Home

(2001-2020)

Lettres d’humeurs, lettres attristées, lettres en réaction, lettres énervées, lettres tendres… Depuis plus de vingt ans que je travaille sur Vincent, j’ai eu besoin de m’adresser à lui à travers le temps, comme à un ami



Invité 

Mon cher Vincentï

Tu t’es invité dans ma vie sans prévenir. Pour enrichir un site Internet, je cherchais un peu de documentation sur des peintres que j’aimais quand je suis tombé sur ta biographie et surtout sur tes lettres à Theo.

La lecture de ta correspondance a déclenché chez moi un besoin absolu de te connaître, de te comprendre, de tout savoir sur toi.  J’ai l’impression d’avoir plongé dans ta correspondance comme dans une piscine. Plus qu’une image ou une métaphore, c’est une impression réelle de ce que je ressens.

Plonger pour moi a toujours été un plaisir indicible, j’ai toujours plus aimé plonger que nager. Les étés de mes sept à douze ans à la piscine du Club Nautique  de Rabat y sont sûrement  pour quelque chose.

Je ne sais toujours pas pourquoi tu m’as mis si vite mis au travail mais je dois constater que depuis cette date, je te consacre la plus grande part de mon activité, de mes lectures, de mes réflexions et même de mes voyages.

J’ai dû lire une trentaine de biographies qui te sont consacrées, plusieurs histoires de l’art, des catalogues, des monographies, des articles, des ouvrages de psychanalyse, de philosophie, etc., apprenant au passage l’histoire de la Hollande, de la Belgique, la construction des maisons à toit de chaume, la vie des mineurs du Borinage, la technique du dessin, la théorie des couleurs. Grâce à toi, je sais presque tout des peintres du XIXe siècle, de l’Impressionnisme et des mouvements qui l’ont prolongé ou suivi. Je connais l’histoire du Brabant, celle de pauvres paysans Protestants vivant au sein d’une majorité Catholique, ruinés par la maladie de la pomme de terre. Très longtemps, j’ai plané dans des pays de brume, des plaines couvertes de bruyère – très loin de mon Maroc natal ou de mes paysages niçois – avec des histoires que j’apprenais au fur et à mesure.

J’ai voulu voir tous les lieux où tu as vécu, aussi j’ai voyagé sur tes traces. Je me suis rendu plusieurs fois à Zundert où tu es né, puis à Helvoirt, Etten, Nuenen, à Cuesmes, dans le Borinage, en Angleterre, en Belgique, puis à Paris, Arles, Saint Rémy et Auvers. Partout où tu es passé, même quelques semaines ou quelques jours !

J’ai dû aussi analyser toutes tes œuvres (dessins, peintures et ses moindres croquis) en les regardant à la loupe ou de visu dans toutes les expositions qu’on te consacre depuis plus de dix ans, à Paris, Arles, Vienne, Bâle, Amsterdam, Rome, etc.  Les milliers d’heures passées en ta compagnie ont donné une nouvelle direction à ma vie.

Tout ce que j’ai appris sur toi a créé une proximité, une intimité entre nous. Aussi, j’ai eu envie, moi aussi, de t’écrire des lettres. Malgré le siècle qui nous sépare, je suis sûr que tu n’aurais aucun mal à les lire – la langue n’a pas beaucoup bougé en cent vingt ans. 

Tu m’as fait produire une quantité de travail dont je ne me serais pas cru capable : un site Internet, des livres, des films, des photos, des dessins, des peintures, des poésies, des chansons.

Et il semble que c’est pas fini…

Bien à toi
Alain

Cette image a un attribut alt vide ; le nom du fichier est 7463e77a-ed8c-47f2-84b9-2aa560e8e0e6.jpeg


N’être

Cher Vincent,

Parmi tous les souvenirs que tu évoques dans tes lettres, il y en a un qui n’en est pas vraiment un, mais qui semble t’obséder.  Beaucoup de tes biographes ont glosé sur l’histoire de ta naissance. Né deux fois, mort une fois. Qui suis-je ? On dirait une devinette. 

Ton arrivée au monde à été singulière. Le premier enfant de ta mère est mort-né et tu arrives au monde un an plus tard, jour pour jour. On peut imaginer sa désillusion, sa déception, sa tristesse et surtout son anxiété quand quelques mois plus tard, elle a été de nouveau enceinte de toi. Il est probable qu’avant même ta naissance, en son sein, tu as dû ressentir l’inquiétude qui l’habitait. Tes premiers jours, tes premières semaines ont dû se dérouler dans une atmosphère anxieuse. Elle avait peur de te perdre.

Tes parents t’ont donné le même prénom que l’enfant mort-né, mais aussi son berceau, ses vêtements et toutes les affaires préparées pour lui. “Nommé” à sa place, on t’assignait en quelque sorte de le remplacer. Mais comment remplacer quelqu’un qui n’a pas vécu ? Comment être soi et un autre ? Sur la terre ou sous la tombe ? Ton nom gravé dans la pierre, les mêmes anniversaires…

Longtemps on n’a pas su si cet événement était inscrit dans ta mémoire ou s’il avait été refoulé, mais heureusement, il y a quelques années, une lettre destinée à Teersteg, ton ancien patron de la galerie de La Haye, a été retrouvée. Il venait de perdre sa petite fille et tu lui écris pour le consoler : “Mon père a également senti ce que vous avez éprouvé ces jours-ci. Récemment, tôt le matin, je me trouvais au cimetière de Zundert près de la petite tombe sur laquelle sont écrits ces mots : Laissez venir à moi les petits-enfants car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent”. 

Ce fait était bien resté présent dans ta mémoire, puisque vingt-cinq ans plus tard, tu te rappelais des mots gravés sur la tombe. Mais il n’y a pas que ça. Plusieurs autres indices que cet événement t’a marqué existent.

Lors de ma première visite à Zundert, après avoir fait un tour du village, je suis retourné au cimetière qui m’attirait. La tombe de ton frère mort-né est à quelques mètres de l’entrée de l’église. Petite, troublante, émouvante. Photographiant les lieux, une vue de côté me surprend. Elle me rappelle un croquis que tu avais fait de l’église de Zundert, vue du côté gauche, un peu en arrière. La petite tombe n’apparaît pas. Et pourtant elle devrait être là, au premier plan.

J’ai essayé de me mettre à l’endroit exact d’où tu avais pu faire ce dessin. 

En cadrant avec mon appareil photo, j’arrivais à avoir à peu près la même vue : le même coin de l’église (actuellement en partie caché par un nouveau bâtiment) et sur la droite, le portail en fer, comme sur ton dessin. La perspective est la même, mais au pied de l’église devrait figurer la tombe du premier Vincent, là, en plein milieu, mais elle n’y est pas. Tu ne l’as pas dessinée. Tu avais quand même choisi cette vue de l’église plutôt qu’une autre. Comme ce dessin n’a probablement pas été fait sur place (il fait partie d’un carnet de La Haye), c’est ton imagination qui a choisi cet angle, Ce qui est encore plus intéressant. Personne jusqu’ici n’avait donné à cet anodin petit dessin de l’église la signification que j’y trouvais. Cette tombe a hanté ton imaginaire d’enfant et a donné un sens à ta vie, elle rend compte de ta recherche absolue de lumière, de couleurs éclatantes, comme pour fuir son obscurité. 

J’ai aussi pensé à L’Angélus de Millet, une de tes œuvres favorites que tu as recopié de très nombreuses fois. On y voit un homme et une femme en prière. À leurs pieds, un petit panier (substitut d’une tombe ?). Est-ce une réminiscence d’instants tu allais te recueillir sur sa tombe avec tes parents ? 

Dali a eu une vision similaire. Il a également été hanté par cette peinture qu’il a reproduite et réinterprétée souvent. Lui aussi a eu un problème de frère mort un an avant sa naissance. Appelé Salvatore comme lui, on lui a donné ses vêtements, ses jouets. Il a été son double imaginaire.

Il existe aussi un autre tableau dont tu as fait au moins cinq copies, qui peut aussi se rapporter à cet événement : La Berceuse. On voit Madame Roulin, la femme de ton ami le facteur d’Arles, assise, placide, les yeux dans le vague. Elle tient un cordon qui devrait être relié à un berceau, mais le berceau est absent du tableau. Il n’y avait rien à bercer ? Ce pourrait être  l’image d’une mère triste, frustrée.

À ta naissance, et même avant, tu as dû combler le manque de la mère en tentant de remplacer l’absent. L’inquiétude qui a dû régner autour de toi avant que tu naisses a dû durer encore quelques semaines, quelques mois, peut-être deux ans, jusqu’à la naissance de ta sœur Anna, puis de celle de Theo, quatre années plus tard. Tu avais enfin un frère vivant… 

Et c’est le fils de Theo, encore un Vincent, qui va te remplacer.

Bien à toi
Alain   

Maison natale tombe premier Vincent


Tes lettres 

Mon cher Vincent,

Presque tout ce que nous savons sur toi, c’est à tes quelques huit cent vingt lettres que nous le devons. Grâce à elles, je t’ai suivi à la trace, presque jour par jour, durant les trente sept années de ta vie. J’ai relu avec attention et plusieurs fois chacune d’elles et depuis plus de vingt ans, je vis avec tes mots, tes expressions gravées dans ma conscience.

Il nous manque bien sûr celles de tes vingt premières années, (ta correspondance avec Theo ayant commencé alors que tu avais dix neuf ans), mais comme tu évoques assez souvent ton enfance, on s’y retrouve un peu.

Périodiquement je les relis toutes. Par année, par ville traversée, par interlocuteur et aussi in extenso quand j’ai fini d’écrire un livre pour voir si je n’ai rien oublié. 

L’ordre chronologique me convient le mieux, j’ai besoin de comprendre comment les chose se succèdent, s’articulent entre elles. 

Les lettres que tu écrivais à Theo presque toutes les semaines relatent tes activités, tes réflexions, tes projets. On y lit tes évolutions, tes ruptures, ta progression vers la clarté, vers la lumière, ton choix radical des couleurs vives, voire “exagérées”. Elles nous parlent aussi de tes soucis, de tes maux de ventre, de dents malades, de tes difficultés à survivre, mais aussi de tes joies, de tes exaltations. 

Tes lettres françaises, celles de tes cinq dernières années, sont pour moi forcément plus savoureuses que les autres. À partir du moment où tu as vécu à Paris, tu n’as plus correspondu avec Theo qu’en français. Celles d’avant étaient en néerlandais, mais tu écrivais aussi couramment en anglais ou en allemand. En français, ton style est un peu rocailleux, mais tu manies parfaitement la langue, tes métaphores, tes tournures de phrases et tes expressions sont originales et très parlantes. Même ton orthographe est assez juste.

Heureusement, Theo a gardé presque toutes tes lettres. Toi, tu bougeais, tu voyageais souvent, ce qui fait qu’il nous reste très peu de celles qui t’ont été adressées. C’est d’ailleurs extraordinaire que ton frère, jeune homme de 17 ans, ait conservé tes premières lettres et n’ait jamais arrêté. 

Jo, sa femme, a vite compris leur immense intérêt. Elles les a organisées, datées, publiées. On lui doit beaucoup, même si elle en a probablement caché quelques unes, parmi les dernières, celles qui la concernaient, où tu te plaignais d’elle, ou celles trop agressives adressées à Theo les dernières semaines. Elle aurait pu en dissimuler (en détruire ?) plus, car dans beaucoup de lettres, tu es en conflit avec Theo, notamment une où tu te vois en révolutionnaire sur les barricades et lui en face, défenseur du Guizotisme.  Les lettres conservées sont précieuses pour comprendre ton parcours, pour te comprendre. 

Tu es un des rares artistes dont nous ayons à la fois une immense partie de tes peintures et dessins puisque tu n’as presque rien vendu, le seul dont on peut lire dans ses lettres l’évolution de l’œuvre.

Même si ni tes peintures, ni tes lettres ne sont datées précisément, en les rapprochant, on a l’impression de mieux pénétrer tes états d’âme. En les confrontant, j’essaie de trouver les ressorts de ton action, tes logiques, tes cohérences, tes incohérences, un vrai travail de détective.

Je me doute bien sûr de la subjectivité de mes observations, mais pas plus que n’importe quel historien qui connaît bien son sujet, tire ses propres réflexions et livre ses analyses.

Ce sont d’ailleurs tes lettres, plus que ta peinture qui m’ont fait plonger dans ton univers. J’avais vu plusieurs de tes expositions, mais c’est quand j’ai acheté les trois volumes de ta correspondance que tu m’as embarqué dans ta vie, dans ton monde. Depuis une vingtaine d’années, j’achète tous les livres qui te sont consacrés. Je connais les sites web où on peut voir toutes tes œuvres. Grâce à eux, j’ai vu pratiquement tous tes tableaux, tes dessins, tes aquarelles, le moindre croquis. Avant Internet, cela n’aurait pas été possible. 

Tes lettres donnent-elles les clés de tes œuvres ? Tes œuvres disent-elles plus que tes lettres ? C’est dans cet entre deux que je m’insinue pour donner du sens à ce qui t’arrive, et pourquoi pas, pour tenter d’apprendre comment naît une toile, comment chacune engendre la suivante, comment on devient un des peintres les plus connus au monde.

Tes lettres sont une mémoire dans laquelle je pioche des expressions, des maximes de vie, une éthique. Elles m’accompagnent quand j’étudie tes peintures, quand je me promène dans des beaux paysages, quand il y a du vent. Elles sont un monde que je ne cesse d’explorer. 

Moi qui n’ait jamais eu de correspondance suivie, à force de te lire, je me suis habitué à cette forme d’écriture intime, rapide, directe, vraie. Elle m’a donné envie de te répondre sur le même ton, avec la même franchise, comme à un ami qui vit au loin.

Allongé sur mon divan, mes doigts sautillant sur les touches de mon iPad, je tente de transcrire à la vitesse de la pensée ce que tu provoques en moi de réactions, de réflexions, d’émotions…

Bien à toi
Alain 




Plein de dessins 

Cher Vincent, 

Si nous avons quelques croquis réalisés avant tes jeunes années, c’est à partir de 1881 (tu as alors 27 ans) que j’ai enfin sous les yeux de très nombreux dessins au fusain, à la plume, au crayon, à l’encre, et même quelques aquarelles. Un dialogue entre tes lettres et tes dessins s’ouvre alors. Je peux enfin regarder de près les œuvres dont tu parles, suivre tes explications, tes préoccupations techniques, et surtout constater moi-même tes progrès. Une nouvelle aventure dans l’aventure qui se complique. Il me fallait accéder à toutes ses œuvres. 

Heureusement, sur Internet, j’ai pu trouver des sites très complets et examiner toutes tes peintures, tes dessins et les moindres croquis (avant le web, cela n’aurait pas été possible). En te suivant pas à pas, je me rends compte combien à La Haye ton apprentissage a été systématisé, comment, à chaque étape, tu as été attentif à tout comprendre, à tout apprendre : la perspective (grâce au cadre perspectif fabriqué d’après un dessin de Dürer), le trait (avec différents types de crayons, de mines, de craies), la matière (avec différents types d’encres), etc. Tu t’es ensuite attaqué à la composition, au geste, aux mouvements,. 

Pour réaliser tes premières lithographies, tu as dû étudier tous les procédés de reproduction, les différents types d’encre. Deux années de travail soutenu. On est très loin de l’image de l’illuminé à moitié fou, coupeur d’oreille, qui continue à sévir. Ensuite, tu as progressivement trouvé ton propre vocabulaire graphique, inventé ces petits tourbillons propres à ton style, ces torsions et ces traits rapprochés, ces hachures. Tu n’as cessé d’évoluer pour arriver à trouver ton propre style, à ces dessins qui sont considérés aujourd’hui comme des chefs d’œuvres. Le dessinateur a fait le peintre. Tu as voulu maîtriser le trait avant d’aborder la peinture.

Le grand public ne connaît souvent que le peintre, mais le dessinateur est peut être supérieur au peintre. Tes dessins d’après ton séjour aux Saintes-Maries sont incroyables de fraîcheur, de légèreté, de mobilité. On voit le mouvement qu’impulse le vent dans les herbes, dans les nuages, la lumière que par contraste tes hachures mettent en valeur…

Tes dessins ont précédé tes peintures, mais plus tard, tu aimais aussi reprendre certaines peintures pour en retirer des dessins (comme ces bateaux des Saintes Maries). J’aimerais mieux posséder un de tes dessins qu’une peinture, mais je me contente de reproductions sur papier très proches de l’original.  

Merveille de la technique informatique, je peux accéder instantanément à toutes tes œuvres en un ou deux clics et les contempler, les agrandir, voir les moindres détails, analyser la plus petite de tes touches de couleur qui est, comme tu dis « comme un mot dans une lettre ».

Bien à toi
Alain



À Zundert

Mon cher Vincent

Dès la lecture de tes premières lettres, j’ai eu envie d’en savoir plus sur ta ville natale que j’ai cherché sur une carte. Groot Zundert est au Sud de la Hollande presque à la frontière belge. J’ai décidé de consacrer un été à suivre tes traces. Arrivé à l’aéroport d’Amsterdam, je loue une voiture. À quelques cent trente kilomètres, Zundert est une longue rue bordée de maisons, une grande église Catholique et une bien plus petite Protestante, celle où officiait ton père. En m’y promenant, je me suis rapidement senti chez moi. Les gens y sont ouverts, accueillants. L’érudit local qui connaît bien ton histoire a « les cheveux du Christ, une belle barbe de muslim et un ventre de Bouddha » (c’est lui qui le dit). 

Il nous a fait visiter l’église, le cimetière. J’ai même pu monter sur la chaire où prêchait ou ton père officiait et feuilleter son gros livre de prière (le même que celui que tu as peint plus tard). Ta maison natale n’existe plus, elle a été démolie et remplacée par une autre bâtisse. À ma première visite, il y a une dizaine d’années, il n’y avait qu’une salle Van Gogh dans la maison de la culture locale. Un beau musée t’est maintenant consacré. 

À l’époque, j’ai appris pas mal de choses grâce à un livre en hollandais qui parlait de ton enfance. Je l’ai acheté et fait traduire.

J’ai pu voir le placard contenant des archives familiales et photographier une lettre de Moe, ta mère, écrite alors qu’elle attendait son premier enfant. 

Le lendemain, me promenant sur les chemins que tu empruntais, j’ai retrouvé le petit ruisseau derrière chez toi où tu allais chasser les coléoptères.

J’ai sillonné le village et ses alentours, admiré les paysages qui t’ont marqué et que consciemment ou inconsciemment tu as reproduits dans beaucoup de tes œuvres. J’ai humé le même air et marché sur la même terre sablonneuse que tu évoques souvent dans tes lettres. Je t’imaginais déambulant dans la bruyère, essayant de retrouver quelque chose de toi dans ces paysages. Mais une terre garde-t-elle la trace de ceux qui l’ont traversée ? Seule reste l’imagination et le bonheur d’être là. 

Bien à toi.
Alain


Imagine

Mon cher Vincent

Tout au long de ma longue fréquentation de tes œuvres, je me suis posé la question de savoir ce que tu peignais. Au delà des représentations de paysages et de portraits, j’ai cherché s’il y avait quelque chose de permanent dans ton œuvre, qui se répétait. On dit bien des auteurs qu’ils écrivent toujours le même livre, les peintres peindraient-ils le même tableau ? 

Une de tes phrases me fait depuis longtemps réfléchir : “on croit que j’imagine, c’est pas vrai, je m’en souviens”. Tu sembles dire par là que tes souvenirs sont à l’origine de ce que tu peins. Quand tu dis que tu pars à la chasse aux “jolis coins”, que cherches-tu ? Celui qui te rappelle quelque chose ? Un souvenir de paysage d’enfance qui t’aurait marqué ? 

Presque tous tes tableaux montrent de grandes étendues planes, champs de bruyère, de blé, de pommes de terre. Ils renvoient aux environs de Zundert, ta ville natale, à tes promenades d’enfant solitaire dans les chemins de bruyère. Les grands ciels nuageux, les champs de blé, les moissons, y sont sûrement pour quelque chose. À Montmajour, tu dominais des plaines que tu disais aussi grandes que la mer, mais supérieures à la mer, car “habitées”. 

Tu as aimé ces pays aussi plats que la Hollande, “moins les dunes et plus de bleu”, mais bien plus lumineux, ils ont été pour toi une  Hollande rêvée, ensoleillée. 

Les thèmes que tu as choisi de peindre sont relativement simples : des portraits, des paysages, des paysans au travail, quelques marines. Rien de délirant en tous cas en ce qui concerne le sujet lui-même, c’est dans la forme et la technique et surtout par la force de tes couleurs que tu as dérangé tes contemporains.

Un paysage ou un portrait ne sont jamais neutres. Ils renvoient à quelque chose de déjà vu, de déjà connu. Notre cerveau, nous le savons, n’est pas une surface ou un volume vide à remplir. Il est déjà plein de conceptions et d’images qui s’inscrivent dès l’enfance. Toute représentation est représentation d’un étant, d’un instant vécu resté marqué quelque part. Tous ne sont évidemment pas imprimés de la même manière, certains soient gravés plus fortement, plus douloureusement. Ce sont ces instants “traumatiques” qui s’impriment en nous, se collent à nos pensées et dont on n’arrive pas à se défaire. On dirait qu’ils ont besoin de se répéter pour s’aplanir (comme un pierre jetée troublant une eau plane qui met du temps à retrouver son calme antérieur), ou pour digérer ou cicatriser (autres métaphores, plus corporelles). Cette répétition est une tentative pour maîtriser le trauma et le diminuer en l’intégrant à l’organisation psychique. Pour certains artistes, cela est évident, telle Niki de Saint-Phalle, qui redit sans cesse le souvenir de son père qui l’a violée l’été de ses onze ans (“l’été des serpents”, comme elle l’a appelé). Dans ses œuvres, on voit des multitude de serpents, de symboles phalliques, de femmes en morceaux (de céramique). 

