutiens, comme, avec le temps, nous envisageons que les choses devraient être, devraient être pour produire un résultat ; il est très curieux que Joyce – qu’il ait été ou non informé de l’existence de Freud, ce n’est pas sûr, ce n’est pas sûr, beaucoup s’exercent à en donner des preuves… il n’est pas sûr qu’il était en tout cas à la page. Et c’est probablement à ça que nous devons le fait que dans son œuvre, puisque œuvre il y a, le fait que dans son œuvre, il…, c’est l’embrouille, l’embrouille des nœuds, qui se trouve faire le tissu, le texte essentiel de ce qu’il nous apporte, mais il le fait si je puis dire en toute innocence – il est extrêmement frappant que, pour quelqu’un comme lui qui, dans son œuvre dernière, Finnegans Wake, a tellement joué de la sphère et de la croix, il est tout à fait étonnant qu’il ne lui soit, pas plus qu’à jamais aucun autre, venu à l’idée que, de la sphère et de la croix, [Il dessine] y a autre chose à faire que ce qui en est fait coutumièrement, à savoir… à savoir une sphère surmontée ou surmontant la croix.
Quand vous voyez une sphère armillaire, qui est à peu près quelque chose qui se dessine comme ceci : les trois cercles, qui se référent aux trois plans dans lesquels l’usage du cercle pour représenter la sphère se justifie ; dans ces trois plans, vous voyez que il s’agit d’une même sphère concentrique à elle-même, au lieu que ce dont il s’agit, ça serait que l’un des trois cercles… l’un des trois cercles dépasse un cercle médian, et qu’aussi bien le troisième opère de la même façon à condition étant en dehors de ce cercle transversal que je dessine ici – vous voyez comme il est déjà… que… rien que… difficile rien que d’en parler… –, qu’étant en dehors de ce cercle transversal il passe en dedans, comme vous le voyez ici, du cercle sagittal. Jamais personne ne s’est avisé de représenter ainsi une sphère armillaire alors qu’il est bien évident que la sphère armillaire, déjà en elle-même – du fait d’être sous deux autres cercles à ses pôles, disons… mais sous seulement un dans son diamètre –, déjà implique le jeu de cet ovale, qu’il suffirait en quelque sorte d’un peu plus solliciter pour s’aviser qu’il peut être opéré autrement. Je veux dire que ce quelque-chose que vous voyez là tel que je viens de le dessiner… et il faut ici que j’efface bien sûr, non… pas ceci, il faut ici que j’efface ce qui est là. Alors que ce qui est là, ça n’est rien d’autre que ce qui, mis à plat, donne la chaîne borroméenne. Que personne n’ait songé à faire partir une géométrie élémentaire de ce premier usage du nœud qui est ici offert, si je puis dire, c’est là bien ce qu’il y a de plus remarquable, et c’est c’ par quoi, pour l’instant, j’essaie d’éclairer un certain nombre des choses de notre technique.
Alors, je serais reconnaissant de… – si on veut bien me faire cette grâce –, je serais reconnaissant à quiconque voudrait bien s’en faire le porteur de m’apporter quelque chose qui… qui me donnerait le sentiment que je n’ai pas parlé dans le vide absolu. Je veux dire que si on me donnait, enfin… quelques questions, plus elles seront naïves [Rires], plus ça me paraîtra encourageant. J’ai eu à cet égard beaucoup de satisfaction, beaucoup de plaisir quand j’ai fait récemment une virée en Amérique : c’est fou ce que les Américains sont… sont plus disposés à se risquer dans un questionnement que… enfin, ça a bien sûr… ça a bien sûr d’autres inconvénients… J’ai eu… c’est là que j’ai pu voir, n’est-ce pas, que… c’est là que j’ai pu voir que monsieur [Lacan est interpellé, fort, par une voix de femme :
« Monsieur… » Suite difficilement compréhensible. Rires]… Monsieur Moon avait du succès. Monsieur Moon avait évidemment beaucoup de succès… Je n’y ai même pas avisé (8)… ha… a… a… a… heu… je n’y ai même pas mis l’accent, n’est-ce pas, je crois que, il y a un fil, un fil qui tient Freud qui est celui… qui est ce qu’on appelle le plus opposé à la confusion mystique, n’est-ce pas. Cette confusion mystique est bien entendu ce qui nous menace toujours. La mystique, c’est exactement équivalent à ce que j’ai appelé tout à l’heure la paranoïa, n’est-ce pas. Je ne vois pas d’ailleurs ce qui empêcherait la prolifération de la mystique, puis… à partir du moment où je dis que la paranoïa c’est l’état le plus normal.
Mais j’aimerais que quelqu’un me pose une question (9)