Chez Beuys aussi se répète l’accident d’avion qu’il a eu pendant la guerre. Gravement brûlé, il a été sauvé par des nomades tatars qui l’ont enduit de graisse et recouvert de feutre, des matières récurrentes dans son œuvre avec des débris d’avion. 

Si chez beaucoup d’artistes, le souvenir traumatique est manifeste, apparaissant nettement dans l’œuvre, pour d’autres, il est moins évident, plus enfoui, moins visible, moins lisible d’autant que nous n’avons pas leurs lettres pour en savoir plus. Tous les artistes (tous les hommes ?) exploitent plus ou moins consciemment leurs traumatismes dans leurs œuvres. Toute création est une continuation, une re-présentation. Il n’existe pas de création ex-nihilo. Pour être vraie et donc communicable, elle doit jaillir d’une “source profonde de notre âme”, comme tu l’as écris. La vision des choses, la vue, le visible, sont subsidiaires.

Chaque souvenir semble renvoyer à un souvenir antérieur, etc., jusqu’au souvenir primitif, celui qui recèle l’émotion fondatrice. Picasso disait : “je ne peins pas ce que je vois, mais ce que je pense”. Tu le dis aussi. Tes paysages sont avant tout des paysages mentaux, des visions incluant tes états d’âme, tes émotions. Dans certains portraits comme celui du bouvier d’Arles, tu reconnais ton père (Picasso dit aussi qu’il pensait toujours à son père quand il dessinait des têtes d’homme). 

Si tes paysages expriment des sentiments, celui de l’abandon revient plusieurs fois dans tes lettres où tu évoques le jour où tes parents t’ont pour la première fois inscrit dans un internat à Zebenberger, une ville proche de Zundert. Tu revois cette scène où tu regardes tristement la voiture de tes parents “s’en aller sur la route mouillée”.

Tu t’es senti ce jour-là abandonné, rejeté, comme si tu avais fait quelque chose de mal et qu’on te punissait. Tes frères et sœurs restaient à la maison, et toi, on t’exilait. Ta frustration a été immense. Ce sentiment d’abandon, mélangé de punition et d’exil va te poursuivre toute ta vie. Il explique ton caractère solitaire, mélancolique. On le retrouve dans beaucoup de tableaux où on voit des grandes étendues vides, donnant une impression de solitude, comme si tu étais seul au milieu d’un dėsert. Je pense à une aquarelle du Borinage où on voit une toute petite silhouette perdue au milieu des immenses champs de mines. 

Combien d’autres souvenirs sont cachés derrière tes œuvres ? 

Bien à toi
Alain


Nom van Gogh

Cher Vincent,

J’ai toujours du mal à t’appeler van Gogh, dans ma tête, tu es Vincent. D’ailleurs tu n’as jamais signé que par ton prénom, le nom van Gogh est imprononçable pour des français, disais-tu. Cela cachait bien sûr quelque chose. Tu as dit un jour (dans une lettre) à Theo : “au fond, je ne suis pas un van Gogh”. 

Tes relations avec ta famille se sont sérieusement gâtées à partir du moment où tu as refusé leurs codes, que tu as critiqué l’hypocrisie de leurs comportements.

Rien n’est plus important pour eux, as-tu écrit “que leur réputation”, tu ajoutes : “J’ai trop  bien vu le jeu du christianisme contemporain. Il m’a fasciné, je lui dois une jeunesse glaciale.”

Quand tu as décidé d’être peintre, ta famille t’a rejeté, elle n’a pas voulu reconnaître ton talent, n’a rien fait pour t’aider. Comment tes oncles qui pourtant se sont enrichis dans le commerce de l’art ont-ils pu te traiter ainsi ? Même ton frère qui était si sérieux et correspondait tout à fait à leurs critères, n’a pas obtenu d’eux l’aide dont il a eu besoin pour monter sa propre galerie. Ils ont refusé ensuite de lui prêter de l’argent, le condamnant, comme tu l’as écrit, “aux travaux forcés” à vie. 

Jamais ils n’ont apprécié l’être fantasque, original et exalté que tu étais. Pourtant ils avaient fréquenté des artistes, ils étaient cultivés et auraient pu reconnaître que avais un certain talent, mais non. Au lieu de cela, tu passais auprès d’eux, de ton père particulièrement, pour un bon à rien, un mauvais à tout, un “chien hirsute qui aboie et gêne tout le monde”. 

Ils n’ont jamais compris pourquoi tu avais abandonné un métier où tu gagnais bien ta vie, pour cette existence de paria, d’illuminé qui poursuit un rêve impossible. Comment pourraient-ils te comprendre ? Tu les as détesté par moments, mais tu les as aimé et respecté à ta manière. Les longues lettres à ta sœur Wilhemina où tu reconnais tes erreurs, tes imperfections, tes incapacités montrent ta profonde bienveillance. Tu demandais surtout de la compréhension et de la confiance car tu savais au fond de toi que tu ne travaillais pas en pure perte, que tous ces efforts seraient un jour récompensés. La sincérité, la vérité de ce que tu peignais toucherait un jour, tu en étais sûr, les gens “qui ont un cœur”.

Le nom de tes parents était celui de notables. Des deux côtés de ta famille, il y avait des prêtres ou des marchands d’art, ton chemin était tracé. Mais tu n’as pas voulu qu’on reconnaisse en toi un Van Gogh, tu as voulu, tu as été Vincent, même si, grâce à toi, leur patronyme est devenu un des plus célèbres du monde. Mais pour moi, tu es Vincent.

Bien à toi
Alain


Collections

Cher Vincent, 

Après ta naissance, tous les deux ans, ta mère a eu un nouvel enfant. Elle était trop occupée, tu as dû te sentir délaissé. De cette période datent tes grandes promenades dans les champs dont parle ta sœur Elizabeth qui a écrit une petit livre de souvenirs. Elle te décrit comme “taciturne, parlant peu, colérique, un solitaire qui faisait des grandes randonnées pour dénicher les nids” dont tu faisais collection. Bizarre cette collection de nids que tu continueras très longtemps. À Nuenen encore – tu as plus de 30 ans -, un témoin de l’époque raconte qu’il y avait des dizaines de nids sur des étagères.

Autre collection, celle des coléoptères que tu chassais dans le ruisseau à côté de la maison. Tu punaisais les plus beaux spécimens dans des boîtes avec leur noms latin. Un insecte mort, un nom (comme une tombe ?).

Les collections qu’on fait dans l’enfance disent sûrement quelque chose de nos préoccupations, de notre inconscient. Ainsi, celle des nids renvoie à la petite enfance, au besoin de protection, d’être couvé, et aussi aux chaumières des paysans (que tu appelles des nids d’hommes) peintes tout au long de ta vie. 

Ta collection des coléoptères, elle, est liée au nom, à la nomination, dont on sait qu’elle a été un problème pour toi. Elle est aussi en rapport avec la mort.

Bien à toi
Alain


Effervescence et cuisine

Cher Vincent

Dès le début de la lecture de tes lettres, j’ai eu besoin de prendre des notes, puis de les rédiger pour mieux comprendre ce que j’apprenais. Rapidement, mes notices se sont enrichies, et tous les livres que j’achetais alimentaient mes notes biographiques ou techniques.

Aujourd’hui, tes phrases que je recopie sur mon ordinateur me permettent, à l’aide de mots-clefs, de réaliser des thématiques sur tous les sujets qui me préoccupent. Je peux maintenant commencer à faire des recherches plus poussées.

Les images aussi se sont multipliées. J’ai rassemblé tes peintures par date, au mois près, par style, par thème. Je sais maintenant combien tu as peint ou dessiné de semeurs, de bêcheurs, d’oliviers, de cyprès, etc. J’associe aussi tes œuvres à ce que tu en dis et j’arrive à des déductions subtiles et éclairantes. Une vraie investigation !

Cela ne m’étonne pas. Depuis toujours, les enquêtes me passionnent. Celles que je trouvais dans mes lectures d’enfant (le Club des Cinq), puis d’adolescent : Rouletabille, Agatha Christie et surtout Sherlock Holmes m’ont plus que marqué. Je me sens plus « enquêteur d’art » que critique d’art.

Les notes ont pris forme. J’ai créé un site Internet qui continue à s’enrichir tous les jours. Il est un peu le dépositaire de mes recherches, de ma mémoire, de celle que je souhaite partager (il a reçu des milliers de visiteurs).

Pendant que je me débattais avec tes biographies : plusieurs livres à consulter, souvent contradictoires, je n’arrivais plus à me concentrer. J’ai eu l’idée de m’occuper les mains pour réfléchir. Pourquoi ne pas préparer quelque chose pour dîner ? Pourquoi pas un plat marocain ?

Je me suis levé et j’ai préparé avec ce que j’avais un plat de mon enfance.

À partir de là, mon travail presque quotidien sur tes lettres s’est accompagné d’odeurs et de saveurs. Plusieurs fois par semaine, tout en travaillant, je pouvais entendre et surveiller les glougloutements des petits plats qui mijotaient.

Tu as aussi fait de moi un cuisinier ! Tu m’as donné envie de retrouver la cuisine de ma mère. J’ai appris à faire la dafina, le plat mythique de mon enfance.

C’est fou ce que je te dois.

Bien à toi
Alain



Interrogations

Cher Vincent, 

À la lecture de tes lettres et des biographies, tes différentes vies défilent sous mes yeux, tes morts aussi.

Mort le marchand d’art de chez Goupil à La Haye. Mort l’amoureux. Mort l’évangéliste. Mort le Christ roux. Combien de chemins as-tu abandonné en route ? Combien de possibles laissés en plan, de voies délaissées ? De destins en puissance avortés ? Combien de fois mourir à soi-même ? Combien de fois renaître ?

De bifurcation en bifurcation, que reste-t-il de cet enfant que forcément on a tué en grandissant ? Même si on a oublié ses rêves, ses désirs, son intelligence, il ne nous quitte pas, il reste là sur notre épaule et se manifeste sans qu’on s’y attende.

Que nous raconte-t-il encore ? Peut-on ou veut-on encore l’entendre ?

Que d’interrogations ! Plus j’avance dans ta lecture de tes lettres, plus j’ai du mal à te cerner. Tes comportements ne cadrent pas toujours avec l’image mentale que progressivement je me construis de toi. Tu m’échappes parfois et je suis obligé d’admettre qu’il est impossible de rendre compte d’une vie, que rien ne peut épuiser la complexité infinie de chaque être. Chaque biographie est forcément une reconstitution et donc finalement une reconstruction subjective propre à chaque auteur. Elle pose probablement plus de questions qu’elle n’en résout.

Bien à toi
Alain


Bruyère 

Mon cher Vincent

De grandes étendues de bruyère environnaient Zundert, ta ville natale. Tu adorais les petits chemins qui slalomaient entre les champs, les “soleils rouges disparaissant derrière les sapins, le ciel vespéral se reflétant dans les mares”. La bruyère et le sable jaune exhalaient alors pour toi « l’harmonie et la paix”. 

Plus tard, dans la Drenthe, tu décris la journée idéale : “je déambule dans les champs, je peins ce qui me frappe, je m’imprègne de l’air de la bruyère (…) la meilleure vie, c’est celle qui se passe à circuler en plein air dans la nature”.

Tu ajoutes : “Nous garderons toujours quelque chose de la bruyère et des labours brabançons”… Cette bruyère qui t’a imprégné comme elle a imprégné ton pays, comme elle l’a façonné. On la retrouve partout. Mêlée à la terre pour faire les briques les murs, tressée pour les toits auxquels elle a donné leur forme pointue caractéristique, tissée en nattes, en barrières, elle remplissait aussi les matelas. Les paysans complétaient souvent leurs maigres ressources en fabriquant des balais, des brosses ou des paniers qu’ils vendaient au marché.

C’est aussi du cœur de cette bruyère, de ce bois très dense dont l’arôme se mêle admirablement à celui du tabac, que sont fabriqués les fourneaux des pipes que tu as toujours gardé au creux de la main, même pendant que tu peignais.

Bien à toi
Alain


Technique 

Mon cher Vincent,

Avant de t’attaquer à la peinture, tu expliques à Theo dans tes lettres combien tu t’es acharné à comprendre la perspective, les ombres, la lumière. Tu as recopié de nombreuses fois chaque dessin des Cahiers de Bargue et à Bruxelles, c’est un ouvrage d’anatomie prêté ton ami Van Rappard qui t’a beaucoup occupé.

La peinture est venue bien plus tard. Au début, elle était plutôt sombre, mais après avoir obstinément défendu la palette des Hollandais, elle s’est considérablement éclaircie à Paris au contact de la jeune génération des Impressionnistes. 

Dans tes lettres, tu expliques bien comment tu as appris à utiliser la couleur en travaillant à partir de la même gamme : « on commence par se crever sans fruit à vouloir suivre la nature, et tout semble aller de travers. On finit par créer tranquillement en partant de sa palette, et la nature suit ». 

Tu as compris que les mêmes couleurs, plus ou moins diluées, utilisées à des endroits différents du tableau pouvaient agir comme des « rimes visuelles » et qu’il fallait en jouer avec adresse et musicalité.

Tes dernières années, ta touche s’est faite plus légère, moins empâtée. Dans une lettre à Theo, tu expliques comment tu travailles : « je prépare la chose par des sortes de lavis à l’essence puis procède par touches ou hachures colorées et espacées entre elles, cela donne de l’air et use moins de couleurs » (636). 

Tes amis Impressionnistes t’avaient appris que les mêmes touches très courtes créent une mesure telle que « tout le tableau procède d’une même proportion qui crée l’harmonie ». Tu les regroupais en unités plastiques et cernais d’un liseré plus foncé de façon qu’elles impriment une dynamique ondulatoire à l’ensemble du tableau.

Tu avais compris l’essentiel et trouvé ton propre style. Tu étais devenu le van Gogh dont un siècle plus tard, le nom et les œuvres sont universellement connues.

Tes formats sont restés sobres, classiques, loin de ceux démesurés des peintres d’histoire ou d’orientalisme. A Auvers les dernières semaines, parmi tes dernières toiles, une dizaine sont dans un format inhabituel, très en largeur (100 x 50 cm). Pourquoi cette série au format paysage très étiré ?

Même sur ta technique, ses évolutions, il y a encore beaucoup de choses à savoir. Je continue à chercher…

Bien à toi
Alain


Ramsgate

Cher Vincent, 

J’ai voulu voir Ramsgate, le port au Sud de Londres où tu n’as passé que deux mois, mais dont tes descriptions de la mer sont les plus belles, les plus évocatrices de tes lettres. Je m’y suis rendu pour voir la petite place que tu as dessinée deux fois. J’ai pris des dizaines de photos et visité le bâtiment de l’école où tu as travaillé comme instituteur. Comme il était en travaux, j’ai pu y pénétrer.

Comme rien ne signalait ta présence en ces lieux, j’ai pris contact avec l’Office du Tourisme pour leur proposer d’écrire quelque chose sur ton séjour à Ramsgate. J’imaginais un petit livre qui contiendrait tes lettres, les deux dessins et quelques photos pour illustrer les belles ballades au bord de la mer que tu racontes dans le détail. 

D’être si près de la mer semble t’avoir bouleversé. En tous cas, t’a fait écrire ces pages où tu décris les orages impressionnants vus de ta fenêtre, le vol des mouettes, les éclairs, les lueurs lointaines des bateaux… 

Avec ma compagne, nous nous sommes longuement promenés sur la plage où tu allais avec les enfants faire des châteaux de sable et j’ai ramassé un petit bout de varech comme celui que tu avais envoyé à Theo dans ta deuxième lettre de Ramsgate (je l’ai toujours).

A mon prochain voyage en Angleterre, j’essaierai de faire aboutir mon projet de petit livre et ma proposition de faire mettre une plaque sur les lieux où tu as vécu.

Bien à toi
Alain 


Amsterdam 

Cher Vincent,

Après Zundert, je me suis rendu à toutes les adresses ou tu as vécu, mais les villes effacent vite les traces.

Amsterdam, la ville où tu as fait tes études de théologie, m’est devenue une destination quasi annuelle. Tes lettres où tu décris avec poésie le port, les canaux, le cimetière juif, etc., m’ont permis de visiter certains quartiers de la ville comme avec un guide. J’aime cette ville avec ces canaux, son Vondel Park, ses musées et surtout pour la Fondation qui porte ton nom. 

Depuis plus de dix ans, je ne manque aucune exposition ; les dernières ont été superbes :  Vincent et Gauguin, Les Chefs d’Œuvre, Les Couleurs de la Nuit, etc. J’ai été particulièrement intéressé par celle sur ta Correspondance. Plusieurs chercheurs ont travaillé quinze ans pour établir enfin l’édition complète et documentée de tes lettres. Un travail énorme, publié en six grands et gros volumes de plusieurs centaines de pages chacun. Comme le tout pesait plusieurs kilos, un petit chariot était offert avec.

Des milliers de pages que j’ai relues plusieurs fois pour chacun de mes livres. Elles fourmillent d’informations qui n’étaient pas encore dans le domaine public.

Parallèlement, un site Internet comprenant toutes les lettres me sert quotidiennement. En quelques clics, je trouve ce que je cherche. Presque tout ce qui te concerne est numérisé. Le rêve pour un chercheur.

Le musée occupe des dizaines de personnes, du gardien au libraire, du directeur à tous ceux qui travaillent sur ton œuvre. J’ai passé beaucoup de temps à la bibliothèque où sont conservées tes archives.

Tes lettres ne sont pas accessibles, elles sont conservées dans des coffres forts avec une hygrométrie surveillée. Parfois je me dis que si tu revenais, tu ne croirais pas tes yeux. Tes moindres dessins, tes études, le plus petit croquis, sont protégés comme si c’était des Millet, Léonard ou Michel Ange. Tu es  probablement l’artiste auquel le plus d’études sont consacrées. 

Plus d’un million de visiteurs viennent chaque année visiter ton Musée qui, depuis sa création en 70, s’est considérablement agrandi. 

Dans une de tes lettres, tu te plaignais que les musées sont faits pour les artistes morts et qu’on laissait les vivants dans la misère… Tu n’avais pas tort…

Bien à toi
Alain


Les choses derrière les choses

Cher Vincent,

La peinture a toujours été pour toi une recherche de vérité. Tu voulais voir au-delà du visible, comme tu dis, “les choses derrière les choses”, ce qui est indicible, mais que seule la peinture peut exprimer : “Mes toiles vous diront ce que je ne sais dire en paroles”, as-tu écrit juste avant ton suicide. 

Chacune de tes peintures raconte quelque chose de toi, elle peut être considérée comme un autoportrait. En les rapprochant de tes lettres écrites aux mêmes périodes, on saisit mieux tes états d’âme. 

Tes deux principales activités : écrire et peindre, occupaient l’essentiel de ton temps. Tu avais besoin de ce temps de réflexion qu’est l’écriture entre deux toiles, puis de peindre entre deux lettres.

Tes lettres à Theo étaient une sorte de “débriefing” comme on dirait aujourd’hui, de ton travail en même temps qu’un dialogue qui se poursuivait avec l’être humain le plus proche de toi. 

La peinture se doit d’exprimer l’essence des choses, leur quintessence, retrouver ce qui existe de toute éternité, le mythe dans les choses simples, comme tu le dis si bien « l’idée à l’état pur, le beau, l’idéal ». 

Pour cela, il t’a fallu regarder longtemps les paysages et les gens pour les appréhender par l’esprit car “l’œuvre d’art doit jaillir de la source profonde de notre âme”, comme tu le aussi. Elle doit embrasser le tout de son époque, être utile et questionner le monde. Elle doit dire ce qui est vrai, ce qui est : l’imprégnation universelle du sentiment et de la matière. Peut-être ce que Lacan nomme réel, “l’impossible à dire”.

Bien à toi
Alain


Noir c’est noir

Cher Vincent, 

J’ai bien sûr fait le voyage au Borinage, un épisode de ta vie qui m’a fortement impressionné. Je me suis promené sur tes traces à Pâturages, Wasmes, Cuesmes, etc.

Étonnant Borinage ! En fait, plusieurs communes se jouxtent. L’identité de chacune est dissoute dans les labyrinthes des petites maisons en briques qui se ressemblent toutes.

De ton temps, les cabanes de mineurs étaient plutôt en pisé et en bois avec des toits de chaume, isolées les unes des autres, perdues dans les collines et les petits chemins creux.

Cent trente ans sont passés depuis ton séjour. Beaucoup de choses ont changé, mais cette région, à part Mons que j’ai trouvée relativement pimpante, a gardé l’empreinte un peu lourde du pays minier.

Au Borinage on ne peut qu’accoler la couleur noire : noir du fond des mines, des figures de mineurs, des branches calcinées, de montagnes de charbon… et aussi de ton humeur. 

Tu as vécu au Borinage la plus obscure période de ta vie. Venu pour te mettre au service des pauvres et des malades, après avoir tenté sans succès des études religieuses pour être prêtre, tu t’es retrouvé dans une des pires régions minières d’Europe, un lieu lugubre, écriras-tu : “à première vue, tout dans ces parages semble sinistre et funèbre. La plupart des ouvriers sont maigres et pâles de fièvre ; ils sont tannés et vieillis avant l’âge ; en règle générale, leurs femmes sont aussi blêmes et fanées”.

Une association religieuse belge t’a recruté pour donner des cours de lecture et de religion, mais devant tant de misère, tu as donné tout ce que tu avais, y compris tes vêtements. Tu as même quitté le logement douillet que tu occupais chez le boulanger Denis. 

J’ai voulu voir cette maison. Elle est abandonnée, presque écroulée. Ouverte aux quatre vents, j’ai pu y pénétrer. Le petit bond que j’ai dû faire pour me retrouver à l’intérieur m’a fait arriver au milieu d’une petite pièce. J’ai su que j’étais dans ses murs. Même si j’avais déjà visité beaucoup d’endroits où tu avais vécu, être là, dans cette maison délabrée, c’était autre chose.

J’ai examiné tout le rez-de-chaussée. J’ai fait de nombreuses photos et avec ma compagne, établi le plan de la maison. L’escalier étant écroulé, je n’ai pu grimper à l’étage, mais les planchers déchiquetés laissaient bien voir l’ensemble. On parle maintenant de la restaurer (cela a été fait en 2020).

Suite à un coup de grisou dû aux déplorables conditions de travail et de sécurité, tu as soutenu la grève des mineurs en allant plaider leur cause auprès des propriétaires, évidemment sans succès. 

Je me suis approché de cette mine de Marcasse. Un chien noir la garde encore. C’est un grand tas de charbon qui se repère de très loin. Quand on l’approche, on distingue encore des cheminées, des hangars en ferraille rouillée, quelques rails.

Tu as ensuite vécu dans une cabane abandonnée ouverte à tous les vents, à la pluie. Abandonné de tous, de la religion, de ta famille et même de Theo, tu as failli mourrir de faim, de froid et de maladie si ton ami le mineur Decruq ne t’avait hébergé. Il t’a soigné, nourri et redonné le goût de vivre. C’est en donnant des cours à ses enfants que tu t’es mis à crayonner des dessins très sombres, faits au charbon de bois, avec des mines épaisses : des maisons, des champs, des femmes ployant sous le poids de leurs sacs de charbon… c’est alors que tu as eu comme une révélation, un besoin de crayonner sans cesse qui ta poussé à te lever dès l’aube pour dessiner les files de mineurs allant au travail.

Du fond de ta misère tu as trouvé la force de rebondir. À partir de ce moment, plus rien n’a entamé ta foi en ton travail, en ton devenir. Tes lettres qui jusque là étaient remplies de citations religieuses ne vont plus parler que de crayons, de clair obscur, d’ombres, de perspective, de gravures…

Rapidement le Borinage n’a plus été d’actualité, tu avais trouvé ta voie. Cette fois, tu étais sûr que c’était la bonne.

Bien à toi
Alain


La religion

Mon Cher Vincent,

L’homme que je découvre peu à peu dans mes lectures m’a bien déconcerté quand j’ai constaté que tu t’étais enferré dans la religion. J’ai du mal à imaginer comment toi qui aimais tellement ton métier, tu t’en es désintéressé au point de te faire renvoyer et de te noyer dans un absolutisme religieux qui a effrayé tout le monde et particulièrement ton père qui t’a rappelé la légende d’Icare, un mythe qui va désormais te coller à la peau et que tu as incarné particulièrement dans ta période arlésienne, sous le soleil éclatant de la Provence. 

Pour essayer de saisir ce qui se cachait derrière tes métaphores et les textes religieux que tu cites longuement dans tes lettres à Theo, j’ai dû me replonger dans la Bible, chose que je n’avais plus faite depuis très longtemps. J’ai mis plusieurs semaines pour comprendre sa structure, ses différents chapitres, comment elle nous a été transmise et qui en étaient les véritables auteurs. J’ai pris des notes et fait un résumé pour mieux fixer ce que j’avais appris.

En fait, mon éducation religieuse a été peu poussée. Ces lectures m’ont fait appréhender ce qu’était ma religion juive, ses différences avec le Catholicisme, le Protestantisme, etc.

Mes rapports à la foi (celle de ma famille, de mes ancêtres) et à celle des autres, ont beaucoup évolué et se sont pacifiés avec le temps. Plutôt adepte de la théologie apophatique (ce que la divinité n’est pas), il m’est impossible de considérer un Dieu présent, actif (« s’il existe, j’espère qu’il a une bonne excuse », nous dit Woody Allen), mais j’aime bien ces fêtes qui rythment l’année, leurs rituels, les repas qui suivent, les émotions qu’elles engendrent. Elles font partie de ma culture, sont inscrites si profondément en moi que je ne pourrais m’en passer. Je me sens finalement plus pratiquant que croyant.

J’ai compris et apprécié l’extraordinaire saga du peuple juif que raconte la Bible et son errance inscrite dès son origine. Depuis cinq mille ans, il a traversé les siècles d’une terre à l’autre, se fixant partout où cela a été possible et déménageant sans cesse au gré de sa sombre histoire. Je m’y reconnais, ma famille elle-même ayant dû quitter le Maroc ou nous vivions depuis plusieurs centaines d’années. La religion a servi de lien, mais c’est d’une culture, bien au delà d’une foi, dont j’ai hérité.

Toi, tu as abandonné la religion, mais tu as gardé en toi la figure du Christ auquel il t’a été facile de t’identifier. J’ai pensé faire un jour un  parallèle de ton itinéraire, des stations de la croix que tu as portée, celle d’un peintre ayant souffert et combattu à Zundert, Etten, au Borinage, Nuenen, Paris, Auvers…

Je le ferai un jour avec l’aide d’un peintre ou d’un dessinateur.

Bien à toi
Alain



Anvers

Cher Vincent, 

Comme tu as passé quelques mois à Anvers, je m’y suis rendu une première fois il y a sept ou huit ans.

Anvers est une grande ville. Elle l’était déjà de ton temps. J’ai voulu parcourir le chemin qui menait de ton domicile à l’Ecole des Beaux-Arts. C’est très loin, presque une heure à pied, je n’en voyais pas la fin. Il est vrai que tu aimais bien marcher, que tu marchais beaucoup. Tu as même peint plusieurs tableaux de tes chaussures usées. Tu avais l’habitude depuis ton enfance de faire de très longues promenades dans les campagnes alentours et tu n’as pas arrêté dans les villes aussi (à La Haye, Londres ou Amsterdam, tu décris tes ballades).

Anvers est une très belle ville et les quais, qui, selon toi, avaient gardé « un caractère d’authenticité » l’ont toujours. J’ai logé tout près du Steen, le vieux château en bordure du fleuve que tu as plusieurs fois dessiné. Il n’a pas bougé. Je l’ai visité plusieurs fois longuement et j’ai recherché l’endroit du quai d’où tu l’avais dessiné. 

Tu as passé plusieurs mois à suivre les cours de l’académie de peinture où tu as particulièrement travaillé sur l’anatomie grâce à Verlat un professeur dont tu disais qu’il savait peindre « des figures qui ont un dos », qui t’a appris à les détacher grâce à de fines ombres.

Le soir, tu fréquentais des ateliers avec modèle vivants. Il semble que tu aies eu grande activité où tu as beaucoup appris. C’est aussi dans cette ville que tu as découvert les estampes japonaises qui t’ont fasciné avec leurs ton gais, leurs profondes perpectives et leurs aplats de couleurs. Tu as commencé à les collectionner et contrairement aux autres chambres où tu as vécu, tes murs se sont couverts d’estampes colorées qui ont pris la place des figures religieuses ou des Millet, des Hollandais que tu accrochais d’habitude.

Anvers a été une étape très importante dans l’évolution de ta palette. Tu as fait là tes premières peintures très colorées, comme cette femme en robe bleue avec un ruban très rouge. On voit aussi tes grands progrès dans ta maîtrise dans la construction de tes corps, dans la composition.

J’aime beaucoup cette peinture du crâne à la cigarette que tu as faite juste avant de quitter Anvers et l’académie de peinture. Il dit beaucoup de ton humour, de ton ironie, mais aussi de la maîtrise que tu avais déjà acquise.

Anvers n’a quand même pas été pour toi une sinécure. Tes problèmes de dents, tes douleurs d’estomac t’ont pourri la vie. 

En me promenant dans la ville, je n’ai pas arrêté de penser aussi aux jours affamés que tu as vécus, ton manque d’argent endémique, tes appels à l’aide constants à Theo. À la même époque, Knut Hamsun écrivait « La Faim ». 

Bien à toi
Alain


Paris

Cher Vincent,

Les années que tu as vécu à Paris posent un sérieux problème à tous ses biographes. Si jusque-là, grâce à tes lettres, on pouvait suivre ton parcours et tes préoccupations, les deux ans où tu as vécu avec ton frère nous privent de ta correspondance.

Du coup, on ne sait plus rien de tes états d’âme, de tes colères ou tes enthousiasmes. Plus de descriptions de tes tableaux en cours ni de tes récits au jour le jour (ou presque) de tes difficultés, de tes progrès ou de tes recherches techniques.

Même si on peut dans tes tableaux repérer quelques influences, des changements de styles, la proximité émotionnelle et psychologique que nous avions jusque-là avec toi n’est plus possible.

Tes biographes ont heureusement pu aussi retrouver les traces d’événements, d’expositions, recouper les dates de rencontres d’artistes dont le parcours nous est connu comme Signac, Gauguin, et notamment Bernard qui nous apprend que tu le rejoignais souvent chez ses parents à Asnières.

J’ai recherché l’île Robinson, elle n’existe plus. Elle a été recouverte par des routes et des tunnels. Impossible d’imaginer le fameux Restaurant de la Sirène que tu as peint sur cette autoroute urbaine !

Les bords de Seine ont été complètement aménagés. Un sentier très agréable permet de longer la Seine près du pont d’Asnières où il y a maintenant un port Van Gogh.

J’ai aussi, bien sûr, arpenté les chemins de Montmartre. L’appartement que tu habitais avec Theo au 54 de la rue Lepic (quatrième étage) est tout près du Moulin de la Galette (qui est toujours là – c’est un restaurant).

J’aurais bien voulu gravir les marches d’escalier que tu évoques dans une lettre, mais l’immeuble était fermé. Cela m’aurait intéressé de voir pourquoi tu disais que tu avais le vertige dans cet escalier.

Je me suis promené dans tout le quartier, prenant des photos de l’entrée de la maison de Toulouse-Lautrec, de l’atelier Cormon, du Tambourin (c’est maintenant un sex-shop), de la boutique du père Tanguy (aujourd’hui toute rouge ; on y vend des estampes japonaises), de la galerie Boussod-Valadon (devenue magasin d’optique) et de la Cité Montmartre, le dernier logement de Theo.

Même s’il n’y a plus de guinguettes ou de jardins comme de ton temps, Montmartre garde encore la nuit une atmosphère particulière.

Tu as eu à Paris une activité extraordinaire. Tu as organisé plusieurs expositions, tu as même baptisé ton petit groupe d’amis : « les Impressionnistes du petit Boulevard ». Tu as montré des dizaines de toiles au Tambourin, devenu en quelque sorte ta galerie personnelle pendant les quelques mois que tu as fréquenté Augustina, la propriétaire des lieux. Tu y as organisé une exposition d’estampes japonaises ou tout l’atelier Cormon est venu. Et le soir, tu sortais, tu devais boire pas mal d’absinthe ou de vin, tu refaisais le monde avec tes amis anarchistes du cabaret d’Aristide Bruant. 

Tes dizaines de toiles parisiennes montrent ton activité, les lieux que tu as fréquentés. J’ai essayé de te suivre à travers tes peintures. D’abord à ton arrivée à Paris, les très nombreuses copies de bouquets ou de vases à fleurs, preuves d’une activité plutôt à l’intérieur. Au printemps 1886, les moulins et Montmartre, puis des copies de plâtre (quand tu as fréquenté l’atelier Cormon jusqu’à l’été). À l’automne, tes grandes ballades au Bois de Boulogne (les souliers très usés que tu as peints en sont la preuve), à l’hiver, les portraits de Tanguy, ceux d’Agustina nue. Le Printemps et l’été suivant : les bords de Seine, Asnières, Clichy, les « japonaiseries » en automne… Et beaucoup, beaucoup d’autoportraits (une trentaine) comme si tu te cherchais dans le miroir de tes toiles. Des dizaines de bouquets de fleurs, tes premiers tournesols… Pourquoi autant de fleurs ? Pour l’infinie variété de leurs couleurs ?

Plus de 224 peintures en deux ans, des dizaines de dessins, quelle énergie !

Trop peut-être…

D’après Theo, tu étais devenu impossible, irascible, votre appartement était toujours en bordel (il s’en plaint dans une lettre à votre sœur Wilhema). Il dit que tu le maltraites, que tu lui fais sentir que tu ne l’aimes pas. Bien sûr, vous vous êtes ensuite réconciliés.

Enfin, au bout de deux ans, à ce rythme, tu te sens complètement épuisé, comme tu dis, « à force de te monter le cou ». Tu as besoin de repos, de te ressourcer à la campagne pour digérer tout ce que tu as vécu, de te retrouver plus calmement, loin de l’agitation parisienne, te recentrer sur toi-même.

Tu sens un grand besoin de lumière, de soleil, « de voir une mer bleue sous un ciel bleu ». Ton ami Toulouse-Lautrec t’a conseillé d’aller à Arles, « le pays de la lumière et des tons gais ». Un genre de Japon que tu recherchais. 

Tu as pris ta décision. Et te voilà dans le train, pour de nouvelles aventures… Tant de choses s’étaient passées ces deux dernières années : ta rencontre avec les Impressionnistes, la couleur vive, la reconnaissance de tes pairs, tous les copains que tu t’étais fait. En deux ans, tu avais rencontré plus de gens que toute ta vie. Et quels personnages ! Les Pissarro, Toulouse-Lautrec, Bernard, Guillaumin, Tanguy, Russell, et tant d’autres, devenus tes amis, toi qui n’en jamais avais eu qu’un ou deux avant. Les salons, les expos, les discussions, les remises en questions, ta palette qui n’a cessé de se modifier depuis les bouquets de fleurs d’après Monticelli jusqu’aux œuvres japonistes,  pointillistes… Quel dommage que nous n’ayons presqu’aucune trace de tes états d’âme que tu décris si bien dans tes lettres. Nous aurions senti, je pense, un Vincent excité, hyper actif, animateur d’un groupe d’amis, organisateur d’expositions, conquérant… 

Nous avons quand même tes œuvres et leur évolution incroyable. Si on met côte à côte tes premiers tableaux parisiens, par exemple une copie de bouquet de Monticelli ou un Moulin de la Galette et la copie du pont sous la pluie d’Hokusai ou les berges de la Seine pointillistes, on voit l’immense révolution que tu as faite dans ton travail et probablement dans ta vie. Et tes autoportraits ! Jamais tu ne t’es autant peint, autant regardé, autant analysé. On pourrait y lire tous les changements qui s’opèrent en toi. On y lit tes interrogations sur toi-même : de l’homme sombre à bonnet noir des tout premiers aux lumineux et colorés de l’été parisien, il y aurait un travail d’analyse à faire sur chacun.

Je m’y attelle.

Bien à toi
Alain


Femmes

Mon Cher Vincent,

Tu n’as pas eu de chance avec les femmes, tu n’étais vraiment pas doué en amour. Peut-être n’as-tu pas trouvé celle qui t’aurait compris, soutenu, aimé… À chaque fois, tu as les effrayées. Souvent même, tu les as fait fuir.

Eugénie, ton premier amour, a semblé plus qu’étonnée par ta déclaration. Elle était sûre que tu étais au courant de ses fiançailles (avec le précédent locataire de la chambre). L’as tu su ? Ignoré volontairement ? As tu considéré qu’elle passerait outre ? Étais-tu aveugle à ce point pour confondre une relation amicale avec l’amour ?

En tous cas, ce premier amour raté à eu de très graves répercussions. Une déprime qui a duré plus de quatre ans où tu t’es réfugié dans la religion. 

Et comment as tu pu fonder le moindre espoir sur Kee, une femme qui venait de perdre son mari ? Tu avoueras à Theo que tu savais n’avoir aucune chance avec elle, alors pourquoi as-tu insisté si lourdement en lui envoyant des dizaines de lettres qu’elle ne lisait pas ? Elle a quitté la maison le jour même ou tu t’es déclaré. Elle a fui, on dirait. C’est ton caractère passionné, ton romantisme excessif qui sûrement lui a fait peur et elle non plus, n’a jamais voulu te revoir.

C’est Sien, une ex-prostituée, paraît-il, en fait une pauvre fille mélancolique, qui, comme tu dis, « avait eu des problèmes » qui t’a fait oublier Kee. Tu avais besoin d’une femme, tu te « gelais sans amour », tu te « pétrifiais »… Vous vous êtes aidés mutuellement. Elle a été ta compagne, la seule avec laquelle tu aies vécu. Grâce à elle, tu t’es senti vivre comme un ménage d’ouvrier avec des enfants autour. Cependant, tu as dû subir la haine de ta famille de curés pour laquelle tu vivais dans le péché. Tu leur faisais honte. Ils ont tout fait pour t’en séparer. Ils y sont arrivés d’ailleurs. 

Tes biographes ont minimisé cette relation, mais en regardant de près tes dessins, on se rend compte des immenses progrès que tu as faits quand tu vivais avec elle. Ceux de la Drenthe, faits quelques jours après que tu l’aies quittée, montrent une vraie maîtrise de ton crayon. L’un d’entre eux est impressionnant, il évoque ton état d’âme, une parfaite métaphore de ce que tu vivais : un homme tirant une immense herse… presque une figure christique.

Quelques mois plus tard, de retour chez tes parents à Nuenen, c’est Margot qui t’a fait oublier Sien. Elle était tendre, douce, tu l’as comparé à un violon de Crémone qui aurait été réparé par des réparateurs incapables. Elle t’a aimé, mais là, ce sont ses sœurs qui ont fait barrage. Elle n’ont pas accepté que leur plus jeune sœur (elle avait quand même plus de trente ans) épouse un bon à rien tout juste sorti des bras d’une putain. Là encore, tu as dû céder et partir.

Le seul amour qu’on te connaisse ensuite, si amour il y a eu, est Agustina Segatori, la tenancière du cabaret le Tambourin avec laquelle tu as eu une liaison de quelques mois. Tu l’as souvent peinte assise, allongée, et même à poil, les seuls nus que nous ayons de toi. Mais ça n’a pas duré, on ne sait pas bien ce qui s’est passé, mais il semble que son copain qui était en taule est revenu. 

En même temps qu’elle, tu as perdu les murs du Tambourin, ta salle d’exposition personnelle. Tu y avais accroché beaucoup de tes œuvres et même organisé une exposition d’estampes japonaises où tout l’atelier Cormon est venu.

Pour finir, quelques biographes et surtout Pialat t’ont prêté une dernière relation avec Marguerite, la fille du docteur Gachet dont tu as fait un portrait. mais c’est très peu probable. Jeune fille timide de 17 ans, elle n’aurait jamais frayé avec un vieux comme toi, ami de son père qui, du reste, t’a vite fermé sa porte et n’a plus voulu te voir.

Voilà… La liste de tes amours est bien courte. Dommage que tu n’aies pas connu une femme qui ait su te soutenir, t’aimer…

Bien à toi
Alain

Voir le film : Les amours de Vincent : https://youtu.be/0be2Sfa0JHc


Émotions humaines en peinture

Mon cher Vincent,

Toutes les grandes émotions humaines ont été traduites en peinture. Le Naufrage de la Méduse, par exemple, décrit la détresse absolue, la peur de mourir, et en même temps, la folle espérance. La Piéta de Michel-Ange dit tout l’amour d’une mère et la profonde mélancolie d’une femme qui vient de perdre son enfant, le Semeur de Millet, l’espoir en l’avenir, le Cri de Munch, le désespoir, l’angoisse.

Dans tes tableaux, certaines émotions sont récurrentes. Ainsi, à Ramsgate, cette place vide au sol mouillé après la pluie renvoie au souvenir du jour ou tes parents t’ont « abandonné » dans cet petit internat de Zevenberger. Tes frères et sœurs restant à la maison, tu as vécu cela comme une punition. On te séparait des gens que tu aimais, de ton univers, de tes champs. 

On retrouve aussi cet image d’homme seul perdu dans des immensités vide d’humains dans ce tableau du Borinage et dans tous ces champs à perte de vue que tu as peint tout au long de ta vie. 

Dans les nombreux cimetières et tombes de La Haye, Nuenen, des Saintes-Maries de la Mer que tu as dessinés, on lit tes préoccupations sur la mort, la naissance, la résurrection, liées à ton frère mort-né. 

Les paysans au travail, ceux que tu as vus durant ton enfance, sont aussi revisités dans des dizaines de toiles. Semeurs et faucheurs, arbres et fleurs racontent tes premières années, ton attachement à la terre.

Le soleil intense que tu as cherché et trouvé à Arles nous dit ton besoin de chaleur, de lumière, comme pour t’éloigner de la tombe froide et sombre de ton frère mort-né.

Les portraits vibrants d’humanité du facteur, de tes amis Boch, Tanguy, de Patience Escalier, du surveillant de Mausole expriment ton besoin de rencontre, de chaleur humaine. Et dans tes autoportraits, c’est bien sûr toi que tu cherchais.

Bien à toi
Alain


Ce que tu peins

Mon cher Vincent,

D’innombrables chercheurs ont analysé tes toiles, ton style, ta palette… Je les ai bien sûr lus, mais il m’a semblé plus intéressant de savoir ce que tu disais toi même de ta peinture, et aussi pourquoi tu choisissais de peindre telle portion du monde plutôt que telle autre.

Dans une lettre d’Arles, tu écris : « Je n’ai qu’à ouvrir les yeux et à peindre droit devant moi ce qui me fait de l’effet (…) ». Et plus loin, « Dans mon œuvre, je vois un écho de ce qui m’a frappé, la nature m’a raconté quelque chose, m’a parlé et je l’ai noté en sténographie. Dans mon sténogramme, il peut y avoir des mots indéchiffrables, des fautes ou de lacunes, il reste pourtant quelque chose de ce que le bois ou la plage ou la figure m’on dit ».

Tu attends donc de la nature qu’elle te parle. Ce n’est donc pas la représenter qui t’intéresse, mais entamer un dialogue avec elle.

Dans ce que tu appelles un « sténogramme » (pourquoi ce mot ? Je me suis renseigné : la sténographie était employée depuis 1870, elle s’est développée en même temps que la bureaucratisation).

Enfin, ce sténogramme – un croquis vite réalisé -, doit « restituer l’émotion avant qu’elle ne se sauve ». En quelques traits, il doit fixer l’essentiel, « ce qui reste quand on a tout oublié » et exprimer une subjectivité, à l’instar de tes Maîtres : « Millet et Lhermitte, Michel-Ange, dis-tu, sont des vrais peintres en ce sens qu’ils ne peignent pas les choses telles qu’elles sont, sèchement analysées, scrutées, mais telles qu’ils les sentent ». Ton grand désir c’est d’apprendre à peindre ces inexactitudes-là, ces anomalies, ces refontes, ces modifications de la réalité, des mensonges comme tu dis, « plus vrais que la vérité littérale ».

Le problème, c’est que contrairement à l’écriture qui se déploie progressivement, le tableau se dévoile d’emblée. Il faut donc qu’il soit compréhensible au premier coup d’œil, puis qu’il ait différents niveaux de lecture. Pour cela, il faut le « regarder longtemps », prendre le temps de « lire » les éléments qui le composent, d’en déchiffrer les sens cachés.

Émotions ressenties devant un paysage, dialogue, subjectivité, mais aussi mémoire car chaque tableau renvoie au « souvenir d’un autre », en rappelle un précédent dont il est en quelque sorte la suite, remontant au souvenir primitif d’une émotion ressentie dans l’enfance. Une phrase revient souvent : « nous garderons toujours quelque chose de la bruyère et des labours brabançons ».

Bien à toi
Alain


Arles 

Cher Vincent, 

La lecture de tes Lettres page par page, m’a amené enfin à Arles. À trois heures de voiture de chez moi, je peux m’y rendre très souvent pour mettre mes pas dans les tiens, sentir le même air, voir les mêmes ciels, la même nature.

Je me suis rendu d’abord sur les quais pour voir la courbe du Rhône que tu as peinte sous un ciel étoilé bleu profond avec la Grande Ourse juste au dessus. J’ai cherché le lieu exact d’où tu l’avais peinte, puis j’ai regardé si la silhouette de la ville avait changé. En fait, très peu. Si on a la bonne lumière, on est dans ta toile.

Pas loin de là, de l’autre côté de la place, l’emplacement où devait être la Maison Jaune. Elle a été détruite pendant la guerre par un bombardement des Alliés voulant couper les ponts du Rhône. On en a même une photo. Elle n’a pas été reconstruite, mais elle pourrait l’être. À sa place, il y a un petit parking. J’avais proposé au Maire de la faire rebâtir, mais sans succès.  

Le café que tu fréquentais et que tu as peint n’est plus là, pas plus que le restaurant où tu déjeunais. Le quartier a changé depuis ton passage. Il n’y a plus ces jardins dont tu parles ou que tu as dessinés et peints. J’ai essayé de les reconstituer comme je l’ai fait de ta maison jaune. 

Dans la ville, j’ai mis mes pas dans les tiens, retrouvant tes circuits : la route de Montmajour, les quais du Rhône, la Place du Forum, celle du Café la nuit (ils ont refait la façade d’après ton tableau), les petites rues qui menaient de l’hôpital à ton atelier ou tu retournais peindre pendant la journée, les Alyscamps que tu as peints quand Gauguin était là.

J’ai aussi parcouru la Crau dans tous les sens, recherchant les endroits où tu avais posé son chevalet, essayant de retrouver les mêmes vues.

Tes toiles ne mentent pas. Sur cette immense plaine, le soleil, au moment où il l’effleure, semble démesuré. Paraissant plus proche, il occupe une portion inhabituelle du ciel, à moins que le mistral, balayant les miasmes de l’espace nous le rende plus présent ? Le ciel, d’une transparence indicible, prend alors un bleu de rêve comme pénétré d’une lumière immanente. Un jaune orangé très doux s’étend alors sur la terre qui se teinte d’un doux violet lilas.  

Tu as aimé ce pays d’Arles comme une petite patrie, dis-tu, et tu y as bâti la maison de tes rêves. Mais Gauguin est arrivé et ton rêve s’est fracassé.

À Arles, j’ai aussi goûté au « mistral diable » que tu opposais au soleil dieu. Ce « maître des vents » a été ton ennemi. Il faisait trembler la toile, elle s’envolait parfois. Il a donné à tes œuvres ce « hagard » que tu retrouvais dans les peintures de Cézanne. Mais tu ne craignais pas de t’y confronter, de te mesurer à lui. Tu arrimais ton chevalet à des piquets fixés au sol et tu attachais solidement la toile. Au besoin, tu t’agenouillais dessus pour finir de la peindre. 

Qui mieux que toi a pu exprimer la force du vent, le balancement des cyprès ébouriffés ou les vibrations argentées des oliviers ?

Les Arlésiens t’ont d’ailleurs surnommé le « peintre du vent », probablement avais-tu aussi pour eux « du vent dans la tête ».

À Montmajour, le soleil, l’espace, le ciel, le vent, et ce léger surplomb pour embrasser cette majesté infinie… Ce pays te plaisait. Il te faisait penser à ton pays natal auquel on aurait ajouté le soleil, la lumière, une Hollande ensoleillée, dominée.

C’est à Arles que tu as peints tes plus belles séries : les vergers en fleurs, les moissons, les tournesols, des portraits étonnants, etc. 

Tu dis toi même que tu as été heureux comme dans “l’idéal d’une vraie vie”, toute la journée à peindre sous un soleil éblouissant dont tu jouissais “comme une cigale”. Tu ne voulais plus partir, tu avais décidé de t’y établir et de réaliser ton rêve : une “maison pour les peintres”, “un atelier du Midi” où tu accueillerais tes amis artistes, “pauvres chevaux de fiacres” parisiens. La “Maison Jaune” repeinte (en jaune beurre frais), meublée et aménagée serait l’écrin idéal, une vraie maison d’artiste où « chaque objet qui la compose ait un caractère artistique ».

Tu as été tellement heureux à Arles. Le printemps fabuleux des vergers, l’été solaire des champs de blé, des tournesols et les tableaux de nuit, le début de l’automne et les vignes…

Mais ce bonheur s’est vite dissipé à l’arrivée de Gauguin. Que se serait-il passé s’il n’était pas venu ? Comment une mauvaise rencontre peut-elle faire basculer une vie ?

Bien à toi.
Alain


Saintes Maries de la Mer 

Cher Vincent, 

Amoureux depuis longtemps de la Camargue, de ses paysages où ciel, terre et mer se confondent, j’ai été intrigué par ton séjour aux Saintes-Maries.

J’ai recherché le maximum de documentation sur le village en 1888 et rencontré des érudits locaux sympathiques et partageurs de leur savoir.

Avec toutes ces informations, j’ai voulu faire le point sur les œuvres réalisées et retracer cette semaine décisive (et ses conséquences). Il en est sorti un livre en 2006 dans une maison d’édition consacrée à Van Gogh que je crée à cette occasion.

Mon ami Jànluc a réalisé pour le livre une aquarelle « santonnisée »  du village. On peut y voir Vincent en haut de la butte dessinant le village.

Grâce à toi, je connais bien maintenant l’histoire – et les légendes – des Saintes-Maries, et je continue de m’y rendre au moins une fois par an pour y jouir de la mer, des marais et bien sûr, pour me promener sur tes traces. C’est en quelque sorte, mon pèlerinage à moi.

J’ai fait depuis, en 2014, un petit film avec mon ami Jean-Claude où je lis en voix off l’essentiel de ta lettre des saintes, plus deux autres extraits d’une lettre à Bernard ou tu parles de ce séjour qui a été un moment important dans ton approche de la couleur.

À ma demande, la chaîne Arte a consacré une de ses émissions où on le voit déambuler dans les paysages de Vincent.

Depuis longtemps, et tu le dis dans tes lettres, tu rêvais de voir la Méditerranée. Tu connaissais celle des peintres (Monet, Cézanne…). Dès que tu as pu, d’Arles où tu t’es installé, tu as rejoint le village des Saintes en diligence. 

Quelques uns de tes biographes avant moi avaient repéré que ce séjour était loin d’être anodin, mais en y travaillant sérieusement, je me suis rendu compte qu’il avait joué un rôle déterminant sur ton regard, sur ton amour des couleurs.

Deux lettres écrites à ton retour, disent beaucoup de choses sur l’évolution de ton travail, de ton regard, des couleurs, des ciels de nuit, etc., et de la Méditerranée surtout. 

Tu étais descendu vers le Sud pour chercher “la lumière et les tons gais”, mais aussi pour voir la “Méditerranée des peintres”. Tu t’attendais à voir “un ciel bleu sur une mer bleue”, mais la Méditerranée a des couleurs changeantes, “on ne sait pas si c’est bleu car la seconde d’après les reflets prennent une teinte rose ou grise.

Les premiers jours, fasciné par la mer et les bateaux, tu as peint des marines. Tu en avais déjà peintes quelques unes quand tu allais à Scheveningen, la plage de La Haye, mais celles ci sont éblouissantes de couleurs et de vibrations lumineuses.

Aimant la Camargue depuis toujours, la fréquentant, j’ai eu envie de travailler sur les quelques jours que tu as passés là. Quand j’ai commencé à rassembler les éléments, je ne me doutais pas que ces quelques jours au “bord de la Méditerranée enfin” allaient marquer une rupture importante dans ton travail. Dans la lettre écrite à ton retour, tu dis à Theo : “Je voudrais que tu passes quelque temps ici, tu sentirais la chose, au bout de quelque temps, la vue change, on voit avec un œil plus japonais, on sent autrement la couleur. Aussi ai-je la conviction que justement par un long séjour ici, je dégagerai ma personnalité. Le japonais dessine vite, très vite, comme un éclair, c’est que ses nerfs sont plus fins, son sentiment plus simple. Je ne suis ici que quelques mois mais – dites moi, est ce qu’à Paris j’aurais dessiné en une heure le dessin des bateaux?”.

Tu dis aussi : “Maintenant que j’ai vu la mer ici je ressens tout à fait l’importance qu’il y a de rester dans le midi et de sentir – s’il faut encore outrer la couleur davantage – l’Afrique pas loin de soi.”

Le regard plus japonais, la vitesse, les couleurs outrées, trois acquisitions importantes qui vont révolutionner ton travail.

Les tableaux que tu réalises à ton retour à Arles et ce que tu en dis, sont éclairants : le Semeur dont tu dis : “je me suis un peu foutu de la vérité de la couleur” et le zouave “un des plus laids” que j’aies faits”. Tu dis à Bernard que tu le trouves “horriblement dur”, et pourtant, tu dis : “je voudrais travailler à des portraits vulgaires et même criards comme cela. Cela m’apprend, et voilà ce que je demande surtout à mon travail… Faire des études de figures pour chercher et pour apprendre, ce serait pour moi le plus court chemin de faire quelque chose qui vaille”. 

Pour toi, le Semeur est équivalent, aux Mangeurs de pommes de terre

Tu voudrais faire “des images naïves de vieil almanach de campagne où la grêle, la neige, la pluie, le beau temps sont représentés d’une façon tout à fait primitive”. Ton style se cherche…

Les tableaux réalisés à cette période  sont remarquables : bateaux sur la plage, la Rue des Saintes, et la Moisson : “La dernière toile tue absolument tout le reste, il n’y a qu’une nature morte avec des cafetières et des tasses et assiettes en bleu & jaune qui se tienne à côté. Cela doit tenir au dessin. Il faut que j’arrive à la fermeté de couleur que j’ai dans cette toile qui tue les autres”.

Au retour des Saintes, Tu avais trouvé ton style.

Bien à toi
Alain

Voir le film : La semaine de Van Gogh aux Saintes-Maries : https://youtu.be/Eom71IqcpxE


Maison Jaune maquette

Mon cher Vincent,

Pour l’exposition du cent-cinquantenaire de ta naissance organisé à la Fondation d’Arles, j’ai proposé la réalisation d’une maquette de la Maison Jaune. L’idée a plu. Le budget nécessaire accepté, j’ai m’y suis attaqué.

À partir de son implantation au sol (trouvée aux Archives d’Arles), de vieilles photos (quelques-unes existent encore – on a même celle d’après le bombardement de 1944 où elle est éventrée), du plan de M. Coquiot (qui a visité la maison en 1936, avant qu’elle ne soit bombardée pendant la guerre), et, bien sûr, de tes dessins, de ton l’aquarelle et de ta peinture, on a pu, avec ma compagne et mon ami Jànluc, peintre et perspectiviste, en reconstituer le plan et la distribution générale avec l’atelier-cuisine au rez-de-chaussée et les chambres à l’étage. Ensuite, avec mes amis maquettistes, nous avons dû regarder à la loupe toutes les photos, imaginer l’escalier, retrouver les cloisons, la cheminée. On pouvait maintenant en faire la maquette (à l’échelle 1/20e, 1 m 40 de large sur 1 m 20 de hauteur environ).

Pour ta chambre, pas de problèmes, on en a plusieurs dessins et deux peintures qui ont permis à mes amis Jacques, Alain et Richard de reproduire en miniature les meubles, les ustensiles de toilette, les fenêtres, les portes, puis de les mouler (en résine).

En revanche, pour la chambre de Gauguin, nous n’avions aucune représentation. J’ai cherché dans tes lettres ce que tu en as dit (tu parles du lit à couverture bleue, des rideaux jaunes et de la commode en noyer), et j’en ai trouvé aussi une petite description par Gauguin. J’avais de quoi réaliser une restitution plausible.

Pour ton atelier, j’ai cherché ce qu’il y avait « derrière » quelques-unes de tes peintures ou croquis. En arrière-plan de certains de tes tableaux (le Zouave, Madame Roulin, etc), j’ai trouvé le carrelage, la cheminée, la table, les chaises (tu dis que tu en avais acheté douze), ta planche à dessin et même une estampe japonaise près de la fenêtre. Avec tous ces éléments, on a fait au mieux.

C’était pour moi amusant et émouvant de tenir dans mes mains les petits meubles qu’on voit dans tes toiles, ton lit, la table de toilette avec le broc d’eau, la bassine, le cadre perspectif, et même tes serviettes et ta blouse suspendue derrière ton lit. J’ai installé tous les éléments en regardant bien ta toile.

Le moment magique a été celui où j’ai installé moi-même tes tableaux aux murs. La boucle était bouclée. 

La maquette est toujours à La Fondation, mais pas exposée dans les nouveaux lieux (elle doit pourir dans les réserves).

Nous avons travaillé aussi sur l’environnement proche de la maison – la Place Lamartine, telle qu’elle était en 1888. Jànluc en a fait une superbe aquarelle (présentée à La Fondation d’Arles). On y retrouve le restaurant Venissat, le Café de la Gare, la gendarmerie, l’entrée de la ville, etc. On peut maintenant mieux imaginer les lieux que tu as foulés.

Bien à toi
Alain 


Putain de Gauguin

Mon cher Vincent,

Tu étais si heureux à Arles… L’arrivée de Gauguin a tout fichu par terre. Pourtant tu l’as attendu avec impatience. Il allait être le premier à venir dans ton « Atelier du Midi ». Tu rêvais d’un phalanstère, d’une communauté de peintres comme celle des bonzes japonais, qui vivraient ensemble, partageant les frais et les expériences, s’enrichissant mutuellement.

Gauguin que tu avais connu à Paris, très peu de temps en fait, ėtait très apprécié par Theo qui tentait de vendre ses toiles..

Quand il t’écrit qu’il était dans la mouise en Bretagne pour te demandait d´intervenir auprès de Theo pour qu’il lui envoie de l’argent, tu lui a proposé alors de te rejoindre. A deux, pensais-tu, vous dépenserez moins. Tu te sentais un peu seul et tu pensais que de la compagnie te ferait du bien. Quelle erreur !

Après avoir tergiversé plusieurs mois, Gauguin arrive. Il n’est pas content d’être là. Il en a rien à foutre de toi, il est venu, écrira-t-il à son ami Schuffeneker parce que tu “le suppliais” et envisage d’y rester un ou deux mois – le gîte et le couvert payé. Il compte surtout sur Theo pour lui vendre quelques toiles afin de réunir le pécule qui lui permettrait d’entreprendre son voyage dans les îles.

Il arrive à Arles dans un état d’esprit très éloigné du tien. Ses dernières toiles de Bretagne montrent des enfants lutteurs et le Combat de Jacob avec l’Ange. Il amène avec lui son sabre et ses gants d’armes. Et toi, tu venais de faire un autoportrait en “bonze, simple adorateur de bouddha éternel”. Tu as même obliqué un peu tes yeux, pour faire plus japonais. Tu peignais alors des ciels étoilés, des tournesols… Le lutteur et le rêveur n’allaient pas faire bon ménage !

D’ailleurs, dès la première soirée, tu te rends compte que tu ne le connaissais que très peu, tu ne m’attendais pas à avoir en face de toi un être aussi violent et dominateur. Ses récits de baroudeur t’ont un peu effrayé. Dès le lendemain, tu l’écris à ton ami Emile Bernard : “Nous nous trouvons en présence d’un être vierge à instincts de sauvage. Chez Gauguin, le sang et le sexe prévalent sur l’ambition”.

Dès le premier jour, il a critiqué ce pays que tu chérissais, il trouve “tout petit, mesquin, les paysages et les gens » et regrette les ciels de Bretagne où “tout y est mieux, plus large, plus beau qu’ici”. Il déteste les auteurs que tu lis (Daudet, Zola) et les peintres (Millet, Monticelli, Daumier) que tu aimes. Vos discussions sont vite devenues  orageuses et vous avez failli en venir aux mains. Un soir, tu lui as balancé un verre de cognac sur la figure. Tu t’en es excusé le lendemain, mais ces confrontations permanentes t’épuisaient, tu en sortais “comme une pile après usage”.

Gauguin te dominait physiquement et psychiquement. Il trouvait ton travail sale et désordonné et critiquait sans cesse ce qu’il appelle ton “tripotage des couleurs”. Il s’estimait nettement supérieur alors que toi tu “pataugeais considérablement”, comme il l’a écrit à son ami. Ce qui était très loin de la vérité. S’il était sûr de ses théories (supprimer la ligne d’horizon, enserrer les zones colorées d’un cerne foncé, etc.), il a beaucoup appris de toi, notamment sur l’énergie de tes couleurs. 

S’il repartait, tout l’espoir que tu avais mis dans l’Atelier du Sud s’effondrait. Tu avais fait dépenser tellement d’argent à Theo pour la maison que ta culpabilité était immense. Tu venais aussi d’apprendre par ta mère les fiançailles de Theo. Cette nouvelle t’inquiétait. Comment Theo pourra-t-il continuer à t’aider s’il se marie ?

Une nouvelle altercation avec Gauguin finit de te mettre en rage. Il a décidé de s’en aller dès le lendemain, a fait sa malle et part dormir à l’hôtel. Il ne veut plus te voir, il est menaçant. Tu te réfugies dans l’atelier où tu peins une arène avec des taches de sang et des taureaux hurlant à la mort (vous veniez d’assister à une corrida). Quand tu remontes dans la chambre, tu t’aperçois qu’il a emporté une de tes dernières toiles de tournesols et mis à la place le petit portrait qu’il avait fait de toi quelques jours avant. Mais tu n’en voulais pas de ce portrait où tu as l’air d’un cinglé, “c’est moi, mais moi devenu fou”, as-tu écrit à Theo. 

La nuit de l’oreille coupée a suivie… Elle en aura fait couler de l’encre, sans doute beaucoup plus que de sang versé…

Tu as voulu une ultime explication avec lui, il fallait qu’il entende ce que tu avais à dire. Tu as pensé qu’il devait être au bordel où vous alliez souvent. Tu décides de t’y rendre, mais tu es sale, de retour d’une journée dans les champs, plein de peinture. Tu as voulu te débarbouiller, te changer, te raser. Et c´est là que devant ton miroir, ta main a glissé. Dans un geste brusque, rageur, le rasoir a dérapé, cisaillant ton oreille droite qui tombe dans ta cuve. Le sang coule, un beau rouge. Tu prends le bout de chair dans la main, tu te couvres la tête d’une serviette pour éponger le sang et de ta chapka pour recouvrir le tout, et tu sors, toujours obnubilé par l’idée de retrouver Gauguin pour lui donner ton bout de lobe, un beau cadeau pour ce toréador…

Tu arrives au bordel, quelques rues plus loin, tu vois Rachel, ta putain préféré sur laquelle Gauguin avait aussi jeté son dévolu. Elle te dit que Gauguin n’est pas là. Tu ne sais quoi faire, tu lui mets ton bout d’oreille dans sa main, tu lui demandes d’en prendre soin et tu t’en va. Quand elle découvre ce que tu lui a mis dans la main, elle s’évanouit, paraît-il. 

Tu retournes tant bien que mal à la maison, tu t’écroules sur ton lit.

Quand tu te réveilles, il y a du monde autour de toi, les gendarmes ont été prévenus. Heureusement que dans un brouillard, tu reconnais la tête barbue de Roulin. Tu lui demandes de faire venir Gauguin. Il ne faut surtout pas que Theo apprenne ce qui s’est passé. Une culpabilité terrible t’écrase, tu sombres dans le coma profond (tu avais perdu beaucoup de sang).

Plusieurs jours ont suivi où tu as déliré. Gauguin ayant alerté Theo par un télégramme où il te disait mourant, ton frère a accouru. Il est resté quarante-huit heures, sans que tu puisses lui parler.

Ce même jour, il devait être chez ses beaux-parents pour faire sa demande en mariage, une fête que tu lui a gâché…

Quand quelques jours plus tard, tu reprends tous tes esprits, ce que tu as fait te paraît terrible. On allait te déconsidérer, te prendre pour un fou dangereux. Tu a gâché les fiançailles de Theo. Que vont penser sa belle famille, et la tienne ? Ton rêve d’une maison pour les artistes s’effondrait. Tu es accablé comme jamais…

Il te faudra du temps pour te remettre. Tu tenteras plus tard de renouer avec Gauguin, non sans lui reprocher son attitude, mais tu ne le reverras plus. Il a détruit ton rêve.

Bien à toi
Alain

Pétition

Mon cher Vincent,

J’ai voulu voir la pétition, celle où une trentaine d’arlésiens ont demandé ton enfermement et l’ont obtenu. Je me suis rendu aux Archives d’Arles. Elle n’y était pas. Heureusement, j’en ai trouvé une copie. Je l’ai lue à la loupe.

Je pensais que le terrain avait été largement labouré, que tout avait été dit sur cette pétition, ou presque, en tout cas, les choses les plus importantes. Et bien non, comme à Zundert, j’ai fait des découvertes qu’aucune biographie ne mentionnait. J’ai eu la chance de trouver des éléments qui éclairent autrement l’histoire (et l’origine) de cette pétition.

C’était en fait une entente, une cabale minable montée par le gérant de la Maison Jaune, l’épicier et le buraliste pour te déloger qui en est plus probablement la véritable cause.

Cette pétition pose toujours problème à Arles. À cause d’elle, j’ai eu moi aussi à me battre.

Le peu de documents d’archives dont dispose la mairie : la pétition, le rapport du Docteur Delon, le brouillon des décisions d’enfermement et de transfert dans un asile nous avaient été promis par le maire pour l’exposition.

Ces documents étaient en fait sous la garde stricte d’une conservatrice (très conservatrice). Travaillant au catalogue de l’exposition chez l’éditeur, je les attendais pour compléter la maquette. Mais quelques jours avant le bouclage, j’apprends que le maire qui pourtant nous les avait promis de vive voix (lors d’une rencontre quelques semaines plus tôt), nous les refuse à présent.

Cent quinze ans après, cette pétition connue de tous, pourrait-elle poser encore des problèmes aux Arlésiens ? Comment un maire peut-il être gêné par un fait aussi vieux, par une magouille de petits commerçants affairistes, profitant de la faiblesse et de l’originalité d’un artiste, forcément un peu hors normes, pour le faire enfermer et récupérer sa maison.

Pourtant, il y a maintenant à Arles une superbe fondation Van Gogh et avant, un grand « Espace Van Gogh » où, en 1989, une exposition a eu lieu pour célébrer le centenaire de son séjour… dans l’hôpital où il fut enfermé ! Pour l’occasion, il a été rénové à grands frais. 

Malgré cela et la pluie d’or que tu as depuis versés sur Arles, (sa renommée mondiale et les retombées économiques qui vont avec), le travail de mémoire de notables arlésiens n’a toujours pas été fait. 

Mais j’étais décidé à me battre. J’ai pensé avec l’aide de personnalités influentes de la ville, pouvoir infléchir le Maire. Malheureusement, elles se sont défilées.

J’étais lâché de presque tous (seul l’éditeur me soutenait). J’ai commencé par écrire au maire une lettre agressive où je lui demandais s’il voulait laisser son nom dans l’histoire comme celui de Tardieu, le maire de l’époque.

Après une nuit blanche, une solution est trouvée par la directrice de la Fondation et Commissaire de l’exposition : si le maire ne voulait pas nous donner les originaux à exposer, il ne pouvait nous empêcher de publier ce qu’on voulait dans le catalogue (l’éditeur était d’accord). Un avocat a même été consulté, nous confirmant qu’aucun procès ne pouvait être intenté pour une histoire aussi ancienne.

J’avais heureusement dans mes dossiers des photocopies de ces documents.

Pour moi, le compromis était acceptable. Je me suis vite remis au travail. Le temps était compté.

L’exposition s’est bien passée. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont pu admirer des dessins originaux de Vincent dans la ville qui les a vu naître.

La maquette de la Maison Jaune a eu aussi beaucoup de succès. Je suppose que, comme moi, les visiteurs de l’exposition ont été émus de voir (en miniature) cette fameuse Maison Jaune, théâtre des principaux événements et lieu de création de tant de chefs-d’œuvre.

Je continue néanmoins à mal comprendre cette ville avec son « jésuitisme » de province, comme tu dirais, et ces petites cachotteries d’un autre siècle.

Bien à toi
Alain

L’argent de Theo

Mon Cher Vincent,

L’argent tient une grande place dans tes lettres, dans ta vie. Pas une lettre où tu ne parles d’argent. Pour remercier Theo, accuser réception de son envoi, pour faire l’état de tes dépenses et du manque d’argent endémique où tu es, pour demander un extra, pour le presser de t’en envoyer car tu dois rembourser tes créanciers, etc.

La seule fois où tu as gagné plus que ce qu’il te fallait pour vivre a été quand tu travaillais à la galerie Goupil de La Haye. Tu avais vingt ans, tu faisais des cadeaux à ta famille, à tes amis.

L’argent était un problème dans ta famille. Ton père, pasteur de petites communautés villageoises, n’était pas riche, il discutait âprement son salaire à chaque nouveau poste. Pourtant, à sa mort, il a laissé une somme substantielle avec laquelle il aurait pu t’aider bien plus qu’il ne l’a fait.

Mais depuis que tu as décidé d’être peintre, c’est Theo qui t’envoyait ce qu’il fallait pour vivre et travailler. Il te faisait aussi parvenir tous les mois tes commandes de toiles, de peintures et pinceaux.

Dans les périodes de tension entre vous deux, la plupart du temps à cause de tes relations avec ton père, tu reprocheras à Theo plusieurs fois de te « tenir à court ». 

Tu avais établi un accord avec lui : il t’enverrait une somme chaque mois (150 f) qui te permettrait de te nourrir et de travailler, et dès que tu vendrais, tu le rembourserais. Cette  somme qu’il t’envoyait était substantielle, elle permettait de vivre à une petite famille, comme celle de ton ami Roulin, employé des Postes. Mais ton besoin de matériel, de modèles outrepassait souvent votre accord. Tu te débrouillais mal avec l’argent. Tu l’expliques à Theo : “Il se peut que tu n’arrives pas à comprendre, mais voilà, quand je reçois de l’argent, mon envie dominante n’est pas de manger, bien que j’aie jeûné, mais de peindre, et je me mets aussitôt en quête de modèles. Et je continue ainsi jusqu’à ce que je sois au bout de mon argent”. Évidemment, vu comme ça…

J’ai voulu savoir ce que gagnait réellement Theo pour mieux comprendre. Son salaire mensuel fixe était de 4000 f par an auquel s’ajoutaient des commissions conséquentes (autour de 7000 f) sur les ventes des tableaux (payées tous les six mois), soit une moyenne mensuelle de 700 à 1000 f.

Il te versait donc plus de 150 f (sans compter les extras), et aidait aussi vos parents et ses sœurs. Néanmoins, cela ne l’empêchait pas de bien s’habiller ni d’acheter de beaux meubles. Il sortait aussi beaucoup et mettait de l’argent de côté (son livre de comptes en fait foi).

Tu pesais pour environ un cinquième de son budget, ce n’est pas rien, mais cela ne semblait pas poser de problèmes à Theo qui t’envoyait volontiers 50 f tous les dix jours.

Tout va changer quand il va rencontrer sa femme car dès son retour de Hollande où il s’est fiancé, il t’écrit une lettre où il te reproche ta manière de vivre et te demande de surveiller tes dépenses, de les prévoir et de t’y tenir. Jamais auparavant, il ne t’avait parlé comme cela. Quelques mois plus tôt, il te disait que l’argent ne comptait pas, que tu ne lui devais rien et qu’il fallait surtout que tu prennes soin de toi, de bien te nourrir et faire attention à ne pas tomber malade. 

Sa femme a interféré tout de suite dans votre relation. Tu a vécu cela comme une blessure. Tu culpabilisais de dépenser tant d’argent, mais comment faire sans l’aide de Theo ? 

La maladie, tes crises, les frais de l’hôpital, etc., ne vont pas arranger les choses. Aussi, tu décides d’aller à Mausole dans un hospice peu cher, pensant que tu pourrais peindre tranquillement et préparer la cinquantaine de toiles nécessaire pour faire une exposition où tu vendrais. Tu as écris ces mots déchirants : “Puisque nous avons tout l’hiver, écoutez, laissez-moi tranquillement continuer mon travail, si c’est celui d’un fou, ma foi tant pis, je n’y peux rien alors. Si je ne suis pas fou, l’heure viendra où je t’enverrai ce que j’ai depuis le commencement promis ; je rendrai l’argent ou je rendrai l’âme”.

Dans cette lettre, tu emploies le « vous ». Tu n’écris plus directement à ton frère mais à un couple. Tu te sens acculé, ton intimité avec Theo n’existe plus. Il se marie, un enfant naît. Quand tu reviens à Paris car tu n’en pouvais plus de cet hospice, de cet entourage de religieuses et de toqués divers, tu es plein d’espoir, mais ça se passe mal. Jo, ta belle-sœur, a été particulièrement désagréable, tu lui écris d’Auvers où tu es retourné le jour même : “les ennuis prennent trop de place, sont trop nombreux et vous semez les épines”. S’adressant toujours à elle, tu reviens sur la question d’argent – « Je crains beaucoup d’être ahuri et trouve étrange que je ne sache aucunement sous quelles conditions je suis parti – si c’est comme dans le temps à 150 par mois en trois fois ? Theo n’a rien fixé et donc pour commencer je suis parti dans l’ahurissement ».

Sur cette question d’argent, traitée de tout temps avec Theo, une nouvelle interlocutrice s’est imposée. Tu lui as écrit : « J’ai craint – pas tout à fait, mais un peu pourtant – que je vous étais redoutable étant à votre charge »… Elle s’était donc immiscée dans tes relations avec Theo jusqu’aux points les plus sensibles. Comment négocier avec elle ?

Les liens qui t’unissaient à Theo avaient été brisés sans même qu’il en prenne conscience. Tu t’es senti trahi, abandonné. Tu as espéré encore un mot de lui, mais en vain.

Après ton suicide, on a trouvé dans ta poche ce bouillon de ta dernière lettre : « ma foi, avant qu’il y ait chance de causer affaires à tête plus reposée, il y a probablement loin (cette phrase est soulignée). Voilà la seule chose qu’à présent je puisse dire et que cela pour ma part je l’ai constaté avec un certain effroi”. Tu lui demandes pourtant de réagir : “mais tu n’es pas dans les marchands d’hommes pour autant que je sache, et tu peux prendre parti”. 

Tu as encore attendu un mot de lui, mais rien n’arrive. Tes dernières toiles sont finies. Tu n’as plus de peinture, le “minimum bien raide” demandé n’est pas arrivé. La dernière phrase de ta dernière lettre s’achève par une question : « Eh bien mon travail à moi, j’y risque ma vie et ma raison y a sombré à moitié. Mais que veux-tu ? ».

Ce « que veux-tu ? » est bien émouvant. Il interroge le désir de Theo comme ultime recours…

Bien à toi.
Alain


Au musée, le libraire débile m’a envoyé la sécurité

Mon cher Vincent,

La nouvelle Fondation Van Gogh d’Arles venait d’ouvrir. Je l’avais déjà visitée une dizaine de jours auparavant, mais je revenais car mon film “la lettre des Saintes-Maries de la mer”, allait être projeté dans le cadre de la Fondation lors de la nuit des Musées.

Tout se présentait au mieux. J’étais tout content de voir les réactions du public face à mon petit film de 4´30, où apparaissent toutes tes œuvres des Saintes, plus celles que tu as faites au retour d’après tes dessins. En tout, huit toiles, une aquarelle et seize dessins dont certains d’une qualité graphique exceptionnelle. Je les ai complétés avec quelques plans de ciel, de meŕ et de cabanes tournés par moi il y a peu. En voix off, je lis ta lettre à laquelle j’ai rajouté des extraits de deux autres lettres où tu parles de ce séjour.

Bref, j’ai réalisé, aidé de mon ami Jean-Claude, un petit film que j’espère intéressant et sensible. On allait le projeter sur une terrasse de la toute nouvelle et superbe Fondation qui venait d’être inaugurée. L’Hôtel des Donines, un belle bâtisse du XVe siècle, anciennement Banque de France (tu remplaces une banque, on t’aura tout fait !) a été rénové à grands frais pour accueillir la nouvelle Fondation. Locaux magnifiques, portes et fenêtres ultra-blindées, terrasses à gargouilles surplombant les jolis toits d’Arles, art contemporain de qualité, personnel très présent, etc., tout ça pour toi.

Sur ton nom se brassent aujourd’hui des centaines de millions. En additionnant les budgets de fonctionnement de tous les lieux qui te sont consacrés depuis des années, on doit atteindre des milliards. Tes œuvres, tes dessins, la moindre de tes études valent un argent considérable, inimaginable, pour toi, qui en as tant manqué. J’en veux à tous ces gens qui t’ont fait souffrir, aux “vertueux citoyens d’Arles” comme tu dis, qui t’ont fait enfermer et aujourd’hui se glosent de ton nom. Ce ne sont pas les mêmes, le temps a passé, mais je sens encore dans cette ville une drôle d’atmosphère hostile (c’est la deuxième fois que cette ville m’exaspère),

Ce soir donc, je venais voir mon film projeté sur la terrasse supérieure de la Fondation. J’ai été très bien accueilli par la charmante coordinatrice artistique, puis j’ai revisité l’exposition en m’attardant sur chacun de tes tableaux. Les voir en vrai est un privilège. Aucune reproduction ne remplace ce qu’on reçoit de l’œuvre originale, une vibration de la lumière, un scintillement des couleurs, une perpective plus profonde, c’est incomparable.

Plusieurs tableaux présentés ont une importance particulière à mes yeux. Notamment la vue du village des Saintes, le seul village que tu aies peint, la cabane de gardian blanchie à la chaux, au sol orangé et au ciel d’un bleu limpide qui t’a servi pour expliquer à ton ami Bernard ta nouvelle façon d’utiliser les couleurs et bien sûr la fameuse Maison Jaune, sur laquelle j’ai beaucoup travaillé (j’en ai même fait la maquette au 10e), si importante pour toi. Elle devait être “du sol au plafond” couverte de toiles, “une maison d’artiste, mais non pas précieuse, au contraire, rien de précieux, mais tout, depuis la chaise jusqu’au tableau ayant du caractère”.

Il y a aussi le faucheur, peint juste au retour des Saintes, qui marque une rupture. Aux Saintes-Maries, en inventant la couleur radicalement subjective, tu gagnais une nouvelle liberté, celle de peindre un ciel vert (au-dessus du village), un sol violet, une maison couleur jaune beurre frais. Tu t’es senti libre de créer des harmonies parallèles, d’utiliser dans le même tableau les trois paires de complémentaires (Rue aux Saintes), d’exagérer les couleurs et même de les “outrer davantage”, comme tu dis. 

La technique impressionniste a été elle aussi un carcan. Tu as inventé ton propre style, plus libre, aux touches rapides, expressives, quasiment expressionnistes. Il y a eu un avant et un après ton séjour aux Saintes. C’est ce que j’essaie de montrer dans mon livre et dans le film.

Après une ultime ballade dans le musée, content de ma soirée, je fais un tour dans la librairie. Je vois qu’il y’a de nombreux livres qui te sont consacrés édités par différents éditeurs, mais aucun de ceux que je t’ai consacrés.  

Je vois qu’il y a de livres sur toi d’éditeurs différents alors que le libraire m’avait dit qu’il ne vendrait pas d’autres livres que ceux que la Fondation. Je voyais bien que ce n’était pas le cas, qu’il m’avait menti (j’ai son mail).

J’ai demandé à la personne qui était à la caisse, si je pouvais voir le responsable. C’était lui. Je me suis présenté et j’ai demandé des explications. Pourquoi mes livres ne seraient pas en vente comme les autres ? Mes livres ont toujours été présents dans la librairie de la Fondation. Par ailleurs, ils se vendent bien au Musée d’Amsterdam depuis plus de dix ans (plusieurs centaines vendus, réassorts permanents), au Musée d’Orsay, dans tous les centres van Gogh, jusque dans la Drenthe. J’ai écrit quatre livres, publié des dizaines d’articles, je suis probablement l’auteur le plus prolixe sur van Gogh de ces dernières années. Je suis un critique d’art reconnu, membre de l’AICA et ce libraire (encore à prouver qu’il en ait les compétences vue la tristesse de sa librairie) a décidé que mes livres n’étaient pas assez bons pour lui ! Je voulais des explications, mais il fuit, ne sait quoi répondre, me dit qu’il n’a pas à se justifier. Je lui demande s’il a lu mes livres, il me répond que non. Je lui dis que je ne vais pas me laisser faire, je vais me plaindre auprès de la Directrice, faire une lettre aux administrateurs. Je le vois tripoter son téléphone, j’attends un peu pendant qu’il sert des clients. 

Un grand bonhomme avec écouteurs s’amène, me demande qui je suis. À mon tour, je lui demande qui il est lui-même… Je n’avais pas compris que ce petit con de libraire avait appelé la sécurité ! C’est la première fois qu’on appelait la sécurité pour moi, j’étais estomaqué. Il est taré, ce mec, trouillard ou stupide…

Le vigile a été d’ailleurs sympathique, je lui ai expliqué ce qui se passait. Il a compris que je n’étais pas un danger, mais je n’en revenais toujours pas.

J’allais partir quand je tombe par hasard sur la Directrice. Je lui explique que je viens d’avoir une altercation avec son libraire. Je lui demande qui est ce monsieur qui s’autorise à décider que mes livres ne sont pas assez bons pour la librairie et qui, en plus, m’envoie la sécurité.

Elle a été étonnée, m’a dit qu’elle allait voir s’il était possible de faire quelque chose. On restait en contact.

Tu vas dire que j’exagère et que je suis partial, mais je vais me défouler un peu, il m’a trop énervé.

Je suis fils et frère de libraire, j’ai fréquenté toute ma vie des librairies et je n’ai jamais vu de librairie aussi mal organisée, aussi pauvre. Les livres ne sont pas classés, pas rangés dans un ordre lisible, pas thématisés. Il n’y a pas de pensée organisatrice. Il y a de tout partout, des livres de poche écornés, flottant sur des tables tristes, même… Ce monsieur n’a jamais tenu de librairie, ça se voit (il a été viré depuis). Quant au merchandising soit disant réalisé avec des artisans locaux, il y a d’affreux trucs en plastique jaune, genre tournesols avec une loupiote au milieu, plus laid et plus ringard, tu meurs.

Cette librairie qui est au cœur du dispositif architectural du Musée, est loin de remplir sa fonction d’accueil dans le monde de Van Gogh. Elle paraît grise, sans reliefs, tout le contraire de ce qu’elle devrait être. Bon j’arrête là, je pourrais en dire plus, mais j’ai fini par me calmer en te racontant tout ça, mon cher Vincent. Je n’ai plus mis les pieds dans ce musée alors que j’espérais contribuer à sa reconnaissance.

De retour chez moi, j’ai écrit une lettre de protestation à la directrice et aux administrateurs, restée sans réponse. Je suis toujours furieux de l’attitude des nouveaux responsables, moi qui espérais tant de la nouvelle structure.

Je te raconterai la suite, s’il y en a une (il n’y en a pas eu, j’espère qu’il y aura un jour un  changement de direction). En attendant, ma présence et mes actions aux Saintes-Maries se sont intensifiées. Il y a maintenant quinze lutrins présents sur les lieux où Vincent a peint (dont j’ai écrit les légendes et fourni les visuels qui sont imprimés en lave émaillée), j’y donne chaque année des conférences et des projections de mes courts-métrages sur Vincent (une quinzaine à ce jour), j’anime des expositions avec les enfants du village et des séniors, je présente des « parcours Van Gogh »… Ma semaine de pélérinage annuel est très intense.  

Bien à toi
Alain



En crises

Mon cher Vincent

Tes crises en auront fait couler de l’encre. Le nombre de chercheurs qui s’y sont penchés est difficile à croire. Tu es sans doute l’artiste dont les psy se sont le plus intéressés. On t’a prêté et on te prête encore toutes sortes de maladies mentales, mais la plus vraisemblable est sans doute l’épilepsie.

D’ailleurs, dès ta première crise à Arles, le diagnostic d’épilepsie est indiqué par le Dr Rey. Je me suis renseigné sur cette atteinte neurologique qui se caractérise par des sortes de décharges nerveuses épisodiques. 

Ces crises qui sont généralement précédées ou suivies d’accès délirants existent sous une multitude de formes. Nombre de gens célèbres en ont souffert : Dostoïevski, Nobel, Hemingway, Molière, Flaubert, etc., sans que pour autant on ne les déclare fous. Elles se déclenchent périodiquement, provoquées pour la plupart par un trop plein de tensions. 

Elles t’arrivent toujours dans les moments où tu sentais ta vie, ta survie en danger. Ainsi ce n’est que le lendemain du jour où tu t’es coupé un bout du lobe de l’oreille que ta première crise a lieu (il n’y a rien dans tes lettres qui évoque une ou des crises que tu aurais eues à l’adolescence). 

Suite aux altercations avec Gauguin, à son départ annoncé qui remettait en question ton rêve de maison qui accueillerait tes amis artistes, tu es très troublé. En te rasant, tu as eu ce geste de rage peut-être sous l’effet de l’alcool, pour que la douleur physique l’emporte sur la fureur qui t’habitait.

C’est au moment où tu te rends compte de la portée de ton geste, que tu sais que Theo va l’apprendre, quand tu vois autour de toi des voisins, des gendarmes, que la culpabilité t’écrase, qu’une crise se déclenche, suivie par un profond coma dû aussi à la quantité de sang que tu as perdu.

Pendant plusieurs jours, hébété, tu n’as même pas pu communiquer avec Theo, venu te voir. Il avait reçu un télégramme de Gauguin annonçant que tu étais presque mort, que sa présence était “indispensable”.

Au lieu d’accourir à Arles, il devait être ce jour là chez ses beaux-parents pour faire sa demande en mariage. Cela aussi t’inquiétait… Tant que Theo était célibataire, tu considérais l’argent qu’il t’envoyait pour vivre et peindre comme une avance pour aider à ta formation. Tu allais, tu en étais sûr, le rembourser à partir du moment où tu vendrais, mais cet arrangement risquait d’être remis en question s’il se mariait et avait des enfants… C’est d’ailleurs ce qui s’est passé…

Chacune de tes crises par la suite a été liée à tes relations problématiques avec Theo qui était ton confident, ton conseiller, ton ami, ton frère “au double sens du terme”, comme tu l’as écrit. Depuis l’enfance, vous étiez très proches. Il ne t’a d’ailleurs pas survécu : deux mois après ta mort, il est devenu fou et six mois après, lui aussi est décédé, écrasé de culpabilité. 

Aux événements importants de la vie de Theo cette année-là, on peut associer chacune de tes crises : ses fiançailles, son mariage, l’annonce de l’enfant à naître, la naissance du bébé.

Chaque symptôme étant surdéterminé, Freud dixit, ce n’est jamais une cause unique qui entraîne maladies et troubles mentaux, mais un ensemble, un faisceau de tensions qui déterminent une pression qui devient insoutenable. 

La deuxième crise se déclenche un mois après la première. Tu es de retour chez toi après une quinzaine de jours à l’hôpital quand tu apprends l’existence d’une pétition demandant ton retour dans ton pays ou ton enfermement. Tu reçois, comme tu dis “comme un coup de massue en pleine poitrine”. L’hostilité de tes voisins t’est insupportable, les enfants tes jettent des trognons de choux en te traitant de fou, tu as peur qu’on t’empoisonne… Tout cela, plus la culpabilité persistante envers Theo, va entraîner une nouvelle crise. 

On t’enferme cette fois là sous “sous clefs, verrous et gardiens au cabanon”, sans que ta folie “soit prouvée ou même prouvable”. Comme tu l’as dit dans une lettre à Theo. Tu n’as même pas le droit de fumer ou d’écrire, ce qui est permis aux autres malades.

Quand finalement, on te libère, tu ne te sens plus de reprendre une vie normale. Tu dors et tu manges encore à l’hôpital, retournant à ta Maison Jaune pour peindre. 

Trois mois plus tard, tu prends la décision d’aller à l’hospice de Mausole que le pasteur Salles, l’aumônier protestant de l’hôpital, t’avait conseillé. Tu pourrais peindre tranquillement tout en étant pris en charge en cas de crise. La pension n’est pas chère, réduisant d’un coup les frais pour Theo.

Mais cet “entourage de fous et de toqués divers” ne va pas te réussir. Les crises vont se succéder… 

La troisième se déclenche quand tu apprends que la femme de Theo est enceinte, puis une autre, la plus grave, au moment où l’enfant naît… 

On retrouve dans tes œuvres la trace de ce qui te préoccupe. Juste avant le déclenchement des crises, tu peins : la Berceuse, les Premiers Pas (copie de Millet) et la Branche d’amandier (pour la chambre du bébé). Elle témoignent toutes du trouble lié à la naissance de ton neveu. Deux autres toiles (Entrée d’une carrière et Ravin) évoquent une béance, des lieux propices au vertige, “profonds comme une tombe”.

La naissance d’un nouveau Vincent, le troisième, remettait en question symboliquement ta vie. Tu avais dû remplacer ton frère mort-né un an avant ta naissance, un nouveau Vincent allait prendre ta place…

Tu avais peur qu’une nouvelle crise se déclenche et c’est sans doute une des principales causes de ton suicide…

J’en suis très triste.

Bien à toi
Alain



Saint-Rémy 

Périodiquement, je retourne à Saint Rémy ou tu as passé ta dernière année, une année très sombre.

L’hospice de Mausole existe toujours. C’est encore une clinique psychiatrique. J’y retourne souvent pour y chercher quelque chose, comme si un paysage ou un bâtiment pouvaient m’informer, me faire sentir ce que tu as vécu là, dans ce lieu.

Le champ clôturé que tu voyais de la fenêtre à barreaux de ta chambre, le petit muret, la cabane, le Mont Gaussier, les champs d’oliviers, les cyprès, etc., sont toujours là. Presque rien n’a bougé.

On n’a pas accès à la partie du bâtiment où tu as vécu, mais j’ai visité l’église et le cloître. Un étage t’est maintenant consacré qui n’est pas celui où tu as vécu mais il permet d’avoir la même vue sur ce champ et les collines à l’horizon.

On peut même maintenant se promener dans le jardin que tu as peint de ta fenêtre. Il est maintenant couvert de lavande. On est à l’intérieur de ta toile. De ta fenêtre, tu pourrais nous voir. On l’a photographié et filmé car jusque là, il n’était pas accessible. 

J’ai aussi escaladé le Mont Gaussier, pour voir ta fenêtre d’en haut. Cette petite montagne a une drôle de forme avec ses trois sommets et ses deux trous dans la roche. J’ai appris que c’est de ce mont que Nostradamus, la première célébrité de Saint Rémy, observait les étoiles. 

Je me suis promené dans les champs alentour, dans les oliviers, il y en a peut-être qui t’ont vu passer. J’ai découvert le ravin, l’entrée de la carrière que tu as peinte ainsi que les paysages alentours. Un itinéraire fléché permet de suivre tes traces et signale les endroits ou tu t’es placé pour peindre.

Tout paraît très calme – trop calme ? La psychiatrie moderne avec ses neuroleptiques et autres camisoles chimiques ont calfeutré puis éteint les exaltations.

Est-ce parce que je sais que tu as beaucoup souffert ici que je n’aime pas cette atmosphère d’après deuil que j’y ressens ?

Saint-Rémy, en revanche, est plus gaie, même si dans cette ville l’impression de tourner en rond est énervante.

Bien à toi
Alain



Immeuble van Gogh

Mon cher Vincent,

Ta plus célèbre de ses toiles de Saint Rémy, La Nuit Étoilée, m’a donné beaucoup de travail.

Mon cousin Michel, architecte, était en train de réaliser une résidence étudiante. Pour animer la façade de l’immeuble, il avait prévu une trame constituée de lettres de l’alphabet et il me demande de travailler sur cette idée.

Plusieurs contraintes nous étaient imposées. Ces lettres imprimées devaient être lisibles par les passants, donc assez grandes – et le support (plaques en fibres plastiques de 3 m. x 40 cm) ne permettait que dix-huit lettres contiguës. Mes phrases ne pouvaient donc n’être constituées que de dix-huit lettres sur deux niveaux.

J’ai d’abord cherché des phrases courtes, type messages, slogans, dans différents textes de référence comme la Déclaration des Droits de l’Homme, mais cela ne marchait pas. J’ai alors levé les yeux sur La Nuit Étoilée (j’en avais une bonne reproduction au-dessus de la porte du salon). L’idée d’écrire une poésie sur cette œuvre qui a prêté à tellement de commentaires et d’interprétations (religieuses, poétiques, mystiques, psychanalytiques et même astronomiques) s’est imposée.

J’ai lu tout ce que j’ai trouvé sur ce tableau et je l’ai regardé longuement et à la loupe. Avec tout ce que j’ai appris – et senti – sur La Nuit Étoilée, je me suis essayé à ces mots poétiques :

NUITS ETOILEES ESPRIT 

INSTANT UTOPIE NEANT 

TERRESTRE PULSATION 

ECLATS GERMES DIVINS 

REBELLES NEBULEUSES 

DIALOGUE INFINI LIEN 

MERE RIVES ENFANTEES

FEUX VAGUES DEROBEES 

ETERNELLE GENESE NUE 

SONGE FEMME BERCEUSE 

VILLAGE ISOLE ABRITE 

MAISON JAUNE VERGERS 

COLLINES DEESSES MERES 

ENCHANTEMENT ONDULE 

LUNE SOLEIL ENGLOUTI 

VAILLANT CREPUSCULE

ESPOIR SIGNE EXTREME 

TABOU ABSOLU SILENCE 

On a fait des simulations sur ordinateur, ça collait. Les architectes ont travaillé puis les bâtisseurs.

Le temps a passé et je me suis retrouvé plusieurs mois plus tard (à ma stupéfaction) face à un immeuble de six étages couvert des mots que j’avais écrits. Sans le vouloir, j’avais conçu une énorme poésie murale (la plus grande de France, d’Europe ?) et l’immeuble s’appelle « Le Vincent Van Gogh ».

Le lendemain de l’inauguration, un article de Nice-Matin accole à mon nom le vocable de « poète ». Après m’avoir fait écrivant (à défaut d’écrivain), tu m’as fait poète.

Je te dois tant.

Bien à toi
Alain


Vincent For ever

Mon cher Vincent

Tes œuvres valent des millions. Tu es l’un des artistes les plus connus au monde (avec Léonard, Michel Ange et Picasso).

Quelques uns de tes tableaux (les tournesols, les champs, les ciels étoilés, les portraits) ont suffi à t’inscrire dans l’imaginaire des hommes. Quelques mots aussi sont associés à ton nom : fou, oreille, tournesols, misère, suicide, millions… Des mots qui sont bien loin de recouvrir une réalité dont il faut tirer tous les fils pour en découvrir la complexité, la richesse, la profondeur.  

Depuis cent trente ans, tu es devenu l’archétype de l’homme poursuivant un idéal, qui n’a pas cédé sur son désir et a manqué cruellement de reconnaissance. Tu es probablement le seul peintre dont tout le monde connaît un peu l’histoire et donc s’identifier facilement à toi, à tes galères. Probablement une des raisons de ta renommée.

Tu as dit que tu aimerais tes portraits soient plus tard, dans un siècle, vus comme des apparitions. Tu te projetais dans le futur, tu sentais bien que tes œuvres traverseraient le temps. Tu ne te trompais pas….

Bien à toi
Alain


Œuvres préférées 

Mon cher Vincent,

On se demande souvent si un artiste discerne dans son travail ses propres chefs d’œuvres. Du coup, j’ai eu besoin de savoir celles que toi-même considérais comme tes meilleures toiles. J’ai recherché pour cela toutes les appréciations que tu as portées sur tes propres œuvres.

Ce n’est pas simple. Déjà, tu fais déjà une subtile (et pas toujours évidente) distinction entre études et tableaux.

Les études sont : « décousues », « désordonnées », gardées pour faire des échanges ou pour constituer « un fond de renseignement ».

Les tableaux, en revanche, doivent être : « sentis », « composés », « calmes et tranquillement travaillés ». Ils naissent d’une volonté, se préparent par de multiples croquis et donnent lieu à plusieurs essais (comme pour les Mangeurs de pommes de terre ou La Moisson).

C’est seulement quand « la chose représentée et la façon de la représenter s’accordent, comme tu dis, que cela donne du style et de la tenue ». 

Ce que tu considères arriver peu souvent. Par exemple, citant Le Semeur, tu écris : « De temps en temps, une toile qui fait tableau ».

Si on suit tes critères, peu de tes œuvres sont dignes de s’appeler tableaux. Ta conscience aiguë de l’art, de ton art, est particulière et tu es probablement plus difficile avec tes œuvres qu’avec celles des autres peintres.

Néanmoins, certaines peintures sont plus souvent citées que d’autres : La Moisson, Le Verger blanc, la Petite Provençale, la Cafetière, Le Semeur, La Chambre à coucher, le Café de nuit, Les Tournesols, Les Jardins, la Nuit Étoilée, L’Entrée d’une carrière, La Montagne et bien sûr, quelques portraits que tu places au-dessus de tout : « Je travaille à des portraits dont je pense parfois que cela sera plus sérieux et meilleur que le reste de mon travail ». Tu cites souvent celui du Zouave, du Camarguais ou de L’Arlesienne.

Mais parmi toutes tes peintures, celle que tu cites le plus, c’est La Moisson, celle qui, comme tu écris : « tue absolument tout le reste ». Tu  ajoutes même : « il n’y a qu’une nature morte avec des cafetières et des tasses et des assiettes en bleu et jaune qui se tienne à côté ». Tu en parles aussi comme d’un paysage « grand comme la mer » et tu dis à Theo qu’il ne serait « pas mécontent de se rafraîchir l’œil sur l’étendue de cette Crau ».

L’autre critère nous permet de connaître tes préférences, c’est celui des tableaux que tu désires exposer. Pour les Indépendants à Paris ou les Vingtistes à Bruxelles, tu as envoyé à Theo une petite liste où toujours La Moisson était citée.

Ce n’est pourtant pas ton tableau le plus connu, mais plutôt celui dont tu parles le plus satisfait. C’est vrai qu’il est grand et beau, mais tes œuvres les plus célèbres sont La Nuit Étoilée, les Tournesols, les Iris, la chambre et quelques autres. Tu n’as jamais employé le mot « chefs d’œuvre » pour tes peintures. Tu étais modeste sur ton travail et tu espérais être tout au plus « un anneau dans la chaîne des artistes ». Tu t’es bien trompé, tu es bien plus que cela…

Bien à toi
Alain


Acharné

Mon cher Vincent

Pour en finir avec l’image simpliste du peintre fou, coupeur d’oreille, illuminé, mais inspiré, l’exposition « van Gogh à l’œuvre » au Musée d’Amsterdam te montre au travail, très loin de l’image fausse qui perdure dans l’imaginaire collectif et qui sert d’écran aux fantasmes que les gens se font d’un artiste, à savoir, d’un incompris qui ne vend rien, vit dans la misère, mais dont le génie ne sera reconnu après sa mort. Une bien belle métaphore pour parler d’une vie difficile mais récompensée dans l’au-delà. Une figure christique, mais qui aussi nous parle de l’universalité et de la dureté de la condition humaine. Souffrir mais travailler dur, car le travail, outre qu’il fait oublier momentanément les misères, apporte une satisfaction immédiate, une jouissance qui suffit à dynamiser une œuvre même si l’environnement est hostile.

Dans cette exposition, on te retrouve plutôt en travailleur acharné, se remettant constamment en question, visant une impossible perfection. Un chercheur d’art qui visite sans cesse les musées pour analyser les chefs d’œuvre, tentant  de comprendre leur composition, leurs jeux de lumières, les sentiments qu’ils expriment, un être passionné apprenant sans cesse pour se dépasser et franchir les étapes techniques pour qu’enfin sa main soit libre, vivante, créative.

Tu n’as pas été un exalté au talent inné, mais un tâcheron, un « ouvrier de la peinture », comme tu le dis. Ton rêve, c’était plutôt un foyer et un métier qui te permettrait de vivre simplement, comme un « ménage d’ouvrier ». Mais ton destin en a décidé autrement. Tu as été pressé par le temps. En dix ans, tu apprends à dessiner (à La Haye), à peindre (à Nuenen), à trouver la lumière et les couleurs (à Anvers, Paris), puis à partir d’Arles, à inventer un style totalement personnel qui va bousculer les académismes et ouvrir de nouvelles voies. Loin de n’être qu’un « anneau dans la chaîne des artistes », ce tu espérais, tu vas non seulement révolutionner la peinture, mais aussi devenir l’archétype absolu de l’artiste.

Dans cette exposition, on découvre pas à pas tes progrès. Comment tes pauvres gribouillages sans talent du début vont progressivement se perfectionner, acquérir de la justesse, de la vigueur, s’enrichir.

D’abord, il t’a fallu maîtriser la perspective puis à placer les ombres et les lumières en recopiant inlassablement tous les dessins du « Traité de dessin » de Bargue, puis acquérir le mouvement (les paysans au travail) et enfin pouvoir peindre des portraits, ce qui pour toi le plus grand art.

Ta première peinture, celle qui, dis-tu, « restera » : Les Mangeurs de pommes de terre » a été préparée par de très nombreux croquis de chaque personnage, du décor, des lumières,  par quelques peintures d’essais avant de venir « comme dans un rêve » s’étaler sur la toile. Cette peinture à elle seule mériterait une exposition qui montrerait comment un chef d’œuvre se construit.

Dans cette exposition, sont présentés tes outils, tes couleurs, tes pinceaux, la texture des toiles sur lesquelles tu as peint, les formats utilisés, etc. On nous propose même d’expérimenter les complémentaires, le cadre perspectif, d’examiner à la loupe ton type de touche, son épaisseur, son empâtement. Une salle pédagogique et sensible.

Bref, l’image de l’homme né génial est fausse. Comment faire évoluer ton image dans la tête de nos contemporains ? Je m’y attelle, mais il y a du travail.

Bien à toi,
Alain


Auvers-sur-Oise

Mon cher Vincent

La petite ville d’Auvers-sur-Oise a peu changé depuis ton passage. J’y étais déjà venu il y a une dizaine d’années alors que je préparais un livre sur le pastis. L’autrice avait créé un Musée de l’Absinthe dont elle était la spécialiste.

À cette occasion, j’avais passé une grande partie de l’après-midi avec elle à visiter Auvers et à admirer les paysages qu’avait peints Vincent.

Nous avons dîné à l’auberge Ravoux, vu la chambre où tu as habité et l’audio-visuel qui t’est consacré.

Probablement impressionné par tout ce que j’avais vu et lu avant de dormir, j’ai, dans un long rêve, été « visité » par toi. Le souvenir qu’il m’en reste est très flou, comme celui d’une soirée à bavarder tard avec un ami.

Le lendemain matin, j’ai déclaré à Marie-Claude que j’avais « passé » la nuit avec toi. Mais, débordé par mes autres activités, j’avais presque oublié ce rêve.

Cette fois, je revenais à Auvers pour toi. J’ai été tenté de redormir au même hôtel, mais je ne l’ai pas encore fait.

Les Auversois t’aiment beaucoup. Ils continuent à s’intéresser et à faire des recherches. L’Office du Tourisme était une ruche de passionnés qui m’ont bien aidé : Janine Demuriez qui possède une riche collection de cartes postales qui permettent de situer précisément les lieux que tu as peints, Alain Rohan, « le » spécialiste du pistolet avec lequel tu t’es tiré une balle, Marie-Claude Delahaye, créatrice du Musée de l’Absinthe, et tous ceux qui continuent à œuvrer pour ta mémoire.

Auvers, tous les chercheurs l’ont remarqué, fait penser à ta ville natale, Zundert. Cette petite cité calme est, comme elle, traversée par une longue avenue et l’Hôtel de Ville ressemble étonnamment à celui de Zundert. 

Les paysages que tu as peints – qui sont toujours là – font penser aux grandes plaines du Sud Brabant.

L’Auberge Ravoux a été rachetée et refaite à l’identique d’après de vieilles photos  (c’est aujourd’hui un restaurant).

Avec ma compagne, et grâce aux indications des anciens propriétaires (Mme Tagliana et sa fille), nous avons établi les plans des trois niveaux de l’auberge telle qu’elle était de ton temps (je les ai déposés aux Archives du Val d’Oise).

Malheureusement, l’arrière-salle du restaurant où tu peignais les jours de pluie et où tu faisais sécher tes toiles, « l’atelier de Vincent », comme l’appelait la fille de l’aubergiste Ravoux, a été malencontreusement démolie par le propriétaire actuel (mal conseillé ou n’ayant pas bien lu tes lettres). Cette pièce est aussi très importante, car c’est celle où ton cercueil a été déposé avec tes tableaux autour.

J’ai eu besoin de visualiser cette scène et j’ai demandé à Alain Mischel, historien d’art, conférencier à Auvers et plasticien, de représenter la scène où on voit ton cercueil entouré de tes dernières toiles.

J’ai aussi visité la maison du docteur Gachet (fermée pendant soixante-dix ans et récemment ouverte au public) qui ne contient plus de « vieilleries noires, noires, noires », mais des gravures tirées sur la presse de Gachet.

Je me suis longtemps promené dans ces paysages que tu trouvais « gravement beaux ». J’ai vu le champ de blé avec les corneilles et le chemin qui le traverse (juste en face du cimetière où tu reposes).

Pourquoi t’es tu suicidé ? Il n’y a pas évidemment une seule cause, mais une multitude de raisons, probablement un trop-plein de difficultés ajoutés à la crainte d’une nouvelle crise

La détestable dernière journée que tu as passée à Paris a provoqué chez toi un grand désarroi. Tu t’es senti abandonné, un sentiment récurrent profondément ancré en toi.

Tes dernières lettres : quatre de toi, trois de Theo et de Jo, sont fondamentales pour tenter de comprendre ton geste. Je les ai relues à la loupe et entre les lignes, une relecture mot par mot qui m’a fait mieux comprendre la différence qui existe entre analyse et interprétation.

Le psychanalyste, comme son nom l’indique, est là pour analyser les propos du patient, pas pour les interpréter. Pour la simple raison que toute interprétation est incomplète, voire impossible.

Comme pour la musique qui pourtant n’emploie pas de mots, une même mélodie peut être interprétée d’une infinité de manières.

Reste l’analyse, c’est-à-dire la mise en relation des différents problèmes qui se posent à nous, qui se répètent, et qui font souffrir (sans parfois qu’on sache vraiment d’où ça vient).

Toutes mes questions et mes réflexions, mes tentatives de réponse sont maintenant dans un livre («Van Gogh à Auvers – 70 derniers jours)

Et j’ai l’impression de mieux comprendre ton geste.

Bien à toi
Alain



Le docteur Gachet

Mon cher Vincent,

Beaucoup de tes biographes encensent le Dr Gachet, pas moi. Je considère qu’il s’est mal comporté avec toi… et depuis le premier jour.  Dès ton arrivée à Auvers par le train, tu t’es rendu à sa maison de campagne. Déjà, cette première rencontre te déçoit. Tu t’attendais à être accueilli et soigné par un docteur sage, ami d’artistes, mais il t’a semblé tout de suite excentrique, tu écris : « attaqué d’un mal nerveux au moins aussi gravement que moi » et, déçu, tu doutes de ses capacités à te soigner.

Tu le trouves un peu léger quand il te conseille un peu trop simplement de « travailler hardiment, de ne pas songer du tout à tout ce que tu as eu »… Comme si c’était possible… Ils a ensuite voulu t’imposer un logement près de chez lui,  mais tu trouvais que c’était trop cher. En arrivant, tu t’étais renseigné à la pension Ravoux, nettement moins chère (3 f 50 au lieu de 6 f).

Gachet a insisté, mais tu t’es s’est énervé : « assez, c’est assez, as-tu écrit… Cela me paraît injuste lorsque l’on veut et peut payer et travailler comme un ouvrier, d’avoir à payer quand même le double presque parce que l’on travaille la peinture ».

La maison de Gachet ne te plait pas non plus. Il n’y a que des « vieilleries noires, noires, noires, à l’exception de quelques tableaux impressionnistes » : un beau Pissarro et deux bouquets de Cézanne.

Alors que tu te réjouissais d’être de retour dans la région parisienne, tu es troublé, déprimé.

Tu t’es vite remis à peindre car seule la peinture te réconforte. Dans ta lettre à Theo, tu lui fais part de ton état d’âme : « le travail marchant un peu, la sérénité reviendra. Quoi qu’il en soit, je ne regrette pas d’être revenu et cela ira mieux ici. Tout le reste, relations avec les gens, est très secondaire, parce que je n’ai pas de talent pour ça ».

À quoi fais-tu allusion ? Que s’est-il passé à Paris pour que tu penses n’avoir aucun talent dans ses « relations avec les gens » ? 

Les jours suivants, quand tu revois Gachet, il est un peu déprimé. Il a perdu sa femme quelques années plus tôt se dit découragé par son métier de médecin. Tu lui rétorques : « Alors je lui ai dit que j’échangerais volontiers métier pour métier ». Il t’invite à déjeuner et arrive à t’emouvoir avec son évocation des jours des anciens peintres.

Quand il vient voir tes toiles à l’auberge. Il s’enthousiasme surtout pour les portraits et particulièrement pour son autoportrait sur fond bleu « aux flammèches » dont il est « fanatique » et en veut un pareil. Ce que tu feras pour lui faire plaisir et en échange dès soins qu’il pourrait t’apporter en cas de crise. Vos relations s’améliorent.

Quand il t’invite de nouveau chez lui, tu peindras quelque jolies toiles de son jardin, dont une jolie silhouette de sa fille dans une robe blanche. Tu lui demandes l’autorisation de faire un portrait de sa fille, mais il veut d’abord le sien. Ce que tu feras et tu pourras ensuite peindre le portrait devenu célèbre de Marguerite au piano.

Tes relations avec Marguerite Gachet ont fait couler beaucoup d’encre. On t’a prêté une liaison amoureuse (thèse du film de M. Pialat), mais il est improbable que tu aies eu une relation avec cette jeune fille timide de 17 ans. En tous cas, après avoir peint son portrait, tu ne l’a reverras plus. 

Le fils de Theo ayant été malade, tu attends quelques semaines avant de retourner à Paris. Tu penses y rester plusieurs jours mais, tu reviens à Auvers le soir même. On ne sait pas exactement ce qui s’est passé, mais il semble que Jo ait été très désagréable avec toi, te reprochant de vivre aux crochets de son mari. Très déprimé, le lendemain, ru te rends chez Gachet, espérant un peu de compassion, mais tu trouves porte close. La gouvernante te dit qu’il ne veut plus te recevoir. A-t-il pensé que tu draguais sa fille ?

En tous cas, tu comprends alors qu’il ne faut plus rien attendre du docteur : « Je crois qu’il ne faut aucunement compter sur le Dr Gachet. D’abord il est plus malade que moi à ce qu’il m’a paru, ou mettons juste autant, voilà. Or lorsqu’un aveugle mènera un autre aveugle, ne tomberont- ils pas tous deux dans le fossé ? ».

Tu ne reverras Gachet qu’après ton suicide trois semaines plus tard. Appelé par l’aubergiste, tu refuseras de lui parler et tu ne veux même pas lui donner l’adresse personnelle de Theo. Le docteur t’examine, te bande la poitrine. Il ne peut te donner aucun médicament puisque les intestins sont touchés, mais t’autorise à fumer. Il aurait pu envisager de te faire transférer à l’hôpital de Pontoise où tu aurais pu être opéré (on savait opérer les blessures par balles de la guerre de 1870), mais il ne l’a pas fait. Il rédige simplement un mot pour Theo, demande qu’on le lui transmette rapidement, puis s’en va.

Votre relation a été vraiment gâchée…

Bien à toi
Alain

Septembre 2008




Chaumières 

Mon cher Vincent,

Tu as toujours aimé les vieilles chaumières. Tu en as beaucoup peint.

Comme architecture, dis-tu, “je ne connais rien de plus admirable que la chaumière au toit de chaume avec son foyer noirci”. Elles sont les nids les hommes, touffues et moussues comme ceux des roitelets. Tu en peindras de semblables à Nuenen, aux Saintes-Maries de la Mer et tes dernières, à Auvers sur Oise.

Tu en rêvais souvent comme d’un paradis, un mirage, un endroit où tu serais enfin au repos : “Il se peut fort bien, écris-tu, que je quitte mon atelier pour aller vivre dans une chaumière sur le littoral, un feu dans l’âtre, une femme et des enfants autour, au milieu de gens “sans écarts d’orgueil et d’excentricité”. Une vie rêvée, si loin de la tienne, l’horizon de ton fantasme.

Dans une lettre à Theo, tu décris une vision : “deux chaumières en ruine abritées par un seul toit de roseaux, tels deux êtres humains décrépits qui ne forment qu’un seul et se soutiennent l’un l’autre”. Cette belle image me fait penser à un de tes derniers tableaux, le dernier peut-être (ils sont deux ou trois à se disputer ce titre).

Dans cette peinture, les toits de chaume sont en mauvais état, ils s’effondrent peut-être. Tout en haut d’une échelle, un homme est immobile. Il semble interroger du regard le couple qui est devant l’entrée de la maison.

Cette scène m’est apparue un jour comme une métaphore de ce que tu vivais. Toi en haut de l’échelle, qui semble attendre quelque chose du couple, mais ils ne font pas ou plus attention à toi. Le lien qui t’unissait à Theo est rompu, mais si tu n’as pas son aide et son soutien, comment faire ? Comment vivre ?  

Tu sens ta vie “attaquée à la racine même”, ton pas chancèle. 

Ces deux chaumières qui se soutenaient l’une l’autre risquent maintenant de s’effondrer, et toi, tout en haut de l’échelle, le vertige s’est emparé de ton âme.

Bien à toi
Alain

Jo Bonger

Mon cher Vincent

Sur la chaîne Histoire, j’ai vu un documentaire sur Jo Bonger, la femme de Theo. Il voulait montrer la part importante qu’a jouée Jo dans la reconnaissance de tes œuvres. Au lieu de nous permettre d’approcher la complexité de votre relation, on a eu le droit à son hagiographie et à un certain nombre d’erreurs. 

Détentrice de tes lettres, de plus de 200 de tes tableaux et de 400 dessins, elle écrit que Theo lui a laissé comme tâche en plus de leur enfant, dit-elle, de faire connaître ton œuvre. 

Si l’année qui a suivi ta mort (et celle de Theo six mois plus tard), elle a commencé à lire tes lettres pour les publier (en novembre 1891, elle dit vouloir le faire dans les mois qui suivent, « avant l’été », dit-elle), mais ce n’est que 23 ans plus tard, en 1914, que l’ensemble de tes lettres seront publiées. Elle aura pris son temps…

Heureusement quelques unes vont paraître bien avant : celles à ton ami Bernard (23) publiées dans le Mercure de France auxquelles il a rajouté quelques extraits des tiennes, Jo lui ayant demandé de les lire pour l’aider à les classer. 

D’autres lettres, celles écrites dans les années 1881-85 à ton ami d’alors Anton Van Rappard vont paraître ensuite en 1905.

Revoyons la chronologie. Juste après ta mort, Theo a organisé une petite vente de tes tableaux dans son appartement avant de sombrer dans la maladie mentale, très probablement consécutive à sa culpabilité et aux liens qui vous unissaient. Il s’est fâché avec ses patrons et a commencé à délirer. Il sera interné et décède très rapidement d’une maladie qu’il couvait depuis des années mais qui a vite dégénéré après ta mort, la syphilis.

Jo s’est retrouvée veuve, accablée, sans moyens avec des dizaines de tes tableaux dans la maison plus ceux remisés dans le grenier de ton marchand de couleurs et ami Tanguy.

Elle a déménagé pour s’installer à Bussum, près d’Amsterdam ou elle a tenu une maison d’hôte et vécu en faisant des traductions. 

Elle aussi a probablement ressenti une culpabilité après ton suicide. Elle a d’ailleurs reconnu dans une lettre à Theo qu’elle a été particulièrement désagréable avec toi cette fameuse journée ou tu es venu à Paris. Son attitude a été une des causes de ton suicide. Elle t’a dit ou fait sentir que tu prenais trop de place et que tu coûtais trop d’argent. Elle s’était immiscée dans tes relations avec Theo au point que tu as dû négocier tes mensualités avec elle, chose qui te paraissait complètement privée entre ton frère et toi. Ton contrat moral avec lui (t’aider le temps de ton apprentissage et le rembourser dès que tu vendrais) était caduque. Tu écris à Jo : « je ne sais pas combien je recevrai??? Si c’est toujours à 150 f par mois?? » (avec tous ces points d’interrogation) et que « tu te sentais redoutable en étant à leur charge ». 

C’est au retour de cette sale journée où elle t’a aussi empêché de mettre au mur un tableau, que tu es retourné le soir même à Auvers, sentant son agressivité monter et craignant une confrontation avec elle qui mettrait Theo en porte à faux. Tes lettres à partir de là ont montré ton immense désespoir et indiquaient une profonde dépression. Dans ta dernière lettre à Theo, tes derniers mots s’adressent à Theo, lui disant qu’il doit prendre parti, mais surtout l’interrogent. Les derniers mots sont : « que veux-tu ? ».

La culpabilité de Jo à probablement joué un rôle dans le fait que quelques unes de tes dernières lettres ont disparu, particulièrement celle où tu la critiquais. On en a la trace dans une lettre de Theo.

Toujours est-il qu’à part vendre tes tableaux et laisser lire tes lettres à quelques amis intéressés, le vrai travail de publication n’a été fait que plus de 20 ans plus tard, probablement sous l’impulsion de son nouveau mari.

En 1901, elle épouse Cohen Golchak. Ensemble, ils vont organiser une exposition importante de tes œuvres à Amsterdam et c’est deux ans après le décès de son deuxième mari que la version complète de tes lettres est publiée. Il faut dire qu’on commençait à s’intéresser sérieusement à ton travail, que des collectionneurs commençaient à faire monter ta cote. Il se peut aussi qu’il lui ait fallu beaucoup de temps pour voir leur véritable intérêt, tout relire, les casser, établir l’édition (les lettres portent un numéro écrit de sa main).

Si on lui doit cette première édition assez complète (il manque quelques lettres que son fils publiera plus tard ou qui ont disparu), on ne peut pas, comme le laisse entendre le film, penser qu’on lui doit tout. 

Ce sont les lettres de Bernard (avec quelques unes des tiennes), et celles de Rappard qui ont éveillé l’intérêt, mais c’est surtout ton œuvre puissante, en avance sur son temps qui a déclenché ce mouvement énorme d’intérêt qui ne s’est pas arrêté depuis. Chaque année des dizaines d’expositions dans le monde, de nouveaux lieux qui s’ouvrent (à Zundert, Nuenen, Mons, etc.) des recherches qui sont publiées et ce n’est pas fini.

Bien à toi
Alain


Tu souris enfin

Mon cher Vincent

Il y a peu, j’étais à Auvers pour l’expo d’Arnaud, un streetartiste que j’ai rencontré grâce à toi sur Facebook. Il avait visité le site Internet que je te consacre depuis plus de douze ans et vu mon interview à la télé niçoise. Il m’a contacté, nous avons échangé. Je lui dit de venir me voir à Nice. Quatre jours plus tard, il était là. Avec Gé, on l’a accueilli à la gare, on a passé la soirée ensemble à parler de toi. 

Le lendemain, on est monté chez des amis qui habitaient sur le “toit de Nice”, une colline d’où on domine la ville. Sur cette belle hauteur, il a peint une copie à sa manière de ta Nuit Étoilée. Jean-Claude l’a filmé. Je l’ai interviewé, on en a fait un petit sujet.

Un mois plus tard, on était à Paris avec Jean-Claude pour voir son expo. On a passé une super soirée entouré de streetartistes, un milieu que je connaissais encore assez peu.

Le lendemain, on s’est baladé dans le 20ème, un quartier dont Arnaud est un peu comme “l’artiste du village”. Ils nous a montré ses fleurs peintes sur les murs, les gens le saluaient, s’arrêtaient pour discuter avec lui. On sentait l’affection que les habitants de ce quartier lui vouaient.

Touché par sa grande humanité et son œuvre, j’ai écrit plusieurs articles sur son travail, puis sa biographie. Un livre vient d’être publié qui montre les multiples facettes de cet artiste si attachant. C’est son premier. Il est sorti à l’occasion de l’exposition que lui consacre le Château d’Auvers sur Oise. Pour l’occasion, il a revisité tes autoportraits et tes paysages avec son style si singulier. Ses tags (signatures), des mots, des noms sont la matière même de ses compositions. il deviennent textures, formes, un genre de corps “tatoué par le langage” dont parle Lacan.

Son exposition “Dans les pas de Van Gogh” est un hommage on ne peut plus sincère et vrai. Ses toiles sont présentées dans des salles du Château d’Auvers, celui même que tu as peint, une très belle toile, très profonde, mystérieuse, sereine.

Arnaud a osé un portrait de toi, inattendu, où tu es souriant, presque complice. Ce sourire éclaire peut-être une nouvelle voie, une nouvelle étape de ta reconnaissance. Tu souris enfin. Ton œuvre est maintenant partout admirée, fêtée, on n’a jamais vu autant de lieux qui te sont consacrés s’ouvrir (le van Goghhuis à Zundert, le Vincentre à Nuenen, la nouvelle Fondation van Gogh d’Arles, etc.). Des expositions immersives de tes œuvres ont lieu dans le monde entier. Tes tableaux atteignent des prix impensables… Toi qui espérais tout au plus être un “anneau dans la chaîne des artistes”.

Ton visage souriant est peut-être le symbole de cette exposition…

Bien à toi
Alain

Peinture de Arnaud Nowart



Artaud et toi

Mon cher Vincent,

Il y a quelques mois, je me suis rendu à une exposition organisée au Musée d’Orsay : Artaud et van Gogh, une belle affiche… Mais j’avais peur qu’elle cache une énième façon de de te voir comme un fou exalté. Mais enfin, là, on donnait la parole à Artaud. Son livre “Le suicidé de la société” critique violemment les pratiques psychiatriques dont lui-même a beaucoup souffert. Il a subi plus de cinquante électrochocs qui lui ont démoli le cerveau encore plus que ses crises délirantes. Il en veut aux psychiatres, “redresseurs d’esprit et de poésie et à la société qui les soutenait”. 

De plus, un livre “Le démon de van Gogh”, du Dr F-J Beer que lui a lu par extraits son amie et soutien Paule Thévenin, a attisé encore plus sa colère. Sur les conseils de son ami galeriste Pierre Loeb, il écrit ces mots : “Un jour la peinture de van Gogh armée de fièvre et de bonne santé reviendra pour jeter en l’air la poussière d’un monde en cage que son cœur ne pouvait pas supporter”.

Écrits très vite sur un cahier d’écolier au retour de l’exposition rétrospective de tes œuvres à l’Orangeraie (le 2 février 1947), ces mots sont les premiers d’un pamphlet poétique et virulent (son dernier grand texte) où il conteste le sort que la société par l’intermédiaire des psychiatres réserve aux génies, aux hommes qui refusent “de se rendre complices de certaines hautes saletés”. En un véritable réquisitoire, il les accuse de meurtre : “J’ai derrière moi deux ou trois cercueils que je ne pardonnerai plus à personne”.

Le livre a eu du succès, un prix. Il a fait scandale en critiquant la psychiatrie telle qu’elle se pratiquait (se pratique encore ?), mais ce n’est que plus de cinquante ans plus tard que cette exposition vous mettait en contact.

À partir de citations d’Artaud, la commissaire de l’exposition, a présenté tes œuvres dans une dizaine de salles selon différentes thématiques : “une terrible sensibilité”, “un convulsionnaire tranquille”, la lumière orageuse”, etc. 

L’exposition est simple, sobre, évidente dont on peut se demander pourquoi elle n’avait pas été réalisée plus tôt

On dit qu’Artaud ne s’est pas attardé en visitant l’exposition, mais il a vu l’essentiel. Son regard sur tes œuvres est percutant. Il a parfaitement saisi comment tu déconstruisais tes paysages. Je le cite : “Sous sa plume, l’artiste  hollandais, le boucher roux éventre, dilacère le paysage et le réduit à ses éléments simples : apostrophes, séries, virgules, qu’il range sous le commandement de sa matrice à lui, matrice ou la nature et le langage recommencent leur genèse dans le tumulte de sa lettre émancipée”. 

Il a repéré aussi comment tu pliais ta technique au service des sentiments que tu voulais exprimer et bien senti le paradoxe d’une peinture qui cherche à exprimer “le calme, le repos absolu” par des mouvements vigoureux de pinceaux et par le choix de couleurs outrées. Dans ta recherche, comme il dit, pour “réanimer les choses vivantes”, pour “rejouer l’incarnation”, il s’est reconnu. Comme toi, Il s’était engagé sur la voie de l’innovation, à la “recherche de l’Illumination intérieure” pour atteindre la plus “abasourdissante authenticité ».

Heureusement, l’exposition instaurait un dialogue sobre et intéressant entre les propos d’ Artaud et tes œuvres. J’ai bien aimé la scénographie plutôt sombre où tes œuvres bien éclairées étaient mises en valeur, offrant une intimité rare avec chacune d’entre elles.

Si j’ai apprécié l’article de la curatrice et celui de Nienkke Becker, mesuré, celui d’une chercheuse grande lectrice des Lettres de Vincent, j’ai détesté celui de Paul Denis qui va à l’encontre de tout ce que disait l’exposition. Pourquoi avoir choisi un tel texte, un tel auteur ? C’est incompréhensible et désolant. C’est un article d’une bienveillante condescendance d’un psychiatre ringard qui reprend tous les poncifs sur ta “folie” en les réactualisant. Il va même jusqu’à évoquer un graphorrhée, une “manie d’écriture” que les nosologies psychiatriques et psychanalytiques ont abandonné depuis longtemps. Pourquoi pas aussi une “manie de penser”, une pensorrhée ? Tu n’a cessé d’écrire avant ou après les criseś sans qu’un mot ne puisse être considéré comme ne faisant pas partie d’un discours réfléchi, sensé. Les nosologies psychiatriques n’ont cessé de changer et d’être remises en question (actuellement, la mode, c’est la bipolarité, tout le monde est bipolaire comme il a été hystérique, maniaco-dépressif, psychotique, etc.). Pourquoi associer ce psychiatre (qui a dû, vu son âge, prescrire des électrochocs – ils l’ont presque tous fait) ? Il considère d’ailleurs les électrochocs comme “seule thérapeutique psychiatrique efficace du moment”. Il est clairement du parti des psychiatres que toi ou Artaud abhorraient (que j’abhore aussi).

Je pourrais déchiqueter ses assertions dans les mêmes termes qu’Artaud a destinés aux psychiatres “bras armés de la société tueuse” ou par tes mots sensés. Je le ferai peut-être si ma colère perdure, mais cet article ne vaut pas même pas la peine que je perde mon temps. Je suis étonné qu’il existe encore ce type de psychiatre inculte (il semble qu’il n’ait même pas lu tes lettres). Heureusement que ses propos n’apparaissent pas dans l’exposition !

J’ai écrit un texte autrement plus sérieux et documenté sur les crises que tu as subies, recherchant leur contexte particulier, la pression qui s’exerçait sur toi juste avant le déclenchement de chacune. Chaque symptôme étant “surdéterminè” (Freud dixit), j’ai recherché tous les événements traumatiques qui se surajoutaient. Une pression trop forte, venue de divers horizons a entraîné tes crises. Je vais verser ce texte aux nombreuses contributions qui existent sur ta “maladie mentale”.

On en reparle bientôt.

Bien à toi
Alain 


Chéret

Mon cher Vincent,

En lisant une de tes dernières lettres qui date du 10 juin – tu es mort le 30 juillet, je tombe sur une phrase qui m’interroge : Un jour ou un autre je crois que je trouverai moyen de faire une exposition (…). Je ne détesterais pas d’exposer avec Chéret qui doit avoir des idées là-dessus certainement » (lettre du 10 juin 1890).

Nulle part dans tes lettres, je n’avais trouvé de référence à Chéret. Je ne savais même pas que tu le connaissais. En fait, je ne le situais pas bien dans ton époque, ni dans ton sillage. 

Chéret pour moi pourtant n’est pas un inconnu. À Nice, nous avons un musée qui porte ton nom, c’est le seul au monde qui te rend hommage. Je savais que tu avais vécu très longtemps à Nice et qu’une importante donation de plus de trois cent œuvres avait été faite à la ville après ton décès. C’est pour cela qu’une des plus belles villas, celle appelée Kotshoubey – Smith, du nom de ses deux propriétaires, a pris le nom de Musée des Beaux Arts Jules Chéret.

Cela ne m’expliquait pas pour autant pourquoi tu avais tenu ces propos qui montrent que tu avais une vraie sympathie pour lui au point de souhaiter d’exposer avec lui. 

J’ai dû chercher dans ta biographie et dans la sienne pour essayer de trouver où vous avez pu vous rencontrer et surtout s’il existait d’autres traces de vos relations. Malheureusement, je n’ai pas trouvé de liens directs, ni aucun auteur ou critique vous associant dans une exposition ou à un quelconque  événement.

Il est sûr que vous avez vécu à Paris à la même époque et dans les mêmes cercles artistiques. Vous fréquentiez probablement les mêmes expositions, peut être les mêmes cafés comme celui d’Aristide Bruant, le Lapin Agile, très fréquenté des peintres. 

Il y a aussi le cabaret le Tambourin probablement fréquenté par Chéret qui en avait fait l’affiche. Sa propriétaire Agustina a été pendant quelques mois ta maîtresse et le Tambourin a été un peu ta galerie personnelle as exposé des dizaines d’œuvres et organisé une grande expo d’estampes japonaises ou tout l’atelier Cormon est venu.

Il existe d’autres points de rencontre probables : la galerie de ton frère Theo (boulevard Montmartre) qui exposait Chéret (on a la trace de l’exposition de trois affiches et de la vente d’un Gauguin à Chéret). Probablement, vous êtes vous rencontrés à la galerie lors d’une exposition. 

Toulouse-Lautrec, un de tes meilleurs amis, était affichiste comme Chéret qui a été un de ses maîtres. Considéré comme l’inventeur de l’affiche moderne, Chéret a eu beaucoup d’émules dont Toulouse-Lautrec. Ce dernier recevait aussi beaucoup chez lui ses amis artistes ou collectionneurs. Il est très probable aussi que vous vous soyez rencontrés lors d’une de ces soirées. 

Cela fait déjà pas mal de croisements possibles de vos routes, mais ce que tu dis laisse entendre que, même s’il ne faisait pas partie de ton cercle d’amis proches comme Émile Bernard, les Pissarro, Toulouse ou Guillaumin, tu le connaissais bien puisque tu ajoutes qu’il « doit avoir certainement des idées là-dessus ». Peut-être as-tu entendu Theo parler d’idées que Chéret a eues pour ses expositions ? Difficile de comprendre pourquoi tu dis cela…

1889 a été pour Chéret une grande année : première exposition personnelle d’affiches, pastels, gouaches au Théâtre de la Potinière à Paris. Il expose ensuite chez Durand-Ruel, au Théâtre d’Application, obtient une médaille d’or à l’exposition Universelle et début 1890, il est nommé chevalier de la Légion d’Honneur. Tu as dû apprendre tout cela dans les journaux ou par vos amis communs. Mais pourquoi envisager l’exposition dans un café ? Parce que Chéret a fait beaucoup d’affiches des cafés et qu’il avait probablement des facilités pour y exposer ?  Difficile à dire…

J’ai cherché aussi dans vos travaux respectifs les points communs. Il y a bien sûr cet amour de la couleur vive, mais des thématiques très différentes. Un est plus ville avec Ses Chérettes élégantes, l’autre est plus campagne, champs, ciels, été.

Organiser une exposition de vous deux comme tu le souhaitais n’est pas chose facile. Je crois savoir tes tableaux préférés, ceux dont tu parles le plus et ceux que tu as demandé à ton frère d’exposer. Ce sont surtout les toiles de tes deux dernières années, celles que tu appelles tes toiles du Sud. Bien sûr la Moisson, la cafetière, les tableaux de nuits d’Arles : vue du Rhône et café de nuit, ceux de Saint Rémy : la Nuit Étoilée, les oliviers, les cyprès, quelques uns de la série des vergers, deux ou trois tournesols, et tes derniers autoportraits : celui en bonze, le fond bleu. On peut y joindre aussi à quelques toiles réalisées à Paris, plus dans la veine expressionniste, voire pointilliste. Je pense à ce très beau et vivement coloré pont de Clichy, aux portraits de Tanguy et d’Alexander Reid, au Restaurant la Sirène. 

Une vingtaine de tes tableaux face à ceux de Chéret. Ce qui les rapproche, c’est la couleur vive, chantante. Cette exposition sera une symphonie polychrome. 

Bien à toi
Alain

Voir film Van Gogh / Chéret : https://youtu.be/oESxiasP4Qc


Au Théâtre ce soir

Mon cher Vincent,

C’est pas simple pour moi d’aller voir une pièce où on parle de toi. Ayant en tête tout ce que je sais de ta vie : la chronologie précise de ton histoire, les déterminismes qui ont donné un sens à tes actions, à ta pratique artistique, etc., il m’est impossible d’être un simple spectateur embarqué par un acteur dans une histoire. 

On vient au théâtre pour écouter et voir quelque chose dont on a entendu parler, dont on sait déjà quelque chose, généralement dans l’espoir d’en apprendre plus. Mais au delà d’un lieu de culture et de savoir, le théâtre est surtout un endroit où on vient vivre des moments d’émotion, de trouble, de communion, et pourquoi pas, de vérité. Une fiction ne peut nous émouvoir que si elle résonne en nous, il faut qu’elle ait quelque chose à voir avec notre vie, avec nos sentiments, notre vécu. 

Cette pièce de Léonard Nimoy admirablement joué par Jean-Michel Richaud revisite ton histoire, ta destinée exceptionnelle en même temps qu’universelle. Ton drame, c’est celui de tous les êtres humains qui voudraient être respectés, reconnus, aimés. 

Tu as surtout souffert de manque d’amour : de ta famille qui ne t’a pas compris, de la religion qui n’a pas voulu de toi, des femmes qui n’ont pas su t’aimer, des marchands qui n’ont pas reconnu ta valeur, des citoyens d’Arles qui t’ont envoyé à l’asile, de ta belle-sœur jalouse de l’amour que te portait ton frère, le seul être qui t’ait aimé et soutenu. Même lui a été odieux par moments avec toi : quand il prenait la défense de vos parents au lieu de la tienne, quand il t’a reproché de vivre comme un rentier, quand il t’a contraint de quitter Sien, quand il t’a dit qu’il ne pourrait montrer tes œuvres tant qu’elles ne pourrait pas les mettre à coté d’un Corot, (À ce propos, il y a une erreur de l’auteur : il dit que tu ne voulais pas exposer tes œuvres alors que tu n’attendais que cela). Theo a longtemps refusé de les montrer. Il t’a reproché longtemps de t’engager « dans une voie absurde au-delà de l’imaginable » (mars 1884), et ce n’est qu’à partir du moment ou tu as vécu à Paris qu’il a commencé à croire en ton travail. Il faut dire qu’enfin, dans cette « Mecque des artistes », tu as été reconnu par tes pairs, les peintres, devenus tes amis : Pissarro, Toulouse-Lautrec, Émile Bernard, Guillaumin, Signac, et beaucoup d’autres avec lesquels tu as échangé des œuvres (voir la collection de la Fondation d’Amsterdam). Theo a reconnu plus tard que grâce à toi, il a rencontré des artistes, s’est fait des amis : « tu peux faire quelque chose pour moi, c’est de continuer de nous créer un entourage d’artistes et d’amis, ce dont je suis absolument incapable à moi seul et ce que tu as cependant créé plus ou moins depuis que tu es en France »(octobre 1888).

L’acteur qui te joue, Jean Michel Richaud, est pénétré, vibrant, émouvant. Il t’incarne, dit tes mots avec une émotion qu’il ressent réellement et nous nous fait partager. Il ne triche pas, même si à quelques moments, il en fait un peu trop. Tu étais sans doute exalté, impatient, exaspéré parfois, mais tu n’apprécierais pas certains moments d’excès. On ne peut pas être raffiné, intelligent, cultivé comme tu étais, et une caricature. Ce qui émane de tes œuvres et de tes lettres, c’est plutôt de la force concentrée, une certitude que ton travail avait sa raison d’être, qu’il finirait par toucher des « gens qui ont du cœur ». Comme Picasso qui face aux critiques, déclarait qu’il savait ce qu’il faisait, toi aussi tu étais convaincu que tu travaillais pour dans cent ans. Tu as même écrit :  « Je voudrais faire des portraits qui un siècle plus tard aux gens d’alors apparaissent comme des apparitions ».

Le spectacle ne fait pas non plus la part belle à Christine, Sien, comme tu l’appelais. Elle est victime de préjugés sexistes et moraux encore en cours. C’est pourtant la seule femme avec laquelle tu as vécu plus de deux ans, qui t’a aimé, soutenu, qui a été, ton « modèle permanent ». Jamais tu n’as fait autant de progrès que quand tu as vécu avec elle, « un ménage d’ouvrier » avec femme et enfants, un bébé dont tu t’es occupé comme si c’était le tien et dont le petit « air de philosophe » te ravissait. Bien sûr, Sien était loin d’être une femme qui pouvait plaire à ta famille. Elle « avait eu des problèmes », s’était prostituée, mais avant que tu vives avec elle, elle avait déjà repris son travail de lingère pour s’en sortir. Theo ne l’a jamais rencontrée et ce qu’on lui fait dire dans la pièce est faux et contredit la description que tu en fais : « ni grossière, ni vulgaire, il y avait en elle quelque chose de féminin. Elle ressemblait un peu à une figure de Chardin ou de Frère, ou même de Jan Steen. » 

Léonard Nimoy qui a écrit cette pièce en 1976 ne possédait sans doute pas nombre d’informations que les très nombreuses recherches et surtout la dernière édition de tes lettres, ont apporté depuis. Tu l’as quittée parce que Theo a menacé de te couper les vivres, mais aussi parce que tu étais appelé ailleurs par ton art. La campagne te manquait, il te fallait y retourner pour puiser de nouvelles forces. La vie avec Sien était devenue difficile. Une grande partie de l’argent que t’envoyait Theo passait dans l’achat de matériel de peinture. Sien s’en plaignait et sa mère la poussait à te quitter. Son frère, « un maquereau », a voulu la faire embaucher dans un bordel. Cela t’a mis hors de toi et tu as alors envisagé d’aller vivre avec elle à la campagne. Tu es parti pour la Drenthe, une campagne profonde, isolée où la vie est moins chère, pensant trouver une solution, mais ce séjour de quelques mois a été une des pires périodes de ta vie (avec le Borinage). Tu y as connu une solitude immense, une « incurable mélancolie », un manque d’argent, et même d’outils pour peindre. Un dessin, un homme tirant une énorme herse, exprime tout à fait ton état d’âme d’alors. Et tu es revenu dépité et déprimé chez tes parents qui t’ont accueilli comme « un chien hirsute errant ou un trimardeur démuni de papiers d’identité ». Il a fallu que Theo insiste beaucoup pour qu’ils acceptent que tu restes.

La pièce, bien sûr, ne s’attarde pas sur cet épisode, elle embrasse ta vie dans une sorte de maelström où Jean-Michel Richaud excelle : la période enthousiaste d’Arles, la venue de Gauguin, la nuit de l’oreille coupée, la bêtise de quelques arlésiens, les crises de Saint Rémy, le retour manqué à Paris, ton suicide, ton dernier dialogue avec Theo et surtout la dernière lettre trouvée dans ta poche, qui finit par : « que veux-tu ?

Il est dommage que Nimoy n’ait pas compris véritablement le sens de tes derniers mots : ce « que veux-tu ? » est une demande, une supplique. Tu as toujours vécu dans le désir de ton frère, à la fois ton fidèle soutien, confident et  ami, « frère au double sens du terme ». Tu avais établi avec lui une sorte de contrat : il paierait tes études et tu le rembourserais dès que tu vendrais. À quelques mois près, cela aurait pu être possible (ta première vente à un prix correct, celui d’un Monet par exemple, a eu lieu quelques mois avant ton suicide)

Tu as (presque) toujours attendu son autorisation avant de faire quelque chose. Mais depuis que Theo s’est marié et a eu un enfant, tu constates que vos chemins ont divergé. Tu sens que tu n’as plus ta place, coincé entre le Vincent mort-né que tu as dû remplacer et le fils de Theo qui te remplace. Ton chemin s’arrête là : « je me sens raté, je ne vois plus l’avenir heureux », écris-tu, mais ce « que veux–tu » écrit la veille de ton suicide montre que tu espères encore un geste de lui… Mais rien n’est venu.

On sort de ce spectacle ému et troublé. On a rencontré un homme, son histoire, une humanité incarnée par un acteur inspiré qui a su éclairer le destin d’un homme, devenu notre frère en humanité.

Bien à toi
Alain


Derniers Champs

Cher Vincent,

La semaine dernière, j’étais à Auvers pour l’inauguration d’une exposition en ton hommage, la première qui avait lieu dans le village où tu as choisi de demeurer, comme on dit, pour l’éternité.  Je connais bien Auvers pour y être venu plusieurs fois. J’ai voulu comprendre ton suicide et j’ai recherché dans tes dernières lettres et tes ultimes tableaux ce qui a rendu ton geste inéluctable. 

J´ai revisité les champs que tu as dessinés et peints. Je m’y suis promené, caméra au poing, à l’intérieur même de tes tableaux, dans ces mêmes champs, sous ce même soleil pâle, dans ce même air.

Pendant que je marche au milieu de toute ces étendues de verts : vert tendre des blés, vert soutenus, verts sombre, des bouts de tes phrases me reviennent, tes mots résonnent en moi.

La terre est épaisse, grasse, humide. En montant, je me suis arrêté à l’église juste à l’endroit où tu devais être il y a cent vingt ans.

En observant la reproduction de ta peinture placée près de l’église, l’angle des murs de l’église, la largeur des vitraux, en calculant les angles et la perspective, il n’y a pas de doute, tu ne pouvais pas être ailleurs que là. 

Je l’ai souvent vérifié dans mes pérégrinations sur tes traces à Nuenen, à Anvers, à Arles, etc. Partout, je me suis toujours amusé à ce jeu là. 

En voyant tes peintures, on croirait qu’elles sont enlevées, approximatives, inexactes, mais non, la perspective n’avait pas de secret pour toi. Tes dessins sont justes, précis. 

Même là, devant ces immenses champs sous ces ciels envahissants, je peux deviner où tu as posé ton chevalet pour peindre une de tes plus célèbres toiles, le “Champ aux Corbeaux”, celle qu’on a longtemps considéré comme ta dernière.

Les blés hauts très jaunes, le chemin qui les traverse, le vol des noirs corbeaux (plus probablement des corneilles), le ciel “bas et lourd”, comme celui de Baudelaire, qui “pèse comme un couvercle sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis”, ce ciel troublé où, comme tu le dis, tu ne t’es pas gêné pour exprimer “de la tristesse, de la solitude extrême”, il est là, devant mes yeux.

Aujourd’hui il n’est pas aussi sombre que ceux que tu as peints, il est nuageux, un peu gris. Il manque les oiseaux, les croassements des corneilles qu’on croit entendre en regardant ta toile. Et surtout ce chemin qui semble aller nulle part. 

J’ai vu des promeneurs qui l’empruntaient, mais il m’effrayait un peu, j’avais peur qu’il m’engloutisse, que je disparaisse à l’horizon de ta toile.

L’air est devenu humide, il fait un peu froid. En retournant sur mes pas, je longe le mur du cimetière. Je vais faire une petite visite à ta tombe, à votre tombe, car Theo repose auprès de toi. Sa femme vous a rassemblé vingt quatre ans après ta mort et la sienne, six mois plus tard. Il n’a  pas supporté ton absence, ça l’a rendu fou. 

Deux mois après, il a été hospitalisé, il délirait, il voulait absolument organiser une exposition de tes œuvres. Sa culpabilité intense doublée du lien rompu l’a terrassé.

Et vous voilà, vous deux, ayant traversé le temps, devenus les frères les plus célèbres de l’histoire de l’art, peut-être de l’histoire tout court. J’ai posé une petite pierre blanche sur le sommet de ta tombe comme on fait dans ma famille. J’ai pris encore des photos et un coup de zoom caméra sur vos deux noms. J’étais triste.

Bien à toi
Alain

Mes films Van Gogh :

FILMS VAN GOGH 
Bacon : La Suite Van Gogh
Le Bonheur de peindre
Le Choix de Vincent – Vincent’s Choice
Chéret-Van Gogh, l’exposition rêvée
Van Gogh aux Saintes Maries sur ARTE
Reconstitution des Barques sur la plage
La lettre des Saintes-Maries
Les amours de Vincent
Réflexions sur le brouillard
Le Japon rêvé de Vincent Van Gogh
Les Nuits Etoilées de van Gogh
Van Gogh, « Les Mangeurs de patates
La Maison Jaune de Vincent Van Gogh
Vincent dessiné et peint par ses amis
Les premiers dessins de Van Gogh 
Les derniers champs de Van Gogh
Photo de Vincent récemment retrouvée
Un dessin de Van Gogh
Biographie de Vincent par Alain Amiel
Chanson « Vincent Rêve »
« Vincent Rêve »(version graphique)
Morphing des autoportrais de Van Gogh
Chronologie Van Gogh
Présentation des courts-métrages


————————

SOMMAIRE

Invité dans ma vie

N’être 

Tes lettres

Plein de dessins

À Zundert

Imagine

Nom van Gogh

Effervescence et cuisine

Interrogations

Bruyère

Technique

Ramsgate

Amsterdam

Noir c’est noir

La religion

Anvers.

Paris

Femmes

Les choses derrière les choses

Émotions humaines en peinture

Arles 

Ce que tu peins

Maison Jaune maquette

Comme une cigale

Putain de Gauguin

Pétition

L’argent de Theo

Putain de libraire

Collections

En crises

Saint-Rémy

Immeuble van Gogh

Vincent For ever

Œuvres préférées 

Correspondants 

Expositions :

Artaud et toi

Richaud

Chéret 

Auvers-sur-Oise

Jo

Chaumières

Tu souris enfin

Derniers Champs

Laisser un commentaire