Notes :
(1) Le tout début de la conférence manque dans l’enregistrement.
(2) Le mot prononcé par Lacan peut s’écrire comme ça : Bourre. Il ne semble pas qu’il y ait d’accident d’enregistrement ou autre… L’hypothèse la plus vraisemblable, pour toutes sortes de raisons intérieures et extérieures à la conférence (en particulier, bien sûr le contexte: la Critique du jugement ), est qu’il a voulu prononcer le mot « beau ».
(3) Ici, non plus, pas d’accident et le mot prononcé ne peut s’écrire que comme ça poumant, un par- ticipe présent. C’est un néologisme. On peut le justifier et l’expliquer si on se souvient par exemple de la métaphore par laquelle Lacan caractérise la psychanalyse : « L’analyse, c’est le poumon artificiel grâce à quoi on essaie d’assurer ce qu’il faut trouver de jouissance dans le parler pour que l’histoire continue. » (Interview, France Culture, juillet 73.) On peut aussi noter, dans la présente conférence, comment Lacan nous dit que le nœud borroméen ça serre (lui ou les autres) : le nœud borroméen peut jouer, se serrer et se desserrer, respirer, comme une sorte de poumon ! Et encore ce passage de la leçon du 9 décembre du séminaire Le Sinthome, Lacan y parle de la manière dont il a été reçu aux États-Unis : « J’y ai été aspiré, aspiré dans une sorte de tourbillon, qui, évidemment ne trouve son répondant que… que dans ce que je mets en évidence par mon nœud. » (Lacan décrit donc ici son nœud borroméen comme une sorte d’aspirateur, et ceci un mois et demi avant de « forger », à son propos, le néologisme poumant). On sait que, par ailleurs, Lacan définissait la psychanalyse comme une pratique de bavardage : le bavardage… une respiration du langage ? Et il y a beaucoup d’autres passages dans son œuvre où Lacan mentionne la respiration et le poumon. Voilà… toujours et encore le poumon… le poumon poumant. Le poumon, vous dis-je !
(4) Il faut savoir qu’à l’époque de cette conférence Lacan écrivait ex-siste et ex-sistence. C’est ici perceptible dans sa prononciation, mais comme il n’a pas éprouvé le besoin de le signaler à son présent auditoire, nous écrivons ces mots comme il est d’usage.
(5) Idem
(6) Peut-être manque-t-il ici un ou deux mots dans l’enregistrement au retournement de la cassette.
(7) On dirait plutôt : le soin pris… etc. Pour éclairer cette formulation (fautive ?) de Lacan, nous citerons un passage d’une conférence prononcée deux mois seulement auparavant à Yale University, le 24 novembre 1975 : « je veux dire que les soi-disant phases orale, anale et même urinaire sont trop profondément mêlées à l’acquisition du langage, que l’apprentissage de la toilette par exemple est manifestement ancrée dans la conception qu’a la mère de ce qu’elle attend de l’enfant – nommément les excréments – […] Je proposerai que ce qu’il y a de plus fondamental dans les soi-disant relations sexuelles de l’être humain a affaire avec le langage, en ce sens que ce n’est pas pour rien que nous appelons le langage dont nous usons notre langue maternelle ». (Scilicet n° 6/7, 1976, éditions du Seuil, Paris.) Et dans « l’autre » conférence de Nice, « Le phénomène lacanien », on trouve ceci : « C’est là que, toujours, l’inconscient s’enracine. Il ne s’enracine pas seulement parce que cet être a appris à parler quand il était enfant, si sa mère a bien voulu en prendre la peine, mais parce qu’il est surgi déjà de deux parlêtres. ». « La peine », une formulation proche de « le soin », mais peut-être… plus sûre !
(8) Lacan, déstabilisé, emploie ce mot : avisé, à la place de ce qu’il voulait dire – il vient de l’employer plusieurs fois de suite déjà, peu de temps auparavant –, puis il se reprend.
(9) S’il y a eu des questions et des réponses, elles ne figurent pas sur l’enregistrement.

Pour écouter la conférence (enregistrement de 1:27: 06), suivre le lien : http://www.oedipe.org/article/lacan-nice-de-james-joyce-comme-symptome

pour suivre œdipe.org
http://www.oedipe.org/

Alain Amiel, c’est sans doute sa “passion Van Gogh”, pour reprendre le titre d’un film récent, qui lui a fait détourner, dans l’illustration colorée ci-après à la “touche Van Gogh” caractéristique, “mon” “passant considérable” vers le grand peintre des chemins, des sentiers, des sentes, des routes aussi, des chemins creux dans les campagnes à travers champs sous le ciel.
Alain Amiel a proposé d’insérer dans cette publication une photo de la série des portraits de Lacan en 1957 prises par André Villers, le grand photographe portraitiste. Une belle photo que Villers avait “recadrée” pour illustrer, avec quelques autres portraits de la série, le n° 3 de Trames en 1987. Ami d’André Villers, Alain Amiel, a édité certains de ses livres sur Picasso, Léo Ferré et d’autres. C’est Sylvia Bataille qui, par l’intermédiaire de Prévert, a commandé à Villers ces portraits de Lacan.
Alain Amiel raconte que Dolto était venue à Nice en 1987 à l’invitation de la revue Trames. Il lui avait montré les photos de Lacan de 1957. Elle avait reconnu « la veste qu’il aimait particulièrement à cette époque ». (Il avait donc sans doute voulu la porter pour les “portraits”…)
Alain Amiel était bien placé pour m’aider à retrouver les acteurs principaux de la venue de Lacan à Nice, à l’époque.
Comme éditeur, en effet, il a publié, entre beaucoup d’autres ouvrages et revues, une revue de psychanalyse Trames qui a duré près de quinze ans et dont les fondateurs principaux étaient justement Élisabeth Geblesco et Jean-Louis Meunier qui, eux, étaient activement associés aux séjours de Lacan à Nice en 74 et 76.

La revue Trames :
“Elle est fondée en 1986. L’équipe est composée de Jean-Louis Meunier, Francine Beddock, Pierre Gentreau, Pierre Lassalle, Élisabeth Geblesco, C. Blanchelande, B. Lapinalie, M. Uro, Georges Juttner… Les illustrations sont remarquables : Jean Mas, Lalou… Collaborent aussi à la revue Josée Marti, Hervé Castanet, Marie-Jean Sauret, Bernard This, Jo Attié, Michel Gardaz, Pierre Martin, Marc Lévy, Paul-Laurent Assoun ou encore Harold Blum des Archives Freud ou Giancarlo Gramaglia, de Turin… La revue dure près de quinze ans. On constate que tout le Sud est impliqué jusqu’à Marseille, Avignon, Aix, Toulouse et Montpellier” (Dans le midi de Lacan, Le mouvement psychanalytique dans le sud de la France, Nils Gascuel, Collection : Point Hors Ligne. Éditeur : ERES )
Sa maison d’édition Z’éditions a publié de nombreux ouvrages sur l’Art et après sa période éditeur, Alain Amiel s’est consacré à la critique d’art, voir le “portrait” d’Alain Amiel sur l’AICA (Association Internationale des Critiques d’Art) : http://aicafrance.org/portrait-dalain-amiel/

© Photo André Villers, 1957 publiée dans Trames no 3, mars 1987

La conférence de Jacques Lacan
“DE JAMES JOYCE COMME SYMPTÔME” a été prononcée
au Centre Universitaire Méditerranéen à Nice, le 24 janvier 1976
(photo retravaillée par Alain Amiel)

